Avant de (croire) choisir, le plus souvent les écrivains confondent la prose avec de la prose. Les défenseurs de « la prose » (laprose) pensent qu’il y a une seule prose, la prose souveraine (le gouvernail sans frein). Or, cette prose est souvent déclarée à venir. Souvent ou toujours. Les défenseurs, les amants de la prose qui vient, croient que la prose unique se tient à hauteur de la vie vraie, indérobée, brutale comme sa misère constitutionnelle, sa vie nue : sa matière trahie ou inesthétisée. En prose critique véhiculaire, la vie voulue, inaccessible et côtoyée, s’appelle toujours la prose du monde, le lieu mythique et profane. Or, la prose mondaine étourdit, fascine l’intellect inquiet. Elle a ses raisons. Elle empêche aussi l’élan du raisonnement en fascinant les yeux ouverts. Le fasciné parle déjà. Il croit souvent sublimer son arrêt (son suspens) en le disant. Les tenants d’une prose après le poème voient en elle l’informe du réel. (Car la vérité du « monde sensible », c’est la misère, selon une gnose de la prose.) L’idée se défait, puisque la prose n’existe pas et s’annonce toujours. Pour Flaubert et Baudelaire, il n’y a pas la prose, il y a des proses, ondulantes. Ou une, ou deux, à faire. Jusqu’ici, malgré Fénelon, malgré le roman et ses puissances, la prose n’a pas été définie une activité qualifiée, ineffaçant l’effacement de la forme ; elle cherche une forme. Elle est indéterminée. Sa force est d’être indéfinie. Une activité formelle spéciale, contestée, plurielle, s’appelle poésie.
17 01 16