En épluchant scrupuleusement le volume [La littérature est une affaire politique], on relève que la littérature « change le regard », elle « dit non », « partage une vision avec le plus grand nombre », « donne une image du monde », « provoque des prises de conscience », « met en lumière des aspects de notre réalité […] déterminants », « pense le monde dans toute sa complexité », « alerte », « inquiète », « éveille les consciences », nous fait « faire l’expérience de la pluralité », « offre un mode de connaissance où le sensible et le rationnel se rejoignent », « porte un regard critique sur le monde », est « l’espace où se manifeste la vérité », qui « lève des voiles » et fait « tomber des illusions », développe « une conscience poétique de la présence de la diversité du monde », contribue à « nous ouvrir l’imaginaire », constitue un « mode de connaissance où se rejoignent le sensible et le rationnel », « accroît la connaissance », délivre une « instruction sans fin », contribue à « la connaissance et la circulation du savoir », introduit « une vision du monde un peu décalée ». Ou encore : « lieu de l’émotion, de l’intériorité, donc de l’universel », la littérature « cultive le flou, l’ambigu, les contradictions ».
Auteur : Lecteur
Comme en politique, le centrisme en théorie n’est généralement ni de gauche ni de gauche. Un indicateur assez fiable en la matière est la place, centrale ou marginale, qu’on reconnaît à la critique. Ce moment thérapeutique de la littérature contemporaine, dont la diffusion et la pénétration n font guère de doute, gagnerait à être ressaisi au prisme de la théorie de la reconnaissance qu’a développée Axel Honneth depuis les années 1980 au sein de l’Institut für Sozialforschung de Francfort et qui paraît assez congruente avec ces tendances littéraires de fond. Cette philosophie émerge dans une conjoncture fracturée entre deux tendances contradictoires qu’elle cherche précisément à suturer : d’un côté la prévalence d’un individualisme singulariste, démocratisant l’exigence personnelle de distinction et redoutant entre tout l’interchangeabilité et la standardisation ; de l’art, une société démocratique désaffiliée, sans projet collectif, au lien social pulvérisé sur fond du recul de l’État social provoqué par les politiques néolibérales et où l’expérience concrète de l’égalité et de la dignité est pour l’essentiel empêchée. Pour Honneth, une société qui faillirait dans la reconnaissance et où ferait défaut l’expression de l’amour, du respect, de l’estime dégénérerait alors en une « société du mépris », frappée par des « pathologies du social » qui viendraient infecter le fonctionnement normatif de la paisible intersubjectivité démocratique. Voilà qui consonne très précisément avec ces littératures qui visent à amplifier l’empathie sociale, à conjurer l’invisibilité sociale et à redonner une voix à celles et ceux qui en sont privé⋅es.
[…]L’outillage de la philosophie d’Honneth paraît donc d’un usage pertinent. Cela dit, on pourrait ne pas s’n satisfaire tout à fait. D’une part, lutter contre la mal-représentation par la littérature revient à bricoler le temps de la communication littéraire des parlements de substitution et à limiter l’écriture romanesque (surtout romanesque) à des missions de maintenance d’institutions parlementaires défaillantes. […] Cette littérature « collée à la phénoménologie des situations politiques » (Lucbert) n’est alors politique que parce que, faute de redisposer quoi que ce soit, elle contribue à l’aménagement d’un statu quo.
D’autre part, et c’est autrement plus fondamental encore, quand bien même on ferait droit à la tradition critique, la philosophie de la reconnaissance d’Honneth n’en constitue jamais qu’une version édulcorée. La démonstration en a été nettement faite par Stathis Kouvélakis : c’est en effet une entreprise d’aménagement de l’héritage d’Habermas dans le cadre de l’Allemagne néolibérale qui a finir par réduire la tradition critique de l’École de Francfort à une « thérapeutique du social ». Triple réduction pourrait-on même dire, qui internalise la question sociale à l’échelle d’une vie morale intersubjective ; qui provoque ensuite un amuïssement de la conflictualité, particulièrement des luttes sociales et politiques qui ne sont jamais que des anomalies venant tout au plus dissoner dans le concert rationnel de la démocratie habermasienne ; et qui entraîne enfin une « lyophilisation » de la réification lukàcsienne sous la forme d’un simple déni de reconnaissance.
Pourquoi, une fois le fétichisme révélé et démystifié au grand jour, l’illusion ne cesse-t-elle pas de faire son effet, au point de se dissiper ? C’est sans doute qu’il faut affronter de manière moins idéaliste et individualiste un phénomène beaucoup plus ancré qu’une simple vision déformée qu’on pourrait amender par des opérations de correction de l’attention. Un bourdieusien pourrait dire que l’adhésion à l’illusio engage une sorte de foi pratique dans le champ qui trouve des points d’appui dans des fétiches pour continuer à jouer le jeu. Marx disait, lui, que le fétichisme adhère aux produits du travail – il utilisait pour cela le verbe ankleben : ça colle aux choses avec une adhérence tenace et pernicieuse, et quand bien même on tenterait de le liquider ou de le décoller d’un coup, il en resterait des traces persistantes. Le fétichisme ne se réduit donc pas à un ensemble de représentations fantasmagoriques qui voilent la vue et qu’on pourrait balayer en se dessillant les yeux. C’est un complexe théorico-pratique qui implique plus qu’un geste de démystification critique et ne peut se démanteler qu’au prix d’opérations de recomposition au cœur de nos expériences ordinaires et de nos relations sociales.
