• Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 17 01 16

    Le mou­ve­ment de l’expression est-il pos­sible à par­tir du dis­cours inté­rieur, dis­po­sé au-dedans ? Le mou­ve­ment ver­bal se com­prend si le logos endia­thè­tos, le dis­cours posé dans l’intimité, dans l’intensité sans résis­tance de quelqu’un, n’est pas un dis­cours sépa­ré du logos pro­pho­ri­kos, du dis­cours avan­cé au dehors pour s’exposer à la per­cep­tion d’autres sor­tants. Un domaine pure­ment imma­nent, où résident les concep­tions intimes, ne peut expli­quer qu’un lan­gage inté­rieur s’exprime, c’est-à-dire sorte de lui-même, donne forme exté­rieure à l’énoncé intense ou depuis cette inté­rio­ri­té sor­tante, s’exposant de soi en soi. Une dis­po­si­tion interne pro­fé­rante, une pro­fé­ra­tion interne, un com­men­ce­ment d’exposition, ou une…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau

    Dans Le Masque et la Lumière, Zumthor à la fois constate qu’en régime pro­si­mé­trique « la fron­tière entre prose et vers manque de net­te­té » et pro­pose de dis­tin­guer le « pro­si­mètre inté­gré » ou sys­té­ma­tique du « pro­si­mètre occa­sion­nel ». Et s’« il y a un terme com­mun, non négli­geable » au vers et à de la prose, qui est la rhé­to­rique, c’est aus­si que l’enjeu du pro­si­mètre est para­doxa­le­ment poli­tique : il doit ordon­ner un monde chao­tique en attes­tant un désordre for­mel. Attestation sati­rique : le mélange ne ren­voie pas, au départ, à une fusion des gene­ra dic­ta­mi­num. Le dic­ta­men pro­si­me­tri­cum n’implique aucu­ne­ment le mariage ori­gi­naire du…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau

    Curtius rap­pelle que poe­sis, poe­ma, poe­ti­ca, poe­ta sont des mots peu employés au Moyen Âge : « la poé­sie, en effet n’était pas recon­nue comme un art en soi. Au début, il n’existait même pas de mot signi­fiant “com­po­ser” (dich­ten). On employait alors des péri­phrases telles que metri­ca facun­dia,metri­ca dic­ta, tex­tus per dic­ta poe­ti­ca scrip­tus, ou un verbe comme metri­care, “faire des mètres.” » Le poème dicte un dit dans un dire. Il inef­face (exhibe) le dire dans le dit et le dit dans le dire. « Dictare signi­fie à l’origine dic­ter. Dès l’Antiquité, on avait cou­tume de dic­ter non seule­ment les lettres,…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 29 07 17

    L’axiome unique de la poé­sie est : “Tout ce qui par­ti­cipe de l’être (…) a un nom. Le dif­fi­cile est de l’inventer.” Ce n’est pas pour rien que la poé­sie uti­lise, pour cette inven­tion inouïe, les res­sources maxi­males de la dif­fé­rence, y com­pris sonore, entre noms de la langue héri­tée. » L’axiome que for­mule Badiou dans L’antiphilosophie de Wittgenstein (2009) éta­blit que « la poé­sie est une pen­sée » par la nomi­na­tion. « Il faut réin­tro­duire la nomi­na­tion dans la pen­sée », contre Wittgenstein. Le poème n’est pas « une ins­tance ver­bale du silence ». Cela revient, pour la poé­sie, à enter Joyce (le nom déter­mi­nant la phrase)…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 17 01 16

    Contre Benn, qui dit : « Un Gemüt ? Je n’en ai aucun. » « Gemüt ? Gemüt habe ich keines. » Dans Die Struktur der moder­nen Lyrik, Hugo Friedrich reprend à son compte le thème des Probleme der Lyrik de Benn (1951). Ainsi se ren­force une doc­trine sans cœur de la poé­sie, dou­blée d’une doc­trine de la poé­sie sans cœur, c’est-à-dire sans foyer pro­blé­ma­tique, sans intel­lect ryth­mique, « ins­tinct logique » ou ins­tinct for­ma­teur, imma­nent et recons­ti­tuable. Car c’est exac­te­ment ce que désigne, quoi qu’il en soit, le mot cœur ; Empédocle dit que le cœur est le lieu des pen­sées, pen­sées qui se pensent ou pen­sées impuis­santes à se…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 29 07 17

    Dans un sen­sible de langue, nous tra­çons ce qui se dicte insen­si­ble­ment sous le nom de phi­lo­so­phie (à charge d’effacer le tra­ce­ment), pour le meilleur et le pire. Le pire se nomme d’un côté le poé­tisme, le goût de l’horizon comme hori­zon, ou du champ comme champ (le goût du phra­se­ment dans le tra­cé), et le phi­lo­so­phisme, de l’autre côté, pur goût de l’effacement de l’horizon ou du champ des mots qui s’imposent à la pen­sée, oubli que l’effacement du tra­cé est une dif­fi­cile condi­tion du phi­lo­so­pher en langue. Philippe Beck Contre un Boileau Fayard 2015…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 17 01 16

