Plus ay desir, crainte d’aultre part sonne.1
At vindicta bonum vita jucundius ipsa.2
1
Quiconque a des yeux pour voir aura l’occasion, focalisant sur le gros de notre cohorte, promo, groupe-classe, génération ; quiconque fait crédit à ses yeux pourrait estimer, au jugé, sans besoin de zoomer jusqu’à lire les chiffres sur nos t‑shirts « J’aurai X ans en l’an 2000 » ; quiconque, levant les yeux juste au-dessus du Socle commun où l’on nous a perchés, pourrait constater qu’une majorité d’entre nous, numéreuse et compacte, a validé, faute de la maîtriser, la compétence« Je communique. », et ses sens ne trahiraient pas qui, ventilant par sexe et par classe et tombant sur un nous plus restreint mais pas moins assuré, constaterait que « J’argumente à l’oral. », l’air facile, poussant parfois le raffinement jusqu’à « J’adapte mon niveau de langue selon mes interlocuteurs et les situations. » Mais ce constat ne pourrait pas ne pas être doublé d’un autre : que c’est précisément perchés, juchés, pleins de mérite et pleins d’honneurs, sur le Socle commun de connaissances et de compétences (et non barbotant à son pied dans les encouragements, ni s’y agrippant comme à un radeau dans l’écume) ; que c’est précisément juchés, vissés, exposés sur le Socle que nos compétences, comme la dignité de qui vient de se faire sharker au milieu du préau, semblent pâles au regard de nos insuffisances :Je n’ai de dents que pour ma propre chair, de langue que pour ma propre bouche, de bite que pour mes propres doigts.Je ne me connais pas de muscle, sauf peut-être le poignet droit.
Parlons insuffisance, qualités décisives, démunitions criantes.
Certifié demi-portion depuis la cour d’école, et contemporainement diagnostiqué no life, le projet d’orientation s’appelle Vivre à moitié parce que c’est déjà ça. Les larmes, jusqu’ici vaines, sont mises à profit pour diviser l’âme : une part qui berce, l’autre qui réveille en sursaut. Et pour le plan de la journée sans lequel il n’y a pas de salut, c’est la division coutumière qui s’impose (AM/PM), à condition de s’empêcher de jouir avant treize heures du soir de sa négativité sans emploi – car Les autres ont une vie., tu sais.
Les autres ont une vie., hein, et si à ton image ils ne manquent pas de soi, ils ne sont pas non plus seuls avec leur soi ballant : contacts, appels, boxe française, DIY, BDSM, auto-défense, Ligue des champions, groupe de lecture du Capital… tandis qu’abattu chaque jour à la mi-journée par une asthénie postprandiale, nous n’avons jamais eu, et encore qu’une
saison, la foi que pour après-midi piscine.
(Et le créneau matutinal ? Nos ami·e·s les chômeur·euse·s de catégorie A, B, C, savent depuis longtemps qu’il est consacré à dire à des gens qui disent qu’on ne veut pas ce qu’on peut qu’en fait on ne peut
pas ce qu’on veut : Actes positifs de recherche d’emploi. – préfère l’impair, ça tient éveillé.)
2
L’offre eschatologique était déplorable.
- En faisant ce que tu dois, tu feras le tri dans ce que tu peux, et tu te laisseras enseigner ce que, au fond, tu veux vraiment.
— Mouais… - En faisant ce que tu peux (ton maximum), tu feras ce que tu dois (car on ne peut exiger de toi plus et mieux que ton maximum), et tu n’auras pas eu à te poser la question de ce que tu voulais.
— Bof. - En faisant ce que tu veux (à ta guise plutôt que selon ta volonté), tu feras ce que tu peux (et c’est quand tu es le mieux désirant que tu es le plus puissant), et tu auras en fin de compte fait ce que tu devais (mais tu ne t’en rendras compte qu’à la fin).
— J’y réfléchis et je vous rappelle.
