Marcel Jousse est un prêtre jésuite, paysan, pédagogue et anthropologue expérimental né en 1886, mort en 1961 – éducation somme toute classique, fils rural, chéri par des analphabètes, plus tard, ayant appris plusieurs langues et cultivé en même temps l'analphabétisme atavique, il occupe des postes (apprenti peintre, professeur d'anglais, professeur de français diplomatique, instructeur de cavalerie, instructeur de balistique) et son temps de vie enthousiasmamment : - heures d'étude avec Pierre Janet et Marcel Mauss ; - fondation de l'Institut de Rythmo-pédagogie ; - publication de livres sur les gestes, le rythme, l'apprentissage, la récitation du texte biblique ; - ensoutané, partie de météo mimée avec un chef sioux en cravate (fig 1)
Son horizon est celui d’un mystique, et comme tout mystique son objet est le rassemblement : alors il rassemble — une grosse pelote d’Un en orbite autour du texte biblique [1]. Mais ce rassemblement ne se fait pas dans l’appauvrissement de sa langue, parce qu'il est moins à la recherche de principes explicatifs d'une concordance [corps-langage] que d’un vocabulaire précisément illustratif d'une continuité rythmique.
Ce vocabulaire est d'une liberté néologique qui n'a rien d'une audace ; Jousse est néologue par souci de cohérence et de clarté [2]. Il l'est aussi par mimisme scientifique, malin plaisir de celui qui reconnaît, tout en multipliant les concepts et en revendiquant une méthode, qu'il n'aura laissé qu'une "science de pointillés".
Or je suis intéressé par les trésors esthétiques inintentionnellement créés par les descriptions scientifiques (d'où qu'elles viennent). Je m'intéresse, en fait, à ce qui dans le diagnostic manifeste le style. Le vocabulaire de Jousse – rigoureusement choisi, librement combiné, souplement néologisé – est de ces trésors, d'extraction scientifique, qui ruent dans le discours académique.
Son talent de néologue est particulièrement affûté dans le Mimisme humain et l’anthropologie du langage (1936), un digest de thèses sur la spécificité cinétique et phonique d'Humain dans la construction de son rapport au monde. Tout apprentissage apparaît pour Jousse comme le rejeu d’un drame mimiste et bruitiste, gestuel et sonore. Humain, cet être "à double battants" s'ajoute le monde et en digère les échantillons selon un mouvement de va-et-vient, façon carottage masturbatoire du miroir de l’altérité. La bobine absente de ce fort-da dégage une sorte de vide efficace qui ménage du jeu pour le jeu.
Marcel Jousse aussi est un être à double-battant et, m'intéressant à lui, je suis conscient d'être pris souriant sur la même photo que tous les gourous du mieux-vivre qui ont des deals secrets avec les labos d'antidépresseurs. Dans l'autre angle de la photo : les grenouilles de bénitier qui utilisent les écrits de Jousse pour faire des enfants leurs ilotes angéliques, leurs esclaves au sexe absent (fig 2), ne sont pas non plus mes amis. Mais il doit y avoir une raison pour que ces gens se soient invités au déterrement et de toute façon, je ne suis pas intéressé par les mêmes abats.
Je ne rejette pas le chamanisme chrétien de Jousse – lequel, articulé à ses autres préoccupations, ont pu l'amener à expérimenter des formes singulières de cette "efficacité symbolique" dont parle Lévi-Strauss dans son texte célèbre [3] –, mais pour faire pencher la balance du bon côté du Jousse, j'essaierai de tirer ce qui tient chez lui de ce que Barthes appelle "mathèsis truquée" [4], c'est-à-dire un savoir hétéroclite et burlesque qui fait se frotter "des codes d'origines diverses, de styles divers", et qui exhibe des curios plutôt que des evidences. Jousse lui-même, pour des raisons religieuses, avait une idée particulière de ce que pouvait être une preuve. Ça devait constituer une sorte d'évidence parabolique, le déplacement allégorique en moins : ça devait produire une démonstration d'efficacité hic et nunc [5].
L'apprentissage est défini par Jousse selon deux pôles notionnels, l'un processuel (le "rejeu"), l'autre procédural (le "drame" ou "mimodrame"), articulés à la question de l'appropriation de l'environnement résumée dans le concept épistémologique d'"intussusception" (fig 1).
Le terme est emprunté à la biologie animale, pour laquelle il désigne la "pénétration par endosmose des éléments nutritifs à l'intérieur des cellules"[6], c'est-à-dire grossièrement la propriété d'accroissement des animaux par le processus de digestion au sens large (en-deçà / au-delà du cycle intestinal)[7].
"Intussusceptionner" serait quelque chose comme "s’ajouter ce que l’on trouve" (comme dit Monsieur Teste [8]), en prélevant avec une sorte d’organe d’intelligence protractile, des échantillons cosmiques. Jousse précise :
L'intussusception, c'est la saisie du monde extérieur porté à l'intérieur, c'est-à-dire coïncider avec tous les gestes qui jaillissent de la nature pour les exprimer ensuite. Je dis "geste", je devrais dire "action", car en dehors de nous, il ne se passe que des actions. Mais ces actions vont devenir "gestes" dans l'homme qui les reçoit et les rejoue.
L'intussusception n'est pas un OVNI anthropologique, elle fait écho à certains concepts antérieurs, notamment celui d'insubjectivation de Delsarte. Elle est aussi proche d'idées de Freud, Winnicott ou Piaget sur ce qu'on peut appeler de manière affreusement générale la dimension médiatrice du jeu.
À ce concept, il faut ajouter la notion de "jeu", plus précisément de "rejeu", qui définit l'axe dialectique de l'intussusception. Pour Jousse, Petite Anthropos – c'est-à-dire Humain pas encore séparée de ses sensations par l'abstraction institutionnelle du langage, j'y reviendrai – joue & rejoue. Joue au sens manipule ses échantillons sur un mode symbolique reproduisant des impressions, mais aussi au sens organise des tas de petits drames personnels qui précisent ses capacités d’intervention sur / d'interaction avec le monde.
