… Usque adeone
Scire tuum nihil est nisi te scire hoc sciat alter ?1
Quod angulus extrinsecus sit aequalis duobus intrinsecis sibi appositis, non est causa ut sit, sed ut sciatur.2
1
Tu avais appris à faire tes lacets et à être propre (on raconte que c’est dans cet ordre) ;
tu avais peur du noir et du vide de ta taille (on t’accordait encore les petites roues et la petite lumière) ;
tu savais le sens du mot verroterie (et tu employais celui d’enculé) ;
tu allais chercher le pain seul (et il y avait à traverser) ;
tu comptais encore sur tes doigts (mais sans les regarder) ;
tu connaissais le nom du président (et tu commençais à capter main droite et main gauche) ;
tu distinguais sans trop de peine les personnes-Monsieur des personnes-Madame (les méprises étaient marginales) ;
tu notais qu’il y avait des pauvres, des qui mouraient dans des coulées de boue, des dans des canicules, des moussons, tout un atlas de peuples et de contrées, des natures lointaines et hostiles (et merveilleuses aussi), et puis la nature verte et stable, de plumes et de poils ternes, de fougères et de grands-parents ;
tu avais remporté quelques victoires contre les forces de l’évidence et, ivre de ces conquêtes, tu soumettais à une impitoyable correction les qui croyaient encore qu’un moineau est un bébé pigeon ou que le crapaud est le mari de la grenouille ;
non seulement tu savais des choses mais tu commençais à savoir savoir ces choses, et tu savais aussi qu’il fallait, pour asseoir en soi le savoir qu’on les sait, faire savoir au monde qu’on les sait (comme on se fait savoir avant une bagarre qu’on sait se bagarrer)
– et pourtant te voilà,
puissant de tout ce savoir théorique et pratique,
validant une à une sans peine et sans éclat les compétences de chaque échelon de la Formation,
croissant dans la norme bien que dans le bas d’elle,
n’étant pas simplement au monde ou dans le monde mais étant le monde lui-même par délégation de forme et de puissance,le monde accordant ses limites aux tiennes,indexant ses standards sur tes attitudes et capacités,épousant plastiquement tes contours,les contours de ta tête (si bien qu’on te disait intelligent),les contours de ta classe (tant qu’on te disait bien élevé),les contours de ton corps (ses formes et ses couleurs, ses proportions n’étant qu’épisodiquement relevées)– pourtant te voilà qui croyais que chien est le contraire de chat.
Comment tu expliques ça ?
disait la Formation d’un ton réprobateur, plongeant ma truffe dans la bêtise – et « ça » semblait moins désigner la bêtise que l’ensemble de ma personne, de ma personne-sa-faute, sensibilisée à la faute par son organe le plus sensible.
Comment tu expliques ça ?
Est-ce que Chien est le contraire de chat est preuve et témoin d’un savoir atavique, marque des premiers âges dans le premier âge ?
Est-ce que Chien est le contraire de chat recèle une certitude d’avant la Chute, d’avant la Faute, d’avant l’Orgueil – le genre de certitude innocente et sans prise, qui ne se maîtrise pas mais s’éprouve et s’exerce ?
Est-ce que Chien est le contraire de chat constitue le symptôme, brillant comme une papule, d’un rapport à la science essentiellement fourbe ou duplice ?
– tu réciterais ta leçon, mais ce dont, au fond, tu serais convaincu, ce n’est pas queLe carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés.en tout cas pas plus queFaute avouée à moitié pardonnée.ouQuand on dit quelque chose, on le fait., ce dont tu serais convaincu, et par quoi tu serais rassasié, c’est queChien s’oppose à chat dans les rues, dans les faits, dans les termes et par voie de nature.
2
Que Chien n’est pas le contraire de chat fut un jour une révélation – prise et déprise, certitude intime rejoignant soudain la place creusée en soi par les connaissances du Socle commun :Rien n’est le contraire de rien par voie de nature.Quelque chose du monde s’appelle une gonade.Les efforts finiront par payer.