Le problème avec les récits de sauvetage, ce n’est pas tant qu’ils s’enchaînent à toute blinde ou se superposent de sorte que le catalogue est vite illisible – un certain flou quant à son sort passe même pour la condition d’une bonne aventure. Le problème avec les récits de sauvetage, c’est plutôt qu’on vous les prétendra disponibles, au choix, à la carte, sur la Base du Volontariat (qui n’est pas une zone floutée dans le désert névadien, mais une station du cœur de chaque Républicain), alors que de toute évidence il est facile de constater qu’ils ne sont pas disponibles comme ça, au sens où on pourrait y piocher et se composer une raison éclectique composée de raisons de se lever le matin et continuer à vivre ; ils sont disponibles au sens où il faut s’en choisir un et s’y tenir, ou alors en changer mais pas trop souvent, et accompagner ces changements d’une dramatique de conversion : trombones, caisse claire, marée d’archets synchronisés, ou : soudaine éclatante variation de registre – bavard devenu taciturne, toxicomane ascète, brave garçon meurtrier de masse, demi-portion super-héros c’est parti, on gonfle la poitrine, on pousse sur ses jambes, sky is no limit, JE METS MES CHAUSSURES JE METS MA CULOTTE JE METS MA CHEMISE JE METS MON CHAPEAU JE METS MA SOUS-DOUDOUNE JE PRENDS MON UZI et à trois je vais FAIRE DU BIZNESS un, deux, trois : conforté dans son être de n’être ni plus que TOUT ni moins que rien, on réaccorde sa personne à la personne du monde, on cale ses propres formes sur celles de l’orbe intégral, ni plus ni plus moins, pas trop haut pas trop bas comme un cul qui épouse, qui ventouse parfaitement la lunette des chiottes, et c’est ainsi que, le cul bordé, le torse beurré du contentement d’avoir un monde à soi, à soi ajusté, pour soi calibré, on sort sur le perron du monde pour annoncer que c’est FINI DE JOUER, CAPS LOCK ON, amok verbal, fin des paroles à blanc maintenant je vais FAIRE ok ? je vais FAIRE PREUVE D’INITIATIVE je vais TUER LA CONCURRENCE je vais CRÉER UNE ENTREPRISE ok ? – et on s’apprête avec éclat, comme tout phraseur au futur proche s’étant supposé un public, on s’apprête avec toute notre nouvelle ambition dont le monde est l’écrin, la niche, la forme idoine, à
MONTER UN BIZNESS – une question de quelques années, un cursus un peu coûteux mais expresse, et sûr, la voie royale on y est né tkt, je vais OUVRIR UN COMPTE PRO je vais LAISSER LES AUTRES DANS LE RÉTRO, après tout je suis un bourgeois, c’est pour ça qu’on m’a fait, c’est pour ça que je suis venu au monde, on voit bien que la plupart ils n’y sont pas vraiment ; on les a foutus là sans chercher à savoir et ils n’essaient même pas, ils s’agitent autour du projet d’accéder au crédit et de poser des RTT, c’est ridicule, c’est terrifiant, ça suffit c’est fini maintenant, je vais CRÉER UN BESOIN UNE INTERDÉPENDANCE UNE CONNEXION IRRÉMÉDIABLE et ma vie accomplie sera une faciale intégrale à la face du monde intégral.
comme nos pères prenaient femme.
3
Je compte sur mes doigts (difficile au-delà de 20).Je compte sur mes forces (jamais au-delà de 1).Je recompte mes points à la récré jusqu’à la fin de la récré.(comme Lutgarde de Tongres, future sainte qui, craignant régulièrement d’avoir bafouillé sa prière (et qu’une prière bafouillée fût irrégulière), récitait plusieurs fois chaque prière du jour, de sorte qu’à la fin d’une prière exigée par telle heure, elle était rendue sur le seuil de l’heure de la suivante.)