Ici, une précision terminologique : "jeu" et "rejeu" ont dans l'œuvre de Jousse un sens dynamique, riche des ambiguïtés du mot concernant la représentation, la reproduction, l'imitation, l'exubérance, l'ivresse. Dans tous les cas, c'est un sens très éloigné de l'idée d'un jeu organisé, et que l'anglais rend bien, chez Winnicott par exemple, à travers l'opposition entre "playing" & "game". Le "game" est transitif, le "playing" intransitif, le "game" est ordonné, le "playing" erratique, le "game" est limité dans le temps, le "playing" ductile et soluble dans les séries de temps contraint, le "game" occupe un vide, le "playing" le préserve comme condition de sa libre reprise, le "game" est essentiellement procédural, le "playing" essentiellement processuel. Pour faire le pratique, et très odieusement, en considérant la répartition de Caillois (fig 2) – qui, dans le sillage d'Huizinga, s'intéresse essentiellement aux "games" – disons que le jeu selon Jousse serait une sorte de pure paidia intégrant l'ilinx, de laquelle l'agôn et l'alea ne seraient pas constitutifs, et la mimicry, dont le sens ne serait pas confondu avec celui de simulacrum, serait l'élément amont.
Johan Huizinga, dans son Homo Ludens (1938), fait remarquer que la notion de "jeu" – dans une large acception – est primordialement définie, dans la plupart des langues, en relation avec l'enfance [9]. Tout ce vocabulaire révèle des analogies avec la nature (le plus souvent le vent & les vagues) et exprime un mouvement preste, parfois en rapport avec la lumière (l'allemand spiel & l'anglais play par exemple). Le passage en revue, par Huizinga, des mots couvrant la notion de jeu dans une même langue montre une variété de dénominations concurrentes ou complémentaires (en partie superposables, parfois symétriques) employées pour évoquer le loisir, la compétition, la fugue dans l'imaginaire, la ferveur, la surchauffe corporelle, la représentation actoriale ; toutes sont des "comme si", qui n'excluent pas nécessairement le sérieux d'une situation d'épreuve, d'essai, de "test".
Les "mimodrames joués" de Jousse sont ces sortes d'épreuves, d'essais, de tests. Ce sont un ensemble de gestes triphasés qui reproduisent un schéma d'interaction cosmologique d'apparence classique : Agent -- Agissant -- Agi (fig 3)
L'Agent est un peloton d'énergie qui agit par propulsion un autre peloton d'énergie, l'Agi [10]. Jousse suggère ici un rapport non-hiérarchique au sein de l'interaction, dont il décrit par ailleurs les trois phases :
1. L'action essentielle d'un sujet; 2. L'action transitoire de ce même sujet; 3. L’objet sur lequel s'exerce cette action transitoire et qui est lui-même mimé comme une action essentielle.
Dans le jeu, dans l'apprentissage, ces mimodrames ne s'additionnent pas mais se combinent inépuisablement, formant un complexus d'interactions (fig 4).
Un des exemples donnés par Jousse de triphasisme mimo-cinétique est celui du hibou. Je reproduis ici le court extrait d'une conférence où il l'expose.
Pour nous aider à faire une prise de conscience de ce Triphasisme mimismo-cinétique, plaçons-nous, en dehors de tout langage ethnique, devant, je suppose, un Hibou agrippant un Tremble. Ce "geste interactionnel" sera mimismo-cinétique d'abord, en ce sens que c'est l'œil de l'animal qui va jouer le plus grand rôle, apparemment, dans la réverbération de cette interaction de l'extérieur sur nous. Qu'allons-nous intussusceptionner ? Un animal qui a ce geste très "caractéristique": des yeux entourés d'un système de plumes qui mettent ses yeux en relief et leur font un cercle. C'est (gestuellement) l'Ocularisant. Voilà l'Agent que je vais rejouer dans mon geste mimeur des deux mains en forme de lunettes. Cet Agent est là, prégnant d'une certaine Action "transitoire": il agrippe. Et mes mains crispées vont rejouer macroscopiquement ce geste. Il agrippe quoi ? Une espèce d'arbre qui remue tout le temps, qui tremble sans arrêt. Et tout mon être global va rejouer ce geste "caractéristique" du tremblement : le Tremblant. Si nous voulions traduire en expression mimographique cette "Action caractéristique" agissant d’une façon "transitoire" sur une autre "Action caractéristique", nous aurions [le schema suivant] (fig 5).
Dans la perspective mystique de Jousse, une chose est son action essentielle, c'est-à-dire son gestuaire en situation de puissance symbolique ou d'aisance, celui qui fait d'elle une sorte de propulseur symbolique. Ici, le hibou est dit "ocularisant", c'est-à-dire un zyeuteur/regardeur hypnotique. Cette image, qu'on qualifierait dans nos sociétés d'élucubration anthropocentrée, se comprend d'une lecture fétichiste du vivant, dont Anthropos est partie.
Jousse développe ce modèle interactionnel dans Le Mimisme humain et l’anthropologie du langage (1936). Dans ce texte, Anthropos se distingue d'Anthropoïde par sa capacité à jouer. En un sens, Jousse est, comme Huizinga, insatisfait par la définition d'Humain comme homo sapiens + homo faber. L'homo ludens de Huizinga naît de la même impulsion que l'animal interactionnellement mimeur de Jousse ; tous deux considèrent que la culture est une équation de moments de "playing", eux-mêmes cristallisés sous la forme de "games". Aucun ne dit que la façon non sanctionnante qu'ont ces jeux de performer les règles communautaires constitue in fine une affectivité partagée qu'on peut aussi bien appeler "culture".