Un sentiment, une révélation, le sentiment d’une révélation à plus forte raison, passent pour incommunicables ; c’est sûrement pourquoi tout le monde s’y essaie (dire ce que ça fait quand ça fait quelque chose). Jusqu’alors, quand chien passait, il ne faisait pas tant des trucs de chien que pas des trucs de chat ; mais truc de chat n’était pas intelligible autrement que relatif à truc de chien, relatif c’est-à-dire solidaire ou dépendant (dans une dépendance logique d’une puissance comparable aux dépendances affectives élaborées depuis), chien sans chat était inconcevable, l’un l’appui de l’autre, son alter, son opposé, son contraire – à ce degré de généralité tous les termes se valent, il n’y a que les exemples pour se rattraper : disons qu’à cette époque fixer souverainement la rue depuis le rebord de la fenêtre du deuxième étage, c’était en première approximation pas un de truc de chien, au sens antérieur de paspas un truc de chat, et ainsi de suite jusqu’au lieu primordial, alchimique et brumeux d’avant toute substance et tout genre, d’avant toute espèce, le lieu magique où parmène la superstition des contraires.
Mettons que vous rentrez chez vous, un soir, avec la tranquillité, avec la fragilité du quidam qui réside après son verrou. Vous tournez la clé dans la porte, vous jetez votre veste sur la table basse, vous vous vautrez dans le fauteuil et vous allumez un de ces fameux joints que vous allumez le soir en général quand vous rentrez vous affaler dans votre fauteuil à joints, quand soudain (soudain-doucement, d’un seul coup mais sans foudroiement), quelque chose a changé mais quoi, le réaliser prend du temps, pourtant dès que vous l’aurez remarqué vous aurez l’impression de l’avoir su d’emblée : une image de vous fume un joint comme vous le feriez dans le fauteuil familier.
Voilà.
Vous n’êtes plus requis.
Vous êtes inconsolable, et libre.
Vous vous levez lentement, vous détachant du double qui n’a rien remarqué, et vous brossez des yeux le domicile autour de soi-même : tout est si bizarre et si net, exactement à l’emplacement qu’il faut, même et jusque l’image de vous, comme si un décorateur hors de prix avait eu pour consigne de laisser l’endroit dans l’état où il l’a trouvé. Vous vous renfauteuillez, l’air de savoir que désormais,
L’essentielRien ne sera plus jamais comme avant, (mais comment vous le notifieriez-vous puisque) même pas vous.
Ce tableau familier qui aura cessé de l’être juste avant qu’on se le dise, c’est exactement ça, Chien n’est pas le contraire de chat. Un moment décisif et pourtant sans contours où tu entre-conçois, commences à comprendre et finis par capter, dans une lumière étale qui résout les contrastes, qu’il n’y a rien de commun (donc rien d’adverse) entre chat et chien, sinon éventuellement un monde, et un monde qui est un monde et pas une merveille du monde attention, un monde qui est un bordel de natures hostiles et dynastiques, un monde qui rend plus probantes, mieux sonnantes et plus vraies que leurs antiphrases le genre de phrases selon lequel Chien n’est pas, n’est définitivement pas, tout ce temps n’était pas, ne fut jamais le brave contraire de chat.Dans aucune sphère sémantique, sur aucun rayon de cette sphère, sur aucune branche de proxémie chien ne rencontre ni ne part de ni n’aboutit ni ne fait face à chat.Il n’y a rien de commun (sauf à un degré de généralité impraticable) et rien d’intime (sauf à un degré de symbolicité impraticable) entre le canidé des canidés et le plus félidé de sa classe – à part, précisément, le caractère d’emblème que leur donne d’être de leurs classes respectives les lieutenants modèles.