Le spectre du fétichisme plane donc et il nous hante quoi qu’on fasse pour le conjurer. Il paraît difficile d’en contrarier les logiques qui poussent à réifier une œuvre d’art dans un objet dépositaire de ses propriétés et de toute sa valeur.
Le sens commun fait son œuvre, et par un réflexe fétichiste nous associons le bâtiment à l’architecte, le tableau au peintre, la statue au sculpteur. Et l’on pourrait en dire autant de la littérature – quand bien même il s’agit d’un art fondé sur la reproductibilité de notations, il est une irrésistible tendance à plaquer sur lui une ontologie tendant à ancrer l’art dans des objets.
[…]Ainsi adopte-t-on, par un sens commun que relaient des réflexes théoriques, des ontologies réifiées qui aménagent le monde de l’art et de la littérature avec un mobilier découpé et réparti en unités identifiables, manipulables et valorisables et qui installent une relation esthétique sous la forme d’un face-à-face entre un sujet contemplatif et un objet d’art mis sous cloche.
[…]Considérer le Parthénon comme une grande œuvre d’art, c’est en occulter les fonctions de commémoration civique et le couper du « tourbillon de la vie des citoyens d’Athènes » (Dewey). De même, la tragédie grecque a été si bien inscrite au canon que nous la lisons désormais avec le biais fatal que charrie une conception autonome de l’art, tandis que notre conception classique d’un tragique reconstruit en désactive la valeur d’usage collective et politique qu’elle avait dans la cité d’alors. Dewey n’y va pas par quatre chemins : cette culture fétichiste qui loge compulsivement l’art dans des objets, loin d’être une condition de son intelligibilité, est au contraire un facteur de son opacification. […] l faut opérer une reconception drastique qui nous ferait passer d’une conception substantive de l’œuvre à une conception inchoative […].
Comment appréhender cela concrètement ? D’abord, en envisageant l’œuvre non comme aboutissement, mais dans son caractère processuel.
On troque une ontologie solide contre une ontologie liquide, et l’affaire est entendue ? Le terrain de l’art et de la littérature est miné par le fétichisme dès lors que, par un aveuglement collectif ou par quelque invisibilité des conditions de production et d’activation de l’œuvre, on n’aperçoit plus le rituel qui organise la vénération de l’objet et qui mobilise un clergé mandaté pour lui conférer son prestige. Comme si une valeur consacrée pouvait ne pas dépendre des vecteurs de sa consécration et des instances de légitimation […].
Cette propension à cercler l’art dans des objets déconnectés de leurs conditions de production et de consécration entraîne l’absolutisation de valeurs qui ne sont que relatives et relationnelles.
Le producteur de la valeur de l’œuvre d’art n’est pas l’artiste mais le champ de production en tant qu’univers de croyance qui produit la valeur de l’œuvre d’art comme fétiche en produisant la croyance dans le pouvoir créateur de l’artiste. (Bourdieu, Les Règles de l’art)
On manque quelque chose, disait-on, à ne voir le fétichisme que comme des mécanismes d’attribution de la valeur qui ne tournent pas rond. Il en va plutôt d’une tendance à cacher derrière la création d’un seul la division du travail artistique accompli et la foule d’acteurs pris dans des chaînes de sous-traitance et de basses tâches d’exécution, sans lesquelles l’œuvre ne verrait pas le jour.
La langue ressemble à de la pâte à modeler ou de la pâte à pizza, une espèce de corps contenu dans la bouche, comme un homoncule recouvert d’un drap, un fantôme, qui mimerait à l’intérieur les mouvements généraux de la tête. Cette impression de parallélisme, comme un personnage en pyjama qui ferait en petit ce que la bouche fait en grand, est troublante. On peut aussi penser à un gant de boxe qui se dresse et se replie parce que la main à l’intérieur bouge les doigts. La meilleure comparaison est peut-être celle d’un animal blotti, tapi dans sa tanière et qui s’apprête à bondir pour sortir. Il se masse en arrière, semble s’accroupir et veut jaillir dans un mouvement soudain : il fait d’abord le dos rond avant de se jeter en avant. Ici le bout de la langue est comme la tête de ce corps mou. Cette impression est renforcée par le fait que le corps de la langue, fixé au plancher buccal est libre et semble s’en détacher – on aperçoit comme une fente qui libère le bout de la langue à la manière d’une tête au bout d’un cou. Tout dans le film est une confirmation des descriptions d’Aristote : molle, large, et surtout flexible, la langue est possédée d’une vie propre.
Push again, they say a few moments later. You’ve got to be kidding—aren’t I done yet ? But this one’s easy ; the placenta has no bones. I had always imagined the placenta like a rare fifteen-ounce steak. Instead it’s utterly indecent and colossal—a bloody yellow sac filled with purple-black organs, a bag of whale hearts.