Si Huizinga ne s'étend pas sur le jeu enfantin, Petite Anthropos a une place primordiale dans la pensée de Jousse, et on ne s'étonne pas qu'il existe pour lui une forte analogie entre le développement civilisationnel et l'apprentissage individuel ; d'abord parce que c'est un classique de la mystique que d'assigner des mouvements et des trajectoires similaires au tout et à la partie, ensuite parce qu'elle est commune, plus ou moins incidemment, au chamanisme, à la psychanalyse et à l'anthropologie (même si son statut d'intuition donne à cette hypothèse une valeur différente dans chaque cas).
Quoi qu'il en soit, l'activité ludique de Petite Anthropos renvoie sinon explicitement chez Jousse à la sortie de grotte, au défrichement / déchiffrement de la forêt et de ses symboles, et autres mythes fondateurs qui définissent la culture comme une émancipation de l'inane (le vide inefficace). Par exemple :
On dirait que ce Petite Anthropos devient, chaque jour davantage, une sorte de motocamera vivante et plastique, cinémimique et phonomimique, dans laquelle viennent se refléter, retentir en écho et se rejouer toutes les actions et interactions visibles et audibles des êtres animés et inanimés qui l’environnent.
Qu'apprend-elle, cette motocamera vivante ? Elle apprend les gammes d'interaction possible avec son environnement, elle fait ses gammes interactionnelles, elle transforme les symptômes en signes, les actions perçues en gestes conçus. Pour concevoir ces gestes, Petite Anthropos doit réaliser le processus d'"intussusception", qui semble consister, à ce moment-là, dans l'assomption d'un rôle d'acteur au-delà de la fonction d'agent, dans l'appropriation du schéma interactionnel, de sorte que les termes de ce schéma sont plus proches du motif positiviste de l'acteur manipulant un objet, ou de sa déclinaison instrumentaliste d'un acteur utilisant un instrument pour produire un effet.
Or il est un moment de l'interaction triphasée, avant que des rôles se définissent, où les mouvements ne sont pas encore des gestes, où ils sont dans une sorte de vague inassouvissement. Un moment où il y a des mouvements qui tendent au geste, mais qui sont des adresses de l'esprit à la possibilité de production de ces gestes, et à leur vanité en tant que projet performant dans l'espace social. Un moment d'avant l'apparition ou le retour de la convention gestuelle, avant que celle-ci n'exprime de la correction (où les rôles apparaissent et les rapports se figent). Ce sont des dépendances de l'action efficace, ses écuries, où il fait moins confortable et plus froid qu'au château [11].
Pour étudier ce moment et son basculement dans la performation sociale, je m'intéresserai à l'exemple de rejeu donné dans Le Mimisme humain : Le Chevauchant Cravachant le Galopant.
Cette interaction, Jousse insiste sur le fait qu'elle est exclusivement mimée. Pas de cheval réel, pas de substitut bibelotien, pas même d'artefact du manque (sort LE DOUDOU). Observons la façon dont les termes sont définis dans cette "modélisation de l'agir" où les objets absents et les rôles absents sont supposés par le mime (fig 2, 3, 4).
Cette définition des termes du schéma laisse entrevoir une ambivalence de l'activité ludique. Cette ambivalence est celle du galopant, qui est l'agi du schéma mais l'élément moteur de l'activité, le terme le plus intrinsèquement "acteur". Le galopant est glorieusement et commodément invisible. En tant que jouet, c'est un instrument de lancée toupique, d'échauffement récréatif ; en tant qu'engin, c'est un outil de propulsion perspective, d'hubris de l'âge adulte, paternel, responsable, conscient des réalités de la vie, doué pour la conduite par temps de pluie. Le jouet et l'engin cohabitent dans le rejeu, et font de l'apprentissage à travers le jeu un compromis douloureux entre l'aventure intérieure et presque buissonnière de singularisation et l'entreprise grégaire d'intégration [13].
Défini d'emblée par rapport au cheval. Ce n'est pas un cavalier, puisqu'il n'est pas défini par son statut. C'est un chevauchant, c'est-à-dire un acteur-agent dans le rôle précis, exclusif, de monteur de cheval. L'action de chevaucher est une action exclusive, discriminante, définitoire, ordonnatrice, qui fait position et organise donc un rapport objectal, mais pas fonctionnel, pas statutaire, pas dynamique. Jousse dit : c'est une action essentielle.
Fig 2. Définition du chevauchant.Deuxième élément actif, deuxième -ant relatif à l'agent, mais cette fois en situation verbale. Si le chevauchement définit une position, le cravachement définit un rapport, dirige ce rapport. Jousse dit : c'est l'action transitoire. Le rapport est de violence. Cette violence sert à stimuler ou corriger la monture – c'est une violence nécessaire au maintien de l'ordre. La violence du cravachement a pour but de faire fonctionner à plein les qualités propulsives du galopant, à en exalter la puissance, à en faire cracher le potentiel.
Fig 3. L'action transitoire.Ici c'est bien le substitut mimo-dramatique du cheval qui est défini. Comment est-il défini ? Par son mouvement, comme un appareil dynamique et réactif, dans la lancée toupique et dans la propulsion du jeu. Le galop est une allure dite "naturelle" du cheval, mais cette terminologie est trompeuse, et on dirait mieux "allure régulière", tant certaines allures dites défectueuses ne sont pas moins présentes chez certains chevaux à l'état sauvage (amble, trölt). Le "galopant" est "régulièrement" sauvage, suffisamment sauvage pour qu'on puisse jouer avec (ou le corriger, ou le gronder), suffisamment "régulier" pour répondre docilement au spieltrieb du chevauchant [12]. C'est un hybride animal-machine, c'est un règne, une classe, un embranchement, un ordre, sous-genre, fratrie d'éphèbes, éleuthes banquetant d'herbe, clan tapi, société secrète en ripaille, syndicat révolutionnaire ou bande armée libérale, qui a du cheval : allure, fierté, bravoure & fougue, et du bolide : projection, souvenir de la forge, du feu, résistance à toutes combustions, selon une bizarre ontogenèse à partir de l'idée du, cheval. Jousse dit : c'est une autre action essentielle.
