17 01 16

Avant de (croire) choi­sir, le plus sou­vent les écri­vains confondent la prose avec de la prose. Les défen­seurs de « la prose » (laprose) pensent qu’il y a une seule prose, la prose sou­ve­raine (le gou­ver­nail sans frein). Or, cette prose est sou­vent décla­rée à venir. Souvent ou tou­jours. Les défen­seurs, les amants de la prose qui vient, croient que la prose unique se tient à hau­teur de la vie vraie, indé­ro­bée, bru­tale comme sa misère consti­tu­tion­nelle, sa vie nue : sa matière tra­hie ou ines­thé­ti­sée. En prose cri­tique véhi­cu­laire, la vie vou­lue, inac­ces­sible et côtoyée, s’appelle tou­jours la prose du monde, le lieu mythique et pro­fane. Or, la prose mon­daine étour­dit, fas­cine l’intellect inquiet. Elle a ses rai­sons. Elle empêche aus­si l’élan du rai­son­ne­ment en fas­ci­nant les yeux ouverts. Le fas­ci­né parle déjà. Il croit sou­vent subli­mer son arrêt (son sus­pens) en le disant. Les tenants d’une prose après le poème voient en elle l’informe du réel. (Car la véri­té du « monde sen­sible », c’est la misère, selon une gnose de la prose.) L’idée se défait, puisque la prose n’existe pas et s’annonce tou­jours. Pour Flaubert et Baudelaire, il n’y a pas la prose, il y a des proses, ondu­lantes. Ou une, ou deux, à faire. Jusqu’ici, mal­gré Fénelon, mal­gré le roman et ses puis­sances, la prose n’a pas été défi­nie une acti­vi­té qua­li­fiée, inef­fa­çant l’effacement de la forme ; elle cherche une forme. Elle est indé­ter­mi­née. Sa force est d’être indé­fi­nie. Une acti­vi­té for­melle spé­ciale, contes­tée, plu­rielle, s’appelle poé­sie.

Contre un Boileau
Fayard 2015
baudelaire compétence déterminé/indéterminé fascination fénelon flaubert forme/informe généraliste/spécialiste impéritie poésie/prose roman spécialité