Je suis le même perso à chaque reboot matutinal
, comptant recomptant tout le cours jusqu’au quart de point, cherchant la faille dans le barème, le mou dans la consigne, la moindre occasion de grappiller ; et la nuit pareil comptant recomptant jusqu’au moindre mouton de l’exercice hypnagogique, puisqu’au moment tant espéré du commencement du lâcher prise, la frayeur nous prend d’en avoir sauté un ; ou alors on s’égare dans la considération des particularités de chaque mouton, le mouton générique sur lequel repose l’efficacité de la méthode s’effritant en une série de moutons toujours plus singuliers, et de singuliers touchants, et de touchants attachants, et voilà que nous voilà, 00h43 au compteur, qui au lieu de dormir nous angoissons d’avoir développé un nouveau faible émotif pour une bête à poil. (Nous sommes de la première génération du mignon, celle pour qui est bel et bon ce qui est innocent des yeux, c’est-à-dire surtout ignorant de sa condition, et nous avons globalement toujours jugé des bontés et des beautés sur ce mode : S’il ne sait pas qu’il est beau, il est d’autant plus beau.S’il ne se rend pas compte qu’il est bon, il est meilleur d’autant.Toute conscience manifeste d’être l’un ou l’autre gâchait la qualité en annulant la vertu.)
Au début du 20e, lors d’interrogatoires qui serviront à établir les tests d’âge mental, des petits Parisiens normaux de dix à douze ans, qui souvent n’ont jamais vu ni un papillon, ni même la Seine, tentent de répondre à une question simple :« — Quelle différence y a‑t-il entre le papier et le carton ?— L’autre, c’est du papier ; l’autre, c’est du carton aussi.— Non.— Le papier c’est blanc ; y’en a aussi qu’est blanc du carton.— Non. »Et à la question de la différence entre une mouche et un papillon :« — La mouche n’est pas faite comme le papillon.— Précisez.— La mouche vole ; le papillon aussi. »
Une lecture littérale (symptomale ?) de ces réponses – obtuses en apparence en ce qu’elles semblent amalgamer différence et ressemblance – révélerait peut-être une vérité idiomatique supérieure, aussi exprimant, dans son acception de cour d’école, autant la distinction que la similarité, et moi aussi une protestation de singularité aussi vive, aussi valide, aussi fondée que « moi plus » ou « moi d’abord » – comme tendent à le prouver certains usages de pointe :
« Eh ben moi aussi d’abord. »
4
Avant, avant, et même avant avant, les gens ne voulaient que ce qu’ils pouvaient ; du coup ils pouvaient tout ce qu’ils voulaient. L’orgueil était impossible, de même que la frustration. Nulle schize, zéro nudge. La volonté mordait l’action, d’ailleurs c’était sa queue. Vivre égalait agir, et ça suffisait à être soi-même. De nos jours, pour la personne P1, c’est poème confessionnel ou TED Talk – glorieux symptôme ou fail better… Comment voulez-vous qu’on VEUILLE
?