Fig 4. Définition du galopant.En attendant d'avoir à choisir, la jouissance enfantine cherche le compromis, la conciliation de ces deux tendances (integration / singularisation) [14]. On dirait que Petite Anthropos jouant seule, Petite Anthropos badine, se pavane et s'accable, accable sa propre cuisse plus ou moins accidentellement se parle, se berce de chants, se promène en soi-même ou peut-être promène soi-même, fait du tourisme équestre à la carte, s'engage dans des treks de poneys privés sur la plage, soleil couchant, s'engage dans des treks galopants traversant la plage à ses risques et périls, synthétise, tranquille, ses aventures & ses projets, voyages organisés, vacations comme ça, toujours encore à cheval sur un cheval.
Ce vertige de la synthèse définit les rapports entre objets absents, en faisant un principe à la fois
- intégrateur sur le plan scénaristique qui se développe autour de l'hubris du rôle social bien joué et - singularisant sur le plan des rapports anthropologiques produits par la projection de ce mime dans l'environnement immédiat.
Cette jouissance – qui est à ce moment-là proche du "plaisir même de fonctionner" dont parle Piaget – se trouve "jouée" dans des situations qui diffament momentanément, c'est-à-dire qu'elles lèvent le voile des statuts et révèlent l'abus de pouvoir permanent que constitue l'amalgame entre état des mises et règles du jeu, une "pause" qui s'est décrétée comme un état d'urgence. Rejouant l'adulte sur un mode enfantin, Petite Mimodramatiste démaille l'uniforme des conventions sociales, en fait apparaître la dimension de jeux ordonnés. Parce que son "rejeu", en reproduisant leur action essentielle, convoque des objets absents, il se peut qu'il ne donne à voir que la dimension boiteuse de l'effectivité dans un monde pas encore tassé autour des dignités abstraites. De ça seulement mimodramatiste est héroïque, et de cet héroïsme seul elle est inconsciente.
Ces situations produisent une image contradictoire, qui est aussi une séduction écartelante.
- D'un côté, elles fragilisent les positions (rapports fixes, statutaires, conventionnels) et dégagent de nouveaux rapports ;
- D'un autre, elles ajustent une dynamique de relations (de religiosité fervente, d'adhésion au mythe & aux simulacres des statuts).
Le ruissellement du jeu ne décide pas forcément du moment de son tarissement. Le mouvement décisif qui rabat sur la vérité confortable des statuts peut arriver quand le jeu est interrompu par l'autorité adulte (et c'est la dimension morale de toute fin de jeu supposé durer pour toujours, le jeu de la "pure dépense" opposé à la vie minutée du "game"). Mimodramatiste ne laisse pas s'étendre cette poussée de fièvre révolutionnaire : il faut au contraire cultiver des raisons de finir le jeu pour aller se coucher, des raisons d'accepter qu'une autre autorité, celle-là pleinement effective, mette fin à cette hubris sans que la chute soit trop douloureuse.
C'est là que le galopant remplit son office le plus disgracieux : devient l'objet transitionnel de la loi adulte, rue dans ce que Bataille appelle "le canal des grandes personnes". Magiquement c'est à travers la domestication du galopant que Petite Anthropos domestique sa révolte, y trouvant l'occasion d'incarner à son tour l'ordre et la raison. Le zèle chavirant de faire obéir le galopant aide à obéir soi-même aux parents, et cette soumission morale qui n'engage jusque là qu'à glisser vers le lit, prépare aux docilités futures, qui ne se vivront pas comme des résignations pourvu que l'illusion transitionnelle rassure sur l'exercice de sa volonté toute puissante. Ce commerce des dignités, dans le cadre hiérachique de nos sociétés, n'est pas étranger aux traitements qu'inflige Mimodramatiste à son "agi" imaginaire, et qui font déjà partie de l'arsenal des normalisations libidinales suggérées par le patriarcat. Être le "chevauchant" est un plaisir certain ; être le "châtiant" en est un autre.
Ausfahrt 1. Cette attitude nous force à reconnaître que le "playing" est toujours susceptible de devenir effrayant. Les "games" et leurs organisations doivent être considérés comme une façon d'empêcher l'aspect effrayant du "playing". (Winnicott, Playing and Reality)
Ausfahrt 2. Der Kluge Hans (Hans le Malin).
Ausfahrt 3. Hamlet.
Ce rapport transitif entre le chevauchant et son galopant n'est pas à sens unique. Dans ce schéma, la question de savoir qui stimule qui se pose inévitablement. Est-ce la puissance du chevauchant qui communique via le cravachement sa fougue à la bête-bolide ? Ou est-ce la puissance dynamique du galopant qui fascine et appelle un mime enthousiaste (le brusque mouvement de main, ensuite assimilé au cravachement, s'observe dans l'excitation des nourrissons), par lequel l'hubris du rôle est communiquée.
Le gel apparent des fonctions dans l'interaction, consacrant le jeu de rôles au sein d'un scénario contraignant, cache une porosité des traits anthropologiques dont la circulation pourrait avoir une influence décisive sur la prise de contrôle d'une des deux tendances.
Considérant un contre-courant à l'œuvre dans cette interaction, on pourrait conclure que le chevauchant, c'est celui à qui le cheval traité en cheval a fini par conférer ce rôle. Ce qui ne signifie pas qu'il y ait ici une mise en danger de l'ordre anthropologique, puisque les positions statiques sont toujours consacrées à travers "le cheval traité en cheval". La tendance intégratrice de l'apprentissage reprend le dessus : Anthropos se rassure de l'animalité en l'intégrant économiquement, c'est-à-dire en le rendant fonctionnellement ajusté. Les rapports se figent via cette hubris anthropologique communiqué à Humain par Animal, selon les lignes de déhiscence tatouées par l'instrumentalisme.
Est ainsi récusée la tentation de superposer les fonctions de l'interaction ("les rôles sémantiques", dit la linguistique traditionnelle) et les rôles du scénario, et s'invite la question de l'intention. Je vais l'accueillir avec l'énoncé du "châtiant châtié", une interaction qui n'atteint pas un "agi" extérieur, à cause d'une sorte de retour de flamme de la performativité.