Ce moment, dont aucun souvenir personnel n’est en mesure de faire pencher la détermination vers le douloureux plutôt que le voluptueux, ce moment insensible n’entraîne pas, ne précède pas, n’annonce ni ne devance, pas plus que ne suscite, ne prélude ou ne cause, mais coïncide avec le moment où tu comprends que tu n’es pas tout (car tu n’es aucune sphère), et par là même pas quelque chose (car on ne te trouve perché sur aucun axe, et pas non plus planté à une intersection), mais du même coup pas non plus rien (car il n’est pas douteux, quelle que soit la distance à laquelle tu te tiens de ces coordonnées, que tu fais partie des né·e·s‑quelque-part-à-un-moment-donné). C’est le ricochet révélationnel, l’hommage collatéral de la lumière en soi : tel le monde, tel moi – in-saisissable, in-épuisable, ir-réductible, les privatifs abondent, c’est le début des prétentions, prétentions sur soi et le monde, la différence est dérisoire, d’ailleurs le monde est dérisoire et bientôt nique le monde, je n’ai pas besoin de cette hypothèse, je n’ai qu’à constater qu’il y a rien de tel que moi à part moi.
3
Affirmons sans détours, avec la hardiesse de qui veut asseoir en soi une certitude sur soi tombée, que Le monde (contrairement à tout individu qui se respecte) n’est pas une merveille du monde.L’impossibilité est principielle, terminale – logique comme disaient les Anciens.
Mais on ajoutera que le monde n’est jamais que le nom d’une instance, d’une version fugitive qui ne prouve rien qu’elle-même – et parmi nos Contemporains nombreux sont ceux qui tiennent l’hypothèse du monde pour une vulgarité du même genre que celle des natures contraires. En réalité, chaque monde est une merveille de monde le temps que ça dure ; de version en version les natures dérivent, chaque né·e‑quelque-part va se la jouer chaque fois un peu plus loin de la sienne, explore, arpente un territoire de fraîches intimités et d’inimitiés réchauffées, chauffantes, et va comme ça de cercles climatiques en cercles climatiques à la rencontre de natures sans contraire et sans fond, des natures d’apparat, des natures d’ombre et de lumière, dans la grande jungle des natures où le jeu principal consiste à se montrer, consiste à se cacher, parfois même en même temps mais pas des mêmes joueurs.
Vraiment ?
C’est ce qu’on croit, c’est ce qu’on aime croire, c’est ce qu’on aime-à-croire. Et puis la nature dit Ça joue !, et chacun sort du bois ou de la jungle de ses temps pré- et post-naturels ; chacun vient, dans un désordre de pintades au grain, se mettre en rang dans la cour ; chacun vient assumer son lot, son rôle organique dans la Création.
Vraiment ?
C’est autre chose. C’est autrement que ce que tu crois. Deux droites sont parallèles quand elles ne se croisent pas, jamais ; tu peux les suivre jusqu’au bout des yeux ça n’arrivera pas, ton regard s’épuisera avant d’entrevoir la possibilité qu’elles se croisent, qui est une possibilité extra-mondaine, extra- ça veut dire au-delà d’où ton regard ira, et tu produiras peut-être pour ton spectacle deux droites parallèles qui se croisent, mais c’est un accommodement, une correction de la vue qui équivaut à une bévue, bref, tu mens, enfin pire tu te mens, enfin pire tu te berces. Ce que tu aimes-à-croire diffère de ce qui est, et s’en éloigne plus tu l’aimes, in-exorablement. Ce qui est se distingue par sa grande splendeur et sa permanence : c’est nature. Alors que ce que tu crois change tout le temps, au gré des fantaisies dictées par ce qui ne change pas et qui, lui, est, pendant que tu t’occupes, comme sous le soleil miroite une canette qui est là pour 100 ans, à faire varier tes conjectures sur ce qui pourrait être.
