A l’utopie de la nos­tal­gie il fal­lait un topos, cepen­dant. L’un de ces topos est la mère. La figure de sa mère est pré­sente, constam­ment, dans les textes et dans les pro­pos de Pasolini (qui, jusqu’à sa mort, vivra avec elle). « Ce fut ma mère, déclare-t-il, qui me révé­la com­ment la poé­sie pou­vait être écrire de façon concrète. Ainsi, d’entrée la mère est une sorte d’Ange de l’Annonciation de ce dont le fils, lit­té­ra­le­ment accou­che­ra. Les pre­miers poèmes sont écrits en friou­lan, « à Casarsa dans la ville de (la) mère ». Et peu après, quit­tant le Frioul, c’est avec cette mère que le poète ira, dit-il, « se réfu­gier » dans cette sorte d’Égypte que seront les bor­gates romains. Autrement dit, si les « recherches anti-ita­liennes » à quoi s’essaient le jeune poète se déve­loppent dans le sens d’une quête d’étrangeté (à l’italien « cen­tral »), l’axe que suivent ces recherchent consiste en une remon­tée vers une sorte de « natu­ra­li­té » de la langue : une langue « refuge » une langue de ori­gines, plus « pure », incar­née, radia­le­ment « mater­nelle ».

La langue et ses monstres
P.O.L 1989
langue langue maternelle mère pureté refuge topos

Il est un peu moins de cinq heures, heure d’é­té, trois heures du matin au soleil ; la nuit, quoi.

Le grand incen­die de Londres
Seuil 1982
jour/nuit saisons syntaxe

Une lit­té­ra­ture réa­liste, ce serait quoi ? Les pro­cès-ver­baux, il y a les flics pour ça ? Ou bien dres­sons les pro­cès-ver­baux qu’on ne dresse jamais. Disons com­ment on fait par­ler. Comment on parle. La réa­li­té fout le camp au même train que la minute. Voici des mots sur du papier, c’est la seule réa­li­té entre nous. Tout le reste, illu­sion, et l’illu­sion cen­sure, elle aus­si. On n’é­crit pas pour fixer : on écrit pour super­po­ser de la dérive à l’u­ni­ver­selle dérive. Et merde pour le mes­sage, d’ailleurs le mes­sage est une ten­ta­tive de cen­sure puis­qu’il vise à impo­ser une véri­té. Le signi­fié, c’est l’o­deur du char­nier men­tal, le fumet de la décom­po­si­tion. Mais là-des­sous, cama­rade lec­teur, reste-t-il du corps ?

« L’outrage aux mots »
L’outrage aux mots [« L’outrage aux mots », in Le châ­teau de Cène, Pauvert, 1975]
P.O.L 2011
p. 32
censure communication illusion littérature message police réalisme signifiant/signifié

L’air était doux, le soleil.

Le grand incen­die de Londres
Seuil 1982
atmosphère élipse météo syntaxe

Lorsque nous sommes dans nos trente ans les choses ordi­naires – un caillou, un verre d’eau – prennent un lustre très expres­sif. On veut en savoir davan­tage à leur sujet et, à notre tour, on se retrouve vécu par ces choses. Les jeunes pour­raient ne pas envier ce genre de situa­tion, et peut-être à juste titre, seule­ment voi­là, s’intercalant entre les pages de souf­france et les pages d’indifférence à cette souf­france, il existe main­te­nant un espace pris­ma­tique que l’on ne peut pas voir, que l’on ne peut que sen­tir, qui est comme la consé­quence d’une angu­laire ayant dû per­du­rer depuis des temps immé­mo­riaux et qui, seule­ment aujourd’hui arrive à faire éprou­ver sa pré­sence à tra­vers les brumes de l’acceptation impuis­sante de tout le reste, tout ce reste pro­je­té dans le morne espace de nos jours. On en est conscients comme on le serait d’un champ ouvert de pos­si­bi­li­tés nar­ra­tives. Mais pas dans le sens édi­fiant des contes du pas­sé aux­quels nous sommes mal­gré tout liés, plu­tôt dans le sens d’histoires qui ne nous parlent que de nous-mêmes, et tant et si bien que l’on se rend compte alors qu’entre moi s’est peu à peu réduit, s’est même main­te­nant éva­noui dans la lumière de la pure spé­cu­la­tion. Col rele­vé, vous voi­là plus léger que l’air. Le fais­ceau de nerfs récep­tifs bour­donne bien de nou­veau, il a été au fond à peine endom­ma­gé : il reçoit de l’extérieur des éma­na­tions cou­leur du temps et il ren­voie des mes­sages très denses, très pré­ci­sé­ment for­mu­lés. Il y a de la place pour se mou­voir, c’est tout ce qui importe. La dou­leur qui drai­nait le sang de vos joues lorsque vous étiez jeune, et qui vous avait trans­for­mé en une sorte de spectre livide avant l’heure, cette souf­france s’est muée en une source d’énergie peu­plant ce nou­veau monde de per­cep­tions émer­veillées.

Trois poèmes
nerfs trentaine