La question de savoir "qui stimule qui ?", qu'on peut aussi traduire par "qui défère sa puissance à qui ?", apparaît joliment au détour d'un exercice de prononciation chinois, en apparence monotonique, que les apprenants doivent répéter pour saisir les différences accentuelles particulières à cette langue.
1 媽媽罵馬嗎?
2 馬罵媽媽嗎?
Lue par moi, un français (dont la langue est particulièrement pauvre en accents toniques), ces deux phrases se prononcent de la même manière : "1. ma ma ma ma ma ? 2. ma ma ma ma ma ?". En réalité, chaque ma est un mot différent, différemment accentué, et en fonction de l'agencement de ces accents (fig 3), ces phrases peuvent signifier :
1 媽媽罵馬嗎 ? (Est-ce que maman a châtié le cheval?)
2 馬罵媽媽嗎 ? (Est-ce que le cheval a châtié maman?)
Voilà qui est simplement drôle, peut-être un peu troublant, comme on sait que certaines colères et certains sermonnages sont des scénarios désastreux pour le rôle titre. Et qu'un grondeur peut se transformer en grondé si sa gronderie est inappropriée, excessive, performativement ratée.
Le poncif qui consiste à se demander, comme un vieil oncle pyrrhonien se curant les dents, si c'est bien "l'agent qui agit l'agi", est beaucoup trop banal pour être pris au sérieux : il est immédiatement considéré comme un acquis théorique (le mentionner suffit à se trouver finaud), mais il n'est pratiquement jamais expérimenté. À cet égard, le "je suis agi" de Bataille, l'"on me pense" de Rimbaud, le "je suis pensé" freudien et le "je suis parlé" de Lacan sont autant de récits de sauvetages rassurants, voire grisants, mais qu'aucun naufragé ne vient corroborer.
Jousse lui aussi suggère, dans les différents exemples qu'il donne, que tel est "joué" par la locomotive, le cheval, le hibou. Je parie et tiens bon qu'il y a pas mal de choses qui ajustent untelle bien plus qu'untelle les ajuste, ajustent untelle sans cesse, en pure perte, comme un raga indien bourdonnant beaucoup, faisant des bruits de drone comme un gros sexe d'homme au-dessus des prises de paroles, au milieu d'un essaim d'oiseaux-chevals, de colibrals, de chevibris resizés et là les doux houyhnhnms proposent de venir courir avec eux dans le langage sans laisse, wildbahn über alles, pendant qu'à la maison un feu d'origine domestique mais sauvage ravage et nécrose.
Pour se confronter à la porosité des rôles dans l'interaction, il suffit de s'écouter châtier, gronder etc. On entrevoit bientôt comme est vive notre croyance dans l'effectivité symbolique du geste et du verbe, ou on constate l'effet contre-productif de l'expression de certains ordres, de certains claquements de cravache statutaires, certaines façons que la langue commune résume dans l'expression "monter sur ses grands chevaux", c'est-à-dire donner comiquement à voir la distance entre sa dignité revendiquée et son indignité patente. À cette occasion, l'assomption fiérote d'un rôle mal joué (que la mauvaise lecture du rôle concerne sa nature ou son registre de jeu) fait voir – naturel suintant dans l'effort de le réprimer – le fossé entre l'homme et le statut. Elle fait voir la couille molle sous le drap statutaire.
C'est par exemple le "je suis quand même ton père" de ton père, le "c'est qui le patron ?" de ton patron ou le "vous parlez au premier ministre de la France" d'un jeune premier du prime. La fameuse distinction d'Austin entre énoncé performatif et énoncé constatif atteint alors cette limite curieuse où un "énoncé performatif heureux" (c'est-à-dire réussi) résulte d'un énoncé constatif accompli – désastreusement accompli mais accompli quand même – dans sa valeur de vérité. Ces actes constatifs à valeur inopinément performative sont les otages des perceptions statutaires, des positions d'autorité.
Le mamamama chinois, cette construction d'une différence, cet aménagement de jeux rythmiques au sein d'un perçu-comme-même, la création d'un rythme au sein de cette répétition, par la valorisation de certaines différences devenues signifiantes, c'est l'objet de la reprise des jeux enfantins (le noch einmal dont parle Benjamin dans Spielzeug und Spielen). Le jouage enfantin libère un espace de circulation très vide et très dense où le seul rôle possible est celui de fouetteur fouetté par son langage gestuel et vocal (une sorte d'étudiant en chinois abstrait mais quand même vraiment laborieux, qui aurait pleine confiance dans des mimèmes cosmiques qui peinent à être juste universels). Agent/agi, cheval/mère sont moins des chapichapos – dont le ballet synchronise la pantomime d'un rangement (fig 4) – qu'une bête schizoïde chamane/possédé – dont la libération maintient une intransitivité du langage. Aussi la reprise est-elle une répétition qui ne vise pas l'accord avec un langage soit déjà connu, soit déjà écrit, mais le maintien d'une roue libre spéculative où le signifiant ne risque pas de se fixer – ou plus exactement, de s'admirer dans ce qu'il prend pour son image enfin recomposée. Cette circulation d'une lettre volée, dont le détour semble un retour, est de nature à maintenir les statuts dans le giron ordinaire des autres faussetés. Elle suffit à les diffamer, mais sans en être châtié, puisqu'elle ne s'arrête pas pour dresser le constat.