Ah mais que tu le veuilles ou non tu auras été un né-puis-mort-quelque-part-à-deux-moments-donnés et, quels que soient tes efforts pour ne pas bouger, cette simple trajectoire aura attesté un mouvement. Avoir été chaque jour plus-près-de-la-fin-que-la-veille aura été ton œuvre en vue de te sauver. Souvent nous crûmes pouvoir – gardant le lit, coupant le tél, partant élever des chèvres dans le Cantal… – égaler la belle impassibilité de la nature et ne pas avoir à compter. Souvent nous crûmes pouvoir ne pas avoir à faire. Mais de jour en jour tu t’es réveillé plus vieux, la barbe plus fournie, les poils plus longs dans tes oreilles. La nature est en toi ; elle y restera. Elle n’engraissera pas le jardin des raisons d’être. Elle ne renflouera pas le parc des raisons d’agir. Elle n’aidera pas à éviter les destins qui frôlent, et pas que rétrospectivement :Sans vie de 13 à 93 ans, puis la mort.Fatale crise d’épilepsie après 35 h sur Half-life.Incel de forum Aviation suicidant avec lui les 20 % les plus bg de la promo, plus ou moins altruistement puisque s’ils sont ce qu’ils sont c’est qu’ils sont de[C]es autres [qui] ont une vie., ayant leur vie comme ils ont leur beauté : sans y penser
– alors qu’il ne nous faut pas, nous, beaucoup plus de 2 choix pour, comme poly-allergique devant la carte des desserts, nous mettre à la torture qu’on appellera chipoter :Nous voudrions ne vouloir que ce que nous pouvons, sans avoir le sentiment de jamais le devoirmais nous ne pouvons pas savoir ce que nous pouvons avant d’avoir essayé de le pouvoir,et nous ne pouvons pas essayer de le pouvoir sans avoir voulu le pouvoir. Ô ! Combien de degrés abrupts, combien de virages serrés nous séparent de l’action dont nous sommes présumé·s capable·s, de l’accomplissement qui égale la valeur qu’on se ou qu’on nous prête dans le monde, qui réalise les capacités dont on déplorait l’inexploitation sur les bulletins scolaires ?
5
Ce que nous devrions : le maximum.Ce que nous pourrions : mieux.Ce que nous voudrions : autant pour le même prix.Ce que nous devrions vouloir : plus.Ce que nous voudrions pouvoir : plus.Ce que nous devrions savoir : les efforts finiront par payer.Ce que nous saurions si nous pouvions y croire : rien de salvateur que des récits de sauvetage.
Et voilà que, à force et à l’occasion d’embarras de ce genre, commence à s’exhiber, de nous, un contour figurable. Notre travail : ne jamais en tracer les bords, au risque de se faire une place sur le parking des existences ou au musée des formes de vie. On nous a forgé·s dans l’école, sa cour ; de là nous tenons notre unique certitude : la vengeance est meilleure que la vie (meilleure affaire, meilleur goût dans la bouche) ;
et voilà que prend forme, in-sensiblement, c’est-à-dire dans la région basse de notre perception toujours prise de vitesse par les lenteurs cosmiques, par les lenteurs nature (lunaisons, feuillaisons, maturations, révolutions…) ;
voilà que s’impose le pronom qui comprime et résume, qui lexicalise le refuge, le retrait, la sécession prudente et presque inaperçue ;
voilà que se déclare le sujet du pronom qui démarre les formules par lesquelles une damnation se fait choix, un stigmate est retourné, brandi au centre de la cour comme le scalp du DJ de la kermesse ;
voilà que nous en venons, paraissant, paradant, comparaissant mine de rien (mais l’air d’avoir une opinion sur nos juges et persécuteurs) ;
voilà que nous en venons à dire (c’est-à-dire à proclamer mine de rien)
voilà que nous voilà gagné·s par le frisson de la tentation de paraître, depuis une sorte de perron, non : de promontoire verbal où les bolossés ont des airs d’Opprimés ;
voilà que nous formons l’entreprise exemplaire de notre temps à notre tour, rassemblant sous le vieux pronom d’autorité, sous lui c’est-à-dire sous nous qui l’employons maintenant, d’autorité, rassemblant sous ce nous la plus avouable, la plus coulante, la plus arrangeante des communautés, la communauté des frères d’âme et qui, souvent, s’ignorent, ayant aussi peu le goût du partage des tares que celui du partage tout court :
chronophobes | (anc. mélancoliques) |
clinophiles | (anc. mélancoliques) |
hypocondriaques | (anc. mélancoliques) |
abouliques | (anc. mélancoliques) |
dysphoriques | (anc. mélancoliques) |
hypersensibles | (anc. mélancoliques) |
qu’iels approchent, qu’iels laissent derrière elleux toute l’inhibition, l’appréhension qui les a faits fragiles et inaptes à formuler des vœux d’orientation et des options de défense stratégique, inaccessibles aux préférences et aux goûts positifs, qu’iels approchent et qu’iels viennent à nous, qu’iels nous rejoignent : nous les accueillerons – déjà en les nommant nous les incorporons – nous les incorporons maintenant et maintenant nous les caressons, nous nous caressons du doux pronom de nous, le nous de qui, de tout temps, ne peut pas, ne veut pas… – ici les incapables rejoignent les réfractaires, et les réfractaires les velléitaires, formant un cortège unitaire épars, sans tête, ni queue, ni tronc communs : le sujet générique martyr des bottins diagnostiques.
