Imaginez un prestidigitateur qui, las d’abuser de la crédulité de la foule qu’il a entretenue jusqu’ici dans une illusion mensongère, se propose un beau jour de substituer à son plaisir d’enchanter celui de désenchanter, à rebours de tout ce qui fait généralement l’objet de la vanité et quitte à perdre à jamais le bénéfice qu’il tirait de sa réputation de faiseur de miracles. Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas par un tardif mais louable souci d’honnêteté qu’il lui vient la fantaisie de livrer ses recettes une à une avec la froide minutie d’un horloger qui démonte une horloge,…
Je me regarde souvent dans la glace. Mon plus grand désir a toujours été de me découvrir quelque chose de pathétique dans le regard. Je crois que je n’ai jamais cessé de préférer aux femmes qui, soit par aveuglement amoureux, soit pour me retenir près d’elles, inventaient que j’étais un vraiment bel homme ou que j’avais des traits énergiques, celles qui me disaient presque tout bas, avec une sorte de retenue craintive, que je n’étais pas tout à fait comme les autres. En effet, je me suis longtemps persuadé que ce qu’il devait y avoir en moi de plus attirant,…
Quoi qu’il en soit, il y avait ceci de bien clair : tandis qu’en pénétrant dans ce dancing, je n’étais qu’un personnage obscur et négligeable, je jouissais maintenant d’une certaine considération de la part de gens qui généralement ne respectent et n’admirent que plus puissant qu’eux, et je tirais de cette constatation un sentiment d’orgueil démesuré qui n’est sans doute pas étranger au fait que ma crise, à l’encontre des précédentes, revêtait un caractère d’ostentation d’autant plus surprenant que j’ai toujours jugé insoutenable l’exhibitionnisme chez autrui. Mais en société, quand je ne m’inquiète pas de passer inaperçu et de voir sans…
Je n’aperçois dans ce qu’on nomme noblement confession que le très coupable et très coûteux exercice d’une faiblesse et personne ne m’empêchera de tenir pour particulièrement suspecte une amitié où chacun s’applique sans cesse à provoquer chez l’autre de précieuses confidences. Je ne me souviens pas d’avoir assisté au spectacle trop fréquent de deux hommes au teint congestionné qui se penchent l’un vers l’autre avec des airs attentifs, émus et souriants par dessus une table où refroidissent, parmi un lot de bouteilles vides, les reliefs d’un repas substantiel, voyez vous-mêmes comme ils jouent à se sentir compris et, la tête…
Se taire, non, il n’en avait plus les moyens, même s’il connut un tremblement de haine et d’effroi à entendre sa voix remonter de l’abîme où il croyait l’avoir à tout jamais précipitée et perdue. Non, il n’était déjà plus de force à lui résister : évanouie seulement, voilée peut-être, mais encore là, insistante, inébranlable, comme pour le prendre en défaut de vigilance et le rejeter dans un nouveau tourment. Avoir faim et froid pour s’être coupé de ses ressources, un moyen comme un autre, et moins brutal, à condition de ne pas tirer orgueil de ce dénuement voulu qui n’est…
A mesure que j’avançais dans la vie, mon indifférence allait s’accroissant, rien ne me semblait valoir la peine d’aucun effort, et il en résultait que mon avidité n’était plus dirigée comme autrefois vers des idées de revanche ou de conquête : elle aspirait au contraire à ce qui saurait m’en délivrer. C’est qu’aujourd’hui le fracas des combats me répugne et me lasse, et j’en veux à mort à qui m’arrache de force à mon indifférence. Ne rien entreprendre, veiller, attendre, veiller… Louis-René Des Forêts Le Bavard L’imaginaire / Gallimard 1973 1946 129–130 0…