Ausfahrt 4. Tous les enfants parlent à leurs joujoux ; les joujoux deviennent acteurs dans le grand drame de la vie, réduit par la chambre noire de leur petit cerveau. Les enfants témoignent par leurs jeux de leur grande faculté d'abstraction et de leur haute puissance imaginative. Ils jouent sans joujoux. [...] La diligence, l'éternel drame de la diligence joué avec des chaises : la diligence chaise, chevaux-chaises, les voyageurs-chaises ; il n'y a que le postillon de vivant ! L'attelage reste immobile, et cependant il dévore avec une rapidité brûlante des espaces fictifs. Quelle simplicité de mise en scène ! (Charles Baudelaire, Morale du Joujou)
Fig 4. Chapi Chapo, la pantomime du rangement.Le mode performatif est ici un suggestif personnel, c'est une hubris qui ne doit se risquer au partage qu'à condition d'avoir déjà mis de son côté les rieurs ou les exaltés, et d'avoir préalablement dissout l'objet de l'assentiment dans l'assentiment au déroulé scénaristique lui-même. La rhétorique politicienne consiste précisément là-dedans : déplacer la confiance et l'attention sur le flux.
Dans la vie adulte, ce déroulé scénaristique se nourrit de la performance du statut, de la carte de visite, de la pièce d'identité ou du CV, qui sont autant de relations consenties épargnant d'avoir à "rejouer", c'est-à-dire à reposer constamment la question de la valeur. Il est, entre adultes responsables, aussi indécent de questionner le statut que d'entrer dans le détail d'un livre que chacun prétend avoir lu. ("Le cumul des jouissances fictives, d'admirations et de délectations repose sur un accord de mutuelle discrétion", écrit Gombrowicz à propos du raffinement dans la célébration -- de la poésie en l'occurrence). Une prise de parole performante est avant tout un scénario performant, une illusion réussie, complète, qui justifie les rôles.
Mais à l'âge où l'on n'est pas encore douée pour la conduite par temps de pluie, à l'âge où on pleure parce qu'on sait très bien que des Knuts par milliers périssent chaque jour pour nos péchés [Ausfahrt 5], à l'âge où la justice est ce qui départage le mignon et le dégueu, la séduction du jeu et la suggestion performative sont d'une intensité toute autre. N'importe quel lanifice est une toison d'invincibilité, n'importe quel couloir est une piste, n'importe quel vide au niveau de l'entrejambe est un cheval fougueux.
Ce moment du vide efficace, c'est juste avant que le monde ne s'affirme dans sa compacité démoniaque, dans son occupation totale par la loi. L'enfantillage du monde adulte, dont parle Bataille dans l'Expérience Intérieure, un monde dont le langage se résume à un "selon la police" innocent, naïf, désarmant comme un houyhnhnm [Ausfahrt 6].
Cette réduction obsessionnelle aux chiffres du maintien de l'ordre, on peut l'appeler "culture". Jousse l'appelle "algébrose", des fois j'appelle ça "daddy's code", un jeu de clés pour le coffre privé, fait d'analogies mortifiées, de combinaisons vides de leurs référents. Tout ce qui désigne une nécrose d'équations qui furent, un jour, utiles pour définir le jeu, au sens d'espace de liberté interactionnelle d'un groupe donné, nécrose qui en a fait des formules culturelles qui sont devenues peu à peu des règles confortables pour la gestion des relations sociales. Cette mortification du jeu construit une narration, une fiction de lois abstraites – écrites ou pas – déconnectées des besoins pratiques.
La distinction pratique de Brecht entre les "commandements boeufs" et les "commandements porcs" éclaire la partielle absurdité de l'élément traditionnel des règles communautaires, les interdictions boeuves, garantes des rapports dans les conditions de production, étant maintenus arbitrairement dans la forme nécrosée des interdictions porces :
nous examinons quelques-unes de ces propositions-à-la-tu-peux-tu-dois, relatives au comportement social, qui proviennent d'éthiques anciennes (il n'a pas été facile de lui imposer ce pluriel), ou du moins qui se présentent en elles. finalement je lui soumets une formule pratique. dans l'intérêt de la lutte de classe, il convient de transformer les propositions-à-la-tu-peux-tu-dois, incluant un "espèce de porc !", en propositions incluant un "espèce de bœuf !". celles qui ne se prêtent pas à l'opération sont à éliminer. exemple : la proposition "tu ne dois pas coucher avec ta mère" était jadis une proposition du type "espèce de bœuf !", car dans la société antérieure elle renvoyait à une violente perturbation des rapports de propriété et de production. de ce point de vue, elle n'est plus aujourd'hui du type "espèce de bœuf", mais seulement encore du type "espèce de porc !" au fond, elle est donc bonne à mettre au rebut. [15]
Cette fiction de lois abstraites est fondée sur les rôles définis par une relation à sens unique, qu'on peut se représenter par un miroir sans tain (l'opacité et la transparence ne sont pas question de niveau, de distance, de surplomb, mais simplement de côté). Dans l'histoire des sociétés humaines, ce moment où l'état des mises se fige en règle abstraite c'est peut-être le laps engourdissant entre deux révolutions.
Ausfahrt 5. Beneath the eyes of the great people of Brandenburg, Knut, the cute little white bear leaned compulsively over his private lake and was suddenly dead, suddenly meaning that any knut-shaped by-product was not a transitional object to cuteness anymore, for the great people of Brandenburg, but a tasteless host, a midnight mass money, a pedobear of lack in the world's perfect pic of mashed abundance, for great peoplez of Brandenburg.
Ausfahrt 6. Gulliver et un houyhnhnm (citation arrangée d'après Swift)
Le jeu enfantin, lui, n'apparaît pas comme une construction fictionnelle: il adhère au mythe dans sa version mimologique, pas dans son ersatz culturel. Le genre de vide dont le chevauchant jouit est un jeu pour le jeu, une case vide, un espace pour le ruissellement du "playing" ; ce n'est pas la vacuité de la loi comme condition de la vérité, mais c'est encore une condition nécessaire pour qu'un moment de fausseté, de triche, apparaisse au milieu du scénario ordonné du jeu des adultes. Il se peut ici que l'action intransitive de "jouer" – celle en tout cas dont je m'efforce de décrire la résistance au transitif – soit un état anthropologique particulier qui ignore simplement ce que Nietzsche appelle le "moralisme mensonger", c'est-à-dire l'innocence dans le mensonge manifestée par exemple par la bigoterie du respect inconditionnel de la loi [16].