6
Chez les Monsieurs, quand il s’agit de TOUT DIRE, l’ambiance est judiciaire, apologétique – ceux qui veulent compter dans l’Histoire comparaissent au tribunal de l’Histoire ; et, prétendant TOUT DIRE, ils ne disent jamais que rien que tout. On les quitte généralement posant devant le « monument de [leur] innocence » (Rousseau) – c’est de bonne guerre vu que c’est le jeu.
Pour en trouver qui suivent le programme rigoureusement, avec conscience (et avec la mauvaise des deux) ; pour en trouver qui, sans préface ni cérémonie d’affranchissement, traquent le reste-à-dire même quand on leur assure que TOUT a été DIT, il convient d’aller voir du côté d’elles et pas d’ils – elles : les Scrupuleuses du 17e. TOUT DIRE, chez elles, c’est du sérieux : du littéral – le dogme est clair : confession régulière, dès l’âge de discrétion, de tous et des moindres péchés, véniels et mortels, contre soi-même et contre l’Autre.
Dans le demi-jour du confessionnal, elles lâchent TOUT et sans hiérarchie – « tout » : ce qui a passé dans la cage à mental (mauvaises pensées), cage à cordial (vilains élans), cage à verbal (paroles impies ou malheureuses) ; « sans hiérarchie », car c’est justement à la hiérarchie qu’il revient de classer les péchés avant de les absoudre en bloc.
Les confesseurs perdent cheveux, patience, moyens – ou bandent en continu : les Scrupuleuses sont accusées de complaisance descriptive ; avoir fait du sale en pensée leur sert de prétexte à faire du sale en parole, et le récit détaillé du pensement salace ajoute au péché contre l’esprit un péché de langue (c’est le huitième et tardif capital, et depuis la liste n’a pas bougé).
Bientôt, évêques et directeurs publient des traités, des exercices pour inciter leurs ouailles littéralistes à ne dire le sale et le tordu (« ordes et sales cogitations soit de blasphème soit de luxure ») que de manière euphémique (« en gardant l’honnesteté de parler »), « car qui descend trop specificquement et trop scrupuleusement entour ces confessions ne recepvra pas paix de cueur et conscience, mais plus tost opposée et contraire plus fort, et donnera l’occasion à l’ennemi de le beaucoup inquiéter et vexer, comme il advient à qui s’efforce appaiser l’abay des chiens et leur gectent du pain pour les faire cesser abayer, mais souvent les chiens infestent plus fort et assaillent plus durement qui leur gecte le pain »3.
Le problème des Scrupuleuses est le suivant : le dogme commande d’absolument TOUT DIRE, et tant que je n’aurai pas TOUT DIT autant dire que je n’aurai rien dit. D’où la fringale confessionnelle, sa surfréquence, dont le pendant est la perpétuité du temps de constitution du dossier : je ne serai en mesure d’être convenablement jugée, correctement absoute, que lorsque tous les éléments auront été versés. Or le dossier ne sera jamais complet – pas seulement parce que le récit d’une mauvaise pensée ravive cette pensée (une infinie rechute), mais parce que la liste des péchés recensés n’est jamais tout à fait à jour ; et que faire d’un péché que votre directeur s’obstine à négliger ?
En vrai, pas d’inquiétude : toute innovation personnelle en la matière peut être reversée dans la catégorie Orgueil. (La Formation préfère le mensonge à la fantaisie.)