    Avant de (croire) choi­sir, le plus sou­vent les écri­vains confondent la prose avec de la prose. Les défen­seurs de « la prose » (laprose) pensent qu’il y a une seule prose, la prose sou­ve­raine (le gou­ver­nail sans frein). Or, cette prose est sou­vent décla­rée à venir. Souvent ou tou­jours. Les défen­seurs, les amants de la prose qui vient, croient que la prose unique se tient à hau­teur de la vie vraie, indé­ro­bée, bru­tale comme sa misère consti­tu­tion­nelle, sa vie nue : sa matière tra­hie ou ines­thé­ti­sée. En prose cri­tique véhi­cu­laire, la vie vou­lue, inac­ces­sible et côtoyée, s’appelle tou­jours la prose du monde, le…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 29 07 17

    Qu’il y ait de la pen­sée ou de la véri­té for­mée dans le poème jus­ti­fie la recons­ti­tu­tion en sa sépa­ra­tion et sa concep­tua­li­sa­tion rela­tives. La recons­ti­tu­tion poé­tique peut affec­ter la recons­ti­tu­tion phi­lo­so­phique, pour­vu que celle-ci se déploie dans son ordre déci­deur, c’est-à-dire en inté­rio­ri­té conti­nuée, fidèle au pro­cès du poème. D’où un manuel ouvert. Il y a une inté­rio­ri­té de la phi­lo­so­phie à ses moda­li­tés, dont l’art poé­tique ne traite pas. Philippe Beck Contre un Boileau Fayard 2015…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 17 01 16

    À sup­po­ser qu’il y ait « de bons vers, de mau­vais vers, et le chaos » (T. S. Eliot, 1917), le pro­blème de l’histoire chao­tique et de ses ban­deaux n’est pas réso­lu. Même les vers de Frost parlent de la forme visée dans l’informe : « que souffle le chaos !/ que se fondent les nuages !/ j’attends ce qui a forme ». Les nuages sont des formes sans formes. Meschonnic inten­si­fie la contra­dic­tion en décla­rant : « Il ne s’agit pas d’opposer des formes à une absence de formes. Puisque l’informe est encore une forme. » Mais si « la liber­té n’est pas plus un choix qu’une absence…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau 16 01 16

    La haine de l’art (la haine de la mort informe, de la brume sans effet, qu’il semble por­ter), la haine que l’art peut se vouer s’il sty­lise le chaos mal­gré lui, s’il met en forme la dis­per­sion, n’est pas le propre de l’art. Une excep­tion le prouve : le poème. La haine de la poé­sie, si le terme de haine attire, est le propre de la poé­sie ; elle se défie nati­ve­ment de son « esthé­tique », de son charme vorace, du pro­cès de for­ma­li­sa­tion, de mise en forme signi­fiante. La méfiance peut avoir nom Dionysos. Et c’est une haine double : a) pour la…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau

    La lit­té­ra­ture a aus­si ins­pi­ré la musique dans sa forme. Par exemple, les titres des Märchenbilder (« Images de contes ») pour alto et pia­no opus 113 (1851) et des Märchenerzählungen (Récits de contes) pour cla­ri­nette, alto et pia­no opus 132 de Schumann (1853) sont des réfé­rences expli­cites au Märchen, au conte. La notion de la Märchenerzählung montre que le texte musi­cal raconte à nou­veau ce que le conte dit à sa manière. La musique ne met donc pas en rythme et mélo­die un récit ; elle raconte dans son médium. Elle est récit au car­ré, ou sens au car­ré, et de façon très…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau

    Récitatif sobre et didac­tique, au mieux ou dans l’i­dée sen­tie. Il navigue entre deux vagues puis­santes et qua­­si-régnantes. D’abord, la vague empha­tique ordi­naire et « per­sienne », aux nom­breuses varié­tés, aux plu­sieurs degrés de talents, qui fran­chissent le pas, et tendent à confondre chan­son et chant, ou plu­tôt chant poé­tique et chant musi­cal strict. Ensuite, la vague de prose, qui confond la sobrié­té et le carac­tère indif­fé­ren­cié et pédestre des varia de la prose du monde (nour­ri­ture de la prière laïque, matin, midi et soir). Philippe Beck Contre un Boileau Fayard 2015 fr…

  • Philippe Beck ⋅ Contre un Boileau

    Une fois que la dif­fé­ren­cia­tion des genres s’est impo­sée pour se recom­pli­quer,i.e. depuis que les tra­gé­dies en prose, au xvii e siècle, ont pré­pa­ré le ter­rain au poème en prose, le phé­no­mène aujourd’hui recons­ti­tué par l’histoire lit­té­raire n’a pas empê­ché Rimbaud de tenir Racine pour le plus grand poète fran­çais (ce que ne diraient pas obli­ga­toi­re­ment les « per­for­mers » de main­te­nant, à l’inconscient rim­bal­dien). Philippe Beck Contre un Boileau Fayard 2015 fr…