Le jeu enfantin est une véritable expérience de projection, qui n'est pas liée à un degré d'innocence ou de perversion plus ou moins prononcé chez l'enfant que chez l'adulte, mais simplement à l'ignorance, à la négligence, – en tout cas en l'absence de parents, d'adultes – des ressorts de la dignité. Au moralisme mensonger s'oppose la conscience d'être dupe et la volonté de le rester – état chamanique s'il en est.
En cela, l'enfant n'est pas plus purement révolutionnaire que le révolutionnaire n'est enfant, et pas meilleur que le sauvage ou pas plus sauvage que le bon. Simplement, se fiant à sa duperie, fait l'expérience d'une séparation de la "fausseté" et du "mensonge", qui se tiennent du même côté dans la morale traditionnelle et son domaine d'occupation de la loi adulte.
Le jeu enfantin fait du "faux" la base du mouvement introspectif, épongeant le "ruissellement imaginaire" qui le traverse et le déborde. Ce ruissellement imaginaire, que Barthes oppose au "grand Autre narratif", est la bobine qui déroule le jeu (ou le rejeu). Mais contrairement aux énoncés performatifs d'Austin, le jeu ne se donne pas pour critère le mensonge (au sens houyhnhnm de "dire ce qui n'est pas") ou la vérité; le mensonge y est une série d'erreurs efficaces, d'approximations heureuses, de fausses notes performatives qui obligent constamment à rejouer le morceau du début, maintiennent sans fin la complexité mystérieuse de l'interaction et empêchent l'obstruction du jeu pour le jeu.
Cette habilité, mais aussi ce plaisir, à ne pas se satisfaire de l'aplanissement des mystères (dont Benjamin parle admirablement dans Enfance berlinoise) je l'appellerai "capacités empêchantes" de Petite Anthropos – résistantes est trop connoté, et ne dit pas l'important : Anthropos n'est pas l'actrice surconsciente d'un scénario guindé, mais juste à cheval sur un déroulé qui se fait retourner des scènes à soi-même, se reprend, se rattrape, s'oblige à se reprendre. Un complexe d'attitudes qui ne sait pas se donner en public, trop respectueux des convenances et du temps imposé par le scénario des adultes, mais qui sait resurgir en soi, quand l'occasion secrète se présente d'un rituel, d'un minuscule obsèque social, qui fait comme une éclipse permettant d'aller faire des tours de pouliches, hurlant tranquille et s'étant rassurée dans des odeurs de couches qui font sentir la paille au fond, sur ses propres capacités à faire silence au flux sans stopper le bolide.
Ausfahrt 7. Wir wissen, daß sie dem Kind die Seele des Spiels ist; daß nichts es mehr beglückt, als "noch einmal«. Der dunkle Drang nach Wiederholung ist hier im Spiel kaum minder gewaltig, kaum minder durchtrieben am Werke als in der Liebe der Geschlechtstrieb. Und nicht umsonst hat Freud ein "Jenseits des Lustprinzips« in ihm zu entdecken geglaubt. In der Tat: jedwede tiefste Erfahrung will unersättlich, will bis ans Ende aller Dinge Wiederholung und Wiederkehr, Wiederherstellung einer Ursituation, von der sie den Ausgang nahm. "Es ließe sich alles trefflich schlichten,/ Könnte man die Sachen zweimal verrichten«. (Walter Benjamin, Spielzeug und Spielen)
Fig 1. Cock, piss, shit, fart, piss, hell, shit, cock, fart, shit, piss, fart, cock, cunt, damn, hell, crap, ass, piss, cock, butt, pussy. (Ingmar Bergman, Fanny och Alexander)[1] "Je suis un être qui a besoin d'unifier. Je ne peux pas me disperser. Il me faut, à travers des faits multiples, trouver la loi." (Sorbonne, 14-I-34)
[2] "À faits nouveaux, termes nouveaux. Il fallait donc créer une terminologie assez précise pour étiqueter ces faits sans confusion possible. La création d’un vocabulaire scientifique est une opération délicate qui peut recevoir trois solutions : On peut employer des mots courants avec un sens nouveau. On peut jeter d’emblée une profusion de néologismes. On peut émettre ces néologismes en nombre réduit, mais continuer cette émission pendant de longues années, au fur et à mesure des matières traitées. La troisième solution semble de beaucoup la meilleure, parce qu’elle est la plus humaine dans son inévitable technicité." (La manducation de la leçon, 1950)
[3] Claude-Lévi Strauss, "L'efficacité symbolique", in Revue de l'Histoire des Religions, vol. 135, 1949
[4] Barthes emploie l'expression à propos du roman, mais elle est précisée, dans Les sorties du texte (texte du colloque Bataille de 1972, sur Le gros orteil), dans un développement sur la théorie comme "fiction interprétative" chez Bataille via Nietzsche, qui préfigure le Plaisir du texte : "Bataille assure le truquage du savoir par un émiettement des codes, mais surtout pas une irruption de la valeur […]. Le rôle de la valeur n'est pas un rôle de destruction, ni même de dialectisation, ni même encore de subjectivisation ; c'est peut-être, simplement, un rôle de repos... […] En somme, le savoir est retenu comme puissance, mais il est combattu comme ennui ; la valeur n'est pas ce qui méprise, relativise ou rejette le savoir, mais ce qui le désennuie, ce qui en repose ; elle ne s'oppose pas au savoir selon une perspective polémique, mais selon un sens structural ; il y a alternance du savoir et de la valeur, repos de l'un par l'autre, selon une sorte de rythme amoureux. Et voilà, en somme, ce qu'est l'écriture, et singulièrement l'écriture de l'essai, le rythme amoureux de la science et de la valeur : hétérologie, jouissance."