7
Plus tard, avant, d’autres fois, quelque part entre Les hommes rentrent de la chasse tandis que les femmes raclent les peaux. et Le Concorde s’écrase au décollage à Gonesse., dans des situations distinctes du genre insomnie, rumination anxieuse, Carambar :
Tu préfères devoir faire toujours la même chose ou n’être jamais en mesure de refaire quoi que ce soit ?Tu préfères retirer ta plainte auprès du CPE ou qu’on te brûle les cheveux au tippex ?
Nous-autre·s qui n’avons pas de vie (mais toute l’appréhension que le monde peut fournir), nous avons développé une passion pour l’escapisme. Imaginer le pire, nous placer sur le grill d’une sanction absurde, nous mettre à la question que personne ne nous pose, c’est tenter de dissiper une menace réelle, latente, omnireprésentée dans l’univers des faits, en ceci que chaque fait, en planque ou en acte, est au moins l’annonce de faits plus redoutables ; or plus grande la terreur exercée préventivement sur nous Tu préfères avoir une mémoire de moins de trois semaines, ou que chaque événement vieux de plus d’une seconde devienne un souvenir ?, plus supportable l’attentat de faits dont nous finirions par être victime·s : Refus d’une glace ou d’un deuxième tour de manège.Encouragements humiliants sur le bulletin trimestriel.Physique mal noté à la cour.quand nous n’en serions pas aussi les auteur·s :Usage désastreux de l’argot des classes dangereuses.Port ostensible d’une imitation de sous-marque.Question ingénue trahissant la pucellerie.
Et c’est pourquoi on peut nous voir, souvent, à n’importe quelle heure, sembler nous amuser dans quelque endroit où en fait seul·s, pratiquement seul·s, nous nous occupons à faire comme Rousseau des « pronostics sur [notre] salut », parfois aussi sur le salut des autres :Si je touche les bandes blanches du passage clouté, maman mourra.Si cette bulle de chewing-gum éclate, il ne restera rien de lui dans dix ans.
8
Au registre des certitudes pratiques, comment expliquer que celles du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture « Je sais prendre des initiatives, entreprendre et mettre en œuvre des projets, après avoir évalué les conséquences de mon action. »« Je gère mon activité physique et ma production artistique pour les améliorer. »« Je construis des stratégies pour réaliser une performance sportive. »aient pour la plupart été remplacées par à peu près celles-ci :Le monde prosaïque de l’activité m’est inhospitalier.Je ne sais d’autre salut que le cheat code HOME RUN dans Age of Empires.J’ai plus de rage en moi que d’euros sur mon CPF.?
(Lutgarde, répétant ses prières d’heure en heure par acquit de conscience, avait vaincu par le scrupule : n’ayant plus le temps de vivre, elle n’eut plus le temps de pécher.)
Évidemment, n’ayant rien de spécial à faire et ne désirant pas faire si faire est entreprendre ; cherchant alors à se soustraire à faire (à échapper à la mission d’avoir-à-faire, comme au regret d’auroir-dû-faire), et considérant déjà rien que se bouger comme un fait de collaboration, s’offre toujours à soi l’option des poètes et des philosophes – l’option des sages : non pas faire, mais être. Or quand on a de connaissances que celles qu’un petit déficitaire d’attention peut déduire de nouer, couper, tordre ou limer ce qui reste d’ongles contre son épi- puis son hypoderme, on saisit mal pourquoi on voudrait lâcher ces petits faire et tout mélanger dans de l’Être – être parmi les Êtres, la dépression.
