Legovil est une revue d’explication. Elle est faite en trois jours, par une vingtaine de gens non triés, dans un endroit qui change à chaque fois.
Qui veut participer à Legovil participe à Legovil. Il suffit de se pointer.
Participer peut vouloir dire écrire, dessiner, coller, découper, siester, manger, faire à manger, faire à siester, etc.
Legovil n'est pas une revue de « contributions ». Ce qui est publié a été fait pendant les trois jours, ou éventuellement en prévision des trois jours.
Les gens présents lors des trois jours sont mentionnés, mais les travaux publiés ne sont pas signés individuellement, et pour cause, ils ont la plupart du temps été conçus collectivement.
Il y a trois contraintes auxquelles c'est Legovil.
1. Être parfaitement sérieux.
2. Être parfaitement badin.
3. Expliquer.
Les contraintes sont moins formelles que fonctionnelles : elles ne sont pas là pour orienter un résultat mais pour informer un processus de travail, nécessairement collectif.
À la fois sérieux et badin veut dire concerné par son propos mais sans souci de son aplomb. Le second degré et la pompe sont proscrits, punis, considérés comme des faits de collaboration.
Expliquer veut dire qu'il va falloir entrer dans le détail des « raisons », sécher ses objets de questions, les faire comparaître, et justifier, donner des détails, donner des gages de didactisme, démontrer, faire cours, se montrer tâtillon, ou pressamment bienveillant, totalement voué à la mission, sachorientiert et zielorientiert.
Expliquer, c’est aussi, suivant la pente molle de l’étymologie : déplier, mettre à plat, étendre, faire du plan, du plain avec le plein du monde, horizontaliser tout ce bordel (aplatir les cartons, les carrures, les carrières).
D’où la vocation didactique de la revue ; l’explication est un travail de nivellement user-oriented qui joue à la synthèse :
nous avons lu (le monde) pour vous.
En même temps, expliquer le monde au monde est le projet grotesque et grossier de qui se vit comme unique non-dupe. (Un des personnages de Coluche, prototype du Français raciste et leçonneur, a pour ritournelle : « Je m’énerve pas, j’explique aux gens ».)
Expliquer, en ce sens, c’est s’affermir en affirmant : plus on assène, plus on joue du registre judicatoire — celui d’une supposée vertu du langage clair dans l’éclaircissement de l’objet de la pensée —, en un mot, plus on constitue et maintient son objet comme objet de litige, et plus on (se) donne l’impression, nettement franchouillarde, de dominer son sujet.
Legovil est une revue d’explication, mais d’une explication qui ne fait pas place à la domination du sujet.
En revanche, c’est un empire du thématique : on parle de, on parle sur, on prédique sauvagement et ce qu’on prédique est pris comme exemplaire exemplaire de tout le reste.
Il n’y a rien dont Legovil puisse dire que ce n’est pas son sujet, au sens de son thème.
Legovil est sous-titrée « revue bistable ». « Bistable », « multistable », sont des termes relatifs à certaines théories de la perception, notamment la visuelle. Une image multistable est une image sujette à des perceptions concurrentes mais nécessairement successives. Un exemple est l’image bistable du « canard-lapin ».
Devant une image multistable, l’aperception consisterait, selon la Gestalttheorie, dans une clarification décisive : l’œil, l’oreille (en fait la almighty TÊTE, la grosse Kopf à son sujet-sentant) rapatrie dans le connu l’inconnu, dans le déjà-vu l’inouï, dans la forme l’informe (taches, nuages…), dans l’univoque l’équivoque. Le cerveau-à-son-humain tranche les ambiguïtés.
À partir de là, souvent, la psychologie laisse libre cours à sa passion du profilage : si tu vois d’abord le lapin, tu es orgueilleux et tourné vers l’avenir ; si tu vois d’abord le canard, tu es placide et réfléchi, ou l’inverse, ou n’importe quoi d’autre et l’inverse à chaque fois.
L’image bistable présente en fait un cas particulier — et particulièrement simple (l’œil du canard-lapin est le point d’appui, l’indice de polarisation d’une face ; le bec-oreilles est l’indice directionnel) — de la paréidolie.
La qualité la plus remarquable d’une paréidolie est probablement que, comme pour une image multistable, sa perception est irréversible. Une fois apparue, il est impossible de s’y soustraire, en même temps qu’il est impossible de ne pas à chaque fois la voir apparaître.
Ce qui est important, c’est qu’en dépit de la mise au point devant une image multistable, en dépit de cette focalisation par le connu, une fois qu’on a vu les deux formes connues sur l’image, on ne peut plus les oublier ; mais on ne peut pas non plus les voir simultanément. On peut passer de l’une à l’autre, mais on doit se désarrimer de l’une pour aborder l’autre, et vice versa.
Pour Legovil, le régime de la bistabilité appelle, sur le strict plan rhétorique, une indistinction entre l'adhésion fervente et la distance cauteleuse — en dépit du fait que toute lecture rapatriera dans l’un ou l’autre registre.
Mais cette indistinction est conjonctive : ce n’est pas ou bien... ou bien..., c’est et... et... Le but n'est pas de tenir une équivoque mais de faire coup double à chaque fois : être à la fois strict-parleur et licencieux, pinalleur et sagouin.
Legovil n’est pas spécialement une revue de littérature ou de poésie (c’est aussi bien un manuel de poche, une encyclopédie des 9–12 ans, un site internet papier d’auto-médication).
On peut écrire au : legobistable chez gmail point com