Parmi les façades, en taches alternées d’ombre et de lumière — ou plutôt, de lumière et de moindre lumière — le matin se déverse sur la ville. Il semble qu’il ne jaillisse pas du soleil, mais de la ville elle-même, et que ce soit des murs et des toits que la lumière déferle — non pas d’eux physiquement, mais plutôt de leur présence en cet endroit. J’éprouve, à la voir, comme une grande espérance : mais je reconnais que cette espérance est toute littéraire. Matin, printemps, espoir — ils se trouvent liés musicalement par une même intention mélodique ; ils se trouvent…
J’envie — sans bien savoir si je les envie vraiment — ces gens dont on peut écrire la biographie, ou qui peuvent l’écrire eux-mêmes. Dans ces impressions décousues, sans lien entre elles et ne souhaitant pas en avoir, je raconte avec indifférence mon autobiographie sans faits, mon histoire sans vie. Ce sont mes Confessions, et si je n’y dis rien, c’est que je n’ai rien à dire. Que peut-on donc raconter d’intéressant ou d’utile ? Ce qui nous est arrivé, ou bien est arrivé à tout le monde, ou bien à nous seuls ; dans le premier cas ce n’est pas neuf,…
Je relis passivement – et j’en retire comme une inspiration, comme une délivrance – ces phrases toutes simples de Caeiro, parlant tout naturellement des dimensions modestes de son village, et de ce qui en découle. De là, dit-il, et parce que son village est tout petit, on peut voir davantage de l’univers que depuis la ville ; c’est en quoi le village est plus grand que la ville : « Parce que j’ai la dimension de ce que je vois, Et non pas celle de ma taille » Des phrases comme celles-là, qui semblent pousser toutes seules, sans être dictées par une volonté quelconque,…
Tout cela passe, et tout cela ne me dit absolument rien, tout est étranger à mon destin – et même étranger à son propre destin : un mélange d’inconscience, de ronds à la surface de l’eau quand le hasard y jette des cailloux, d’échos lointains de voix inconnues – salade collective de l’existence. Fernando Pessoa Le Livre de l’intranquillité Françoise Laye Christian Bourgois 1999 Livro do Desassossego composto por Bernardo Soares, ajudante de guarda-livros na cidade de Lisboa, 1982 44 0…
Tout le mal du romantisme provient de la confusion entre ce qui nous est nécessaire et ce que nous désirons. Nous avons tous besoin de choses indispensables à la vie, à son maintien et à sa continuité ; et nous désirons tous une vie plus parfaite, un bonheur total, la réalisation de nos rêves […] Il est humain de vouloir ce qui nous est nécessaire, et il est humain aussi de désirer, non ce qui nous est nécessaire, mais ce que nous trouvons désirable. Ce qui est maladif, c’est de désirer avec la même intensité le nécessaire et le désirable, et…