Être, contrairement aux dits de la plupart des sages, c’est toujours être quelque chose ou quelqu’un quelque part. Être c’est en être il n’y a pas le choix, et en être est un move qui signale au moins tes coordonnées, ça joue ça participe ça collabore c’est impliqué ça EST – physique, scopique, disponible pour les regards et pour les évaluations, à disposition pour les coups dont tous sont permis : de pied, de poing, de feu, de boule, de pute, de crosse – disponible pour les coups de pression, petit gibier de game intrépide et vaillant, brillant de tout son Être dans le viseur des Autres ou de la caméra thermique, à moins qu’il ne soit là, AIR MAX PLUS dans le piège à loups, à pigner qu’il n’a rien demandé – mais personne n’a rien demandé mon lapin, c’est juste que c’est comme ça que c’est, c’est la matière et la manière uniques du vivant, le code de base de la nature : rien n’est sans concourir, rien n’est sans courir le risque de n’être plus, rien n’est né pour ne pas être et puis le cesser, c’est l’histoire de la vie, le cycle éternel, la ronde infinie, c’est l’histoire, l’histoire de, la vie.
Mais que faire alors maintenant désormais ?
on se demande avec effroi. C’est un grand mot se demander. C’est beaucoup dire que faire. C’est encore beaucoup trop parler, beaucoup poser. Alors on arrête tout. On fige comme une gelée, dans l’espoir de ne trahir aucune de nos coordonnées. On s’arrête net, l’air médusé mais méditant. On regarde son poignet droit et on dit VOICI MON VÉRITABLE COMPTE FORMATION, QUE LA PUISSANCE DE L’ESPRIT DESCENDE DANS CE POIGNET PUIS DANS CE STYLO BIC ET QU’IL Y ENFANTE UNE ŒUVRE MÉMORABLE QUI EXPLOSERA À LA FACE DU MONDE INTÉGRAL. Et alors on ÉCRIT. Pas beaucoup de choses pour commencer, mais quand même voilà que nous voilà écrivant, et se disant J’ÉCRIS – JE VAIS ÉCRIRE plutôt, méfiant et conatant, voyant dans ÉCRIRE l’occasion d’échapper et à être et à faire, et pour acquitter les dettes contractées auprès d’être et faire on ÉCRIT – mais pas n’importe quoi : pour commencer, comme protocolairement pour dégager la voie à de futurs ÉCRITS, une lettre de rupture à ne_pas_repondre_dialogue@caf.fr.
Chère Caisse,
Tu m’as encore demandé ce dont j’ai peur : de toi. Je n’ai pas su te le dire sur le moment de notre entretien, justement parce que j’avais peur, et que c’est toujours délicat quand un tyran vous demande « ce que je peux faire pour vous ».
Maintenant, j’essaye de te dire ces choses par écrit, mais ce n’est pas facile, parce que j’ai toujours peur, et que c’est un sujet beaucoup trop grand pour moi à comprendre et à rassembler en quelques mots valides.
De ton point de vue les choses se sont toujours présentées simplement, du moins pour ce que tu as voulu en dire devant moi : Je mène une vie de patachon. Je vis au-dessus de mes moyens. Notre modèle social n’y survivra pas. Je devrais aérer ma chambre. La vie ce n’est pas ça. Il faut secouer l’arbre pour jouir de ses fruits mûrs ; ceux qui se contentent d’attendre qu’ils tombent meurent ou n’ont plus le temps que d’aller aux toilettes.
En dépit de l’engagement réciproque qui nous lie contractuellement, je ne t’ai jamais parlé à cœur ouvert. D’une manière générale je n’ai jamais eu l’esprit de franchise requis en société. Je n’aime pas trop qu’on exige de moi du respect, je n’en réclame pas de mes prochains, mais surtout je m’agace quand ils commencent à la jouer concitoyenneté.
Si tu résumes ton jugement sur moi, il s’ensuit que ce que tu me reproches n’est pas un défaut positif, mais un regimbement général, une absence de volonté de vouloir. Tu me crois « capable de mieux ». Tu vois tous les jours des gens qui eux « n’ont pas mes moyens », « profitent du système », « ne s’en sortiront jamais ». Tu te trompes. Tu m’as forgé à ton image : dur à bouger. Quoi que je fasse pour gagner en motivation, je sèche, et en cela je suis ton débiteur.
Je ne dis pas, naturellement, que ton action sur moi est seule cause de ce que je suis. Sans doute sans la persécution de nos rapports aurais-je tout de même été un être souffreteux, craintif, hésitant, inquiet. Je n’ai pas l’allant de ta République. Ma volonté est plus secrète, plus timide, plus fourbe aussi ; elle s’exerce dans d’autres directions, et souvent même cesse tout à fait.
Tu voudrais face à toi d’authentiques Français, des gens avec de l’appétit, le sens de la conquête, le don d’élocution, le contentement de soi, le sentiment d’être supérieur au reste du monde. Alors que je me fous de nos paysages et de nos valeurs, je veux juste que tu m’arroses, au lieu de faire ruisseler au compte-goutte, avec ce qu’il te reste de prospérité suspecte. Tu nous connais moi et les miens : nous fermons les yeux sur la provenance.
Je songe encore avec chagrin quelquefois aux démunitions régulières où tu m’as plongé. Qu’il fut difficile pour moi d’admettre que « Ma Caf », l’ultime instance, pouvait sans motif apparent me couper les vivres. On aurait pu supposer, de là, que tu allais me réduire en poussière et qu’il ne resterait rien de moi. Cela ne s’est pas produit ; mais il s’est produit autre chose, plus grave peut-être : tu as trimestrialisé ma vie. Je t’en voudrai jusqu’à la mort – toi d’abord.
Rappel
Ça joue !
Ça engage sur la taille des bites et la hauteur des âges mentals ! Ça ne s’arrêtera plus jamais ! Ça fait la blague « ça va ? » – et, quoi que tu répondes (flatté de tenir dans cette question la preuve que tu existes) – « non mais je parlais pas à toi ».
Tu peux chercher les principes et les causes, les protocoles, la notice, les régularités, rien.
Tu peux chercher dans les archives les traces d’une partie blanche, d’un tour à jeu ouvert, d’une jurisprudence arbitrale, rien. Rien dans la composition des atmosphères ne le signale ; rien dans la composition des traînées, des eaux minérales, des vaccins BCG ; rien dans la forme des nuages ou de ton île flottante ; rien dans le regard de tes ennemis, rien sur le corps de tes amis ; rien dans les âges mentals ni dans les âges osseux ; rien dans les contenus pédagogiques ne le signale, mais rien ne t’en fera douter : ça joue.
ça joue quand tu dors, ça joue quand tu fuis, ça joue quand tu pleures, ça joue quand tu triches.
Ça joue quand tu te chies dessus liquide au self.
Ça joue quand tu cours après quelque chose ou quelqu’un que tu désires ; ça joue quand tu te fais courser jusqu’aux chiottes du bâtiment B.
Ça joue quand tu es hors ligne, sous tension, sur les nerfs, dans le dur.
Ça joue quand tu te fais taper dessus, passer devant, rouler dessus, rentrer dedans.
Ça règle les personnes. Ça déplace des rapports. Ça nique des mères même si tu veux. Ça établit des distinctions et ça stabilise les contrastes.
Si tu veux tu peux invoquer des « règles », une « étiquette », un « juge », un « algorithme éthique » ; tu peux, les yeux mouillés d’honneur, en appeler à un sursaut général de fair play, c’est ok, c’est noté, c’est joué – bien ou mal on verra.
Ça joue chaque fois que tu opères un life change et que tu dis « nique ça », chaque fois que tu prends quand même ta carte à la salle alors que les frais d’inscription étaient cachés dans l’astérisque.
Ça joue quand tu te fais prendre à part, quand tu te fais baiser sans, quand tu te fais jouir avec.
Ça joue quand tu tiens le regard dans le métro de 7h15 (ça joue aussi quand tu le baisses, c’est juste moins intense pour tout le monde, bolos).