4
Qu’il soit à constater, ayant été promu player dans le game des natures, idées, figures, effigies, emblèmes, archétypes ;
qu’il soit à constater, dans un certain état du monde, une inimitié entre instances canines et instances félines par milliers ;
que la majorité des mondes possibles laisse supposer, à mesure que certains d’entre eux sont réalisés, une contrariété foncière entre chiens et chats,
ne suffit pas à ajouter à l’index des certitudes celle selon laquelle Chat est le contraire de chien, et suffit même, quand on y pense, à retirer de cet index une ancienne certitude sublunaire, une ancienne certitude céramique et livresque :Un chien est le contraire d’un chat.tandis que demeurent, comme déposés sur un compte épargne accessible à majorité, des acquis fondamentaux en souffrance de réalité :Le respect commence par le fait de se respecter soi-même.L’important c’est pas la taille, c’est l’épaisseur le comment on dit le diamètre voilà. En application de la coutume du père, l’empire est divisé entre ses héritiers.
Un chien est le contraire d’un chat occupe une partie de vie première, brève mais au souffle long, ses livres et ses index, ses éléments de rangement et ses imagiers, son vocabulaire, ses fournitures scolaires et parfois même ses meubles (coiffeuse janiforme où chien et chat s’adossent ou se font face) – l’enfance : des bandes de chiens et chats qui se font face dans une impasse, dos arqués, jamais très loin du middle ground de la baston rangée. Mais s’il semble acquis, passé quelques années dans les bras et sur les bancs de la Formation, que chien comme chat n’est pas plus le contraire de l’autre que l’autre de l’un, le constat demeure marquant que
chien
noir
blanc
chat
fille
regret
remords
garçon
– tandis que toi-même le contraire de rien ?
Chaque chose sauf toi a son contraire peut causer des complications comme une grande réactivité niveau mélancolie (majorée en période de drogues douces), diverses envies d’en découdre (majorées en période de manque), voire mégalomanie (majorée en période de nuit, drogues dures, sensation de succès de ton corps sur ton corps). Chaque chose sauf toi a son contraire est une certitude théorique, une promesse intenable, une berceuse héroïque – ne change rien : de ta valeur et de ton rang tu n’as aucune idée ; tu es alternativement le bronze le plus authentique et une merde confite, et ton existence même est mal attestée mais au moins tu es autre, au moins, c’est-à-dire qu’au moins tu n’es pas les autres. Tu aimerais bien être autrement, bien sûr ; très souvent tu donnerais tout ce que tu es pour être durablement altéré, mais bon ça pourrait être pire, tu pourrais être L’Autre, Autrui, son Prochain, leur Semblable, ces créatures en mousse qui semblent avoir pour unique projet : qu’on vienne leur vouloir quelque chose.
5
On ne saurait douter, quelles que soient nos réticences, nos complaisances à cet égard, et même considérée notre ardeur à troubler le jeu (à nous déguiser en bébé, en jeune esprit frondeur ou en jeune fille en fleurs) ;
on ne saurait douter, surtout depuis que le monde en personne, depuis que l’essentiel du personnel du monde semble avoir décidé de ne faire commerce avec nous qu’après nous avoir interpellé sous ce nom ;
on ne saurait douter du fait que nous sommes pour le monde, qui est sans doute la seule instance non suspecte de décerner ce titre dans le seul espoir qu’on le lui retourne ;
on ne saurait douter de ce fait d’une patence notoire, carrée, massive :Nous sommes un Monsieur.
Qu’est-ce qu’un Monsieur ? C’est quelque chose d’humain qui, de nos jours (les siens), paraît de toute éternité. Un personnage social au style perpétuel, perpétuellement patricien – et ce, qu’il porte une toge, un bermuda de bain ou une veste en tweed. Aussi, que nous revêtions chaque jour un hoodie et que nous ne nous soyons pas peigné depuis plus de vingt ans ne change rien ; nous ne saurions tromper le monde qui nous baptisa, un jour au téléphone autour de 14 ans et depuis sans dédit – et après nous avoir tant appelé Mademoiselle ou Madame – Monsieur. Les flics ne nous appellent pas petit pédé, les kébabistes ne nous appellent pas chef, l’épicier ne nous appelle pas beau gosse ; tous nous gratifient, et ce, que notre jogging soit propre ou sale, notre jean stretch ou regular, notre