La pre­mière per­sonne est d’abord une manière de dire : pré­sent — comme on dit « pré­sent » en classe, au moment de l’appel. Allow me to intro­duce myself. Or il a fal­lu que je gagne mon pré­sent. J’ai été éle­vé à l’idée de la dis­cré­tion, nour­ri au Beckett ou au Bartleby… Mais j’ai bien dû consta­ter ce que cela pou­vait pro­duire de rhé­to­rique, de pos­ture, de prê­chi-prê­cha. Ça finit par don­ner du basique res­sas­sé. Le majeur du mineur. Il y a là un pro­blème qu’il fau­drait exa­mi­ner dans tous les arts, dans toutes les dimen­sions poli­tiques et humaines : com­ment, à un moment don­né, une idée magni­fique passe de l’autre côté, com­ment une idée bien­fai­trice devient une idée idiote.
Pour moi, les choses s’inversent au moment de L’art poe­tic’. J’y exé­cute le pro­gramme de la dis­pa­ri­tion, mais d’une cer­taine manière, je sors du lit­té­raire, et c’est loin d’être fini. Mais curieu­se­ment, à par­tir de là, je suis sau­vé, j’ai fait mon che­min de Damas. Je me suis mis de l’autre côté de la langue. J’aurai donc mis quinze ans, avant de publier, à me débar­ras­ser de tout ce ver­biage sur « la lit­té­ra­ture », à me désur­moï­ser — para­doxe : à désur­moï­ser l’idée de dis­pa­raître, l’idée d’être un sous-moi. À bas la tyran­nie de l’effacement ! C’est ça mon sujet.

« Cap au mieux (entre­tien avec Philippe Mangeot & Pierre Zaoui) »
vol. 45
Vacarme n° 4
2008
p. 4–12
lien bartleby beckett effacement moi surmoi tyrannie

A l’utopie de la nos­tal­gie il fal­lait un topos, cepen­dant. L’un de ces topos est la mère. La figure de sa mère est pré­sente, constam­ment, dans les textes et dans les pro­pos de Pasolini (qui, jusqu’à sa mort, vivra avec elle). « Ce fut ma mère, déclare-t-il, qui me révé­la com­ment la poé­sie pou­vait être écrire de façon concrète. Ainsi, d’entrée la mère est une sorte d’Ange de l’Annonciation de ce dont le fils, lit­té­ra­le­ment accou­che­ra. Les pre­miers poèmes sont écrits en friou­lan, « à Casarsa dans la ville de (la) mère ». Et peu après, quit­tant le Frioul, c’est avec cette mère que le poète ira, dit-il, « se réfu­gier » dans cette sorte d’Égypte que seront les bor­gates romains. Autrement dit, si les « recherches anti-ita­liennes » à quoi s’essaient le jeune poète se déve­loppent dans le sens d’une quête d’étrangeté (à l’italien « cen­tral »), l’axe que suivent ces recherchent consiste en une remon­tée vers une sorte de « natu­ra­li­té » de la langue : une langue « refuge » une langue de ori­gines, plus « pure », incar­née, radia­le­ment « mater­nelle ».

La langue et ses monstres
P.O.L 1989
langue langue maternelle mère pureté refuge topos

Il est un peu moins de cinq heures, heure d’é­té, trois heures du matin au soleil ; la nuit, quoi.

Le grand incen­die de Londres
Seuil 1982
jour/nuit saisons syntaxe

Une lit­té­ra­ture réa­liste, ce serait quoi ? Les pro­cès-ver­baux, il y a les flics pour ça ? Ou bien dres­sons les pro­cès-ver­baux qu’on ne dresse jamais. Disons com­ment on fait par­ler. Comment on parle. La réa­li­té fout le camp au même train que la minute. Voici des mots sur du papier, c’est la seule réa­li­té entre nous. Tout le reste, illu­sion, et l’illu­sion cen­sure, elle aus­si. On n’é­crit pas pour fixer : on écrit pour super­po­ser de la dérive à l’u­ni­ver­selle dérive. Et merde pour le mes­sage, d’ailleurs le mes­sage est une ten­ta­tive de cen­sure puis­qu’il vise à impo­ser une véri­té. Le signi­fié, c’est l’o­deur du char­nier men­tal, le fumet de la décom­po­si­tion. Mais là-des­sous, cama­rade lec­teur, reste-t-il du corps ?

« L’outrage aux mots »
L’outrage aux mots [« L’outrage aux mots », in Le châ­teau de Cène, Pauvert, 1975]
P.O.L 2011
p. 32
censure communication illusion littérature message police réalisme signifiant/signifié

L’air était doux, le soleil.

Le grand incen­die de Londres
Seuil 1982
atmosphère élipse météo syntaxe