[5] "De là notre vocabulaire qui paraît si étrange au début, et si simple quand on l'a une fois compris. C'est que, si vous cassez les mots, vous trouvez le réel. Qu'est-ce que le Rythme ? Je le laisse couler devant vous et en vous. Le Geste interactionnel ou propositionnel ? Je le déplie en ses trois phases : agent — action — agi. L'intussusception ? Je vous l'explique. Le Mimisme, les Mimèmes ? Je vous les montre en vous. De là mon rejet des images. Les idées ? Je prends simplement conscience de mes mimèmes. L'Abstraction ? Je vous l'explique dans son geste sous-jacent et nous tombons en plein Concrétisme." (École d'Anthropologie, 2-3-1938)
[6] Garnier & Delamare, Dictionnaire des Termes Techniques de Médecine, 1972 pour la définition donnée.
[7] Ce sens semble exister en français depuis le 17e siècle. Au 19e, un usage métaphorique du terme est fait par des littérateurs, dans le sens d'"assimilation intuitive, spontanée". Balzac l'emploie dans La Duchesse de Langeais et Bathes dans son Réquichot.
[8] Le projet de Monsieur Teste, l'avatar de Valéry, consiste à “mûrir ses inventions pour en faire ses instincts”.
[9] grec: inda, latin: iocare, sanskrit: Krîdati, chinois: wan, blackfoot: koâni.
[10] L'interaction est transitive directe pour Jousse. Il ne dit pas “agent agissant sur un agi”, mais “agent agissant un agi”.
[11] Ce moment fait clairement penser à l'“espace potentiel” de Winnicott, dans le quel l'enfant joue et est joué, cherche et est découvert, en pur empiriste.
[12] Le concept de Spieltrieb, introduit par Schiller, désigne une surabondance d'énergie vitale, où le jeu, essentiellement esthétique, trouve son origine, contribuant à créer une synthèse de deux pulsions, celle de la forme et celle de la sensibilité. On peut le considérer à la fois comme un désir de dépassement et d'emparement.
[13] Cette opposition apparaît comme une alternative – ou une variante – de celle rendue classique par Freud dans Malaise dans la civilisation: “si nous envisageons les rapports entre le processus de civilisation de l'humanité et le processus de développement ou d'éducation de l'individu, nous n'hésiterons pas longtemps à déclarer que tous deux sont de nature très semblable, si même ils ne sont pas des processus identiques, s'appliquant à des objets différents. La civilisation de la race humaine est naturellement une abstraction d'un ordre plus élevé que le développement de l'individu, et par cela même, plus difficile à saisir d'une façon concrète ; d'ailleurs, il ne faut pas céder à la fringale de dépister des analogies. Toutefois, étant donné l'unité de nature des buts proposés : d'une part l'agrégation d'un individu à une masse humaine, de l'autre la constitution d'une unité collective à l'aide de nombreux individus, l'homogénéité des moyens employés et des phénomènes réalisés dans les deux cas ne saurait nous surprendre. Mais un trait distinctif de ces deux processus, vu son extrême importance, ne doit pas être passé plus longtemps sous silence. Au cours du développement de l'homme isolé, le programme du principe du plaisir, soit la recherche du bonheur, est maintenu comme but principal, tandis que l'agrégation ou l'adaptation à une communauté humaine apparaît comme une condition presque inévitable et qu'il nous faut remplir au titre même de notre poursuite du bonheur. Si cette condition était absente, peut-être cela vaudrait-il mieux. En d'autres termes, le développement individuel apparaît comme le produit de l'interférence de deux tendances : l'aspiration au bonheur que nous appelons généralement 'égoïsme' et l'aspiration à l'union avec les autres membres de la communauté que nous qualifions d' 'altruisme'. Ces deux désignations restent d'ailleurs assez superficielles.”
[14] Le but de cette jouissance orientée vers l'assimilation peut être appelé fruition, que Barthes définit, dans le Discours Amoureux, comme la jouissance tendant à l'appropriation absolue. Le mot latin fruitio désigne la jouissance de la possession et de l'usage absolu. La notion chrétienne de fruitio apparaît dans la liste des cadeaux de mariage du christ à l'âme du bienheureux (la "dot" de l'union avec dieu). Le premier cadeau est la visio, qui permet de bénéficier de la lumière divine, le deuxième est comprehensio, qui désigne l'accomplissement du désir, et le troisième est fruitio, le ravissement du sentiment même d'union avec dieu. En droit, "fruition" donne "usufruit", le droit de jouir d'un bien ou d'une propriété. Roland Barthes retient aussi le mot pour ses qualités acoustiques, qui miment "en bouche" et signifient la jouissance de l'union amoureuse : "C’est l’union fruitive, la fruition de l’amour (ce mot est pédant ? Avec son frottis initial et son ruissellement de voyelles aiguës, la jouissance dont [Littré] parle s’augmente d’une volupté orale ; le disant, je jouis de cette union dans la bouche)."
[15] "wir untersuchen einige dieser soll- und darf-sätze, gesellschaftliches verhalten betreffend, die aus alten ethiken (ihm den plural aufzuzwingen war schwer) stammen oder in ihnen jedenfalls vorkommen. am schluss schlage ich ihm eine praktische formel vor. im interesse des klassenkampfs sind vorkommende soll- und darf-sätze, die ein ’du schwein’ enthalten, zu verwandeln in sätze, die ein ’du ochs’ enthalten. Sätze, welche ein ’du schwein’ enthalten und nicht in ’du ochs’-sätze überführt werden können, müssen ausgeschaltet werden. beispiel: der satz ’du sollst nicht mit deiner mutter schlafen’ war einst ein ’du-ochs’-satz, denn in einer frühen gesellschaftsordnung bedeutete er große verwirrung in den besitz- und produktionsbedingungen. was das betrifft, ist er heute kein ’du ochs’-satz mehr, nur noch ein ’du schwein’-satz. im grunde müsste also der satz fallengelassen werden." (la traduction proposée est de Philippe Ivernel).
[16] "La marque distinctive des âmes modernes, ce n'est pas le mensonge, mais l'innocence, incarnée dans le moralisme mensonger. Faire partout la découverte de cette innocence - c'est peut-être la part la plus rebutante de notre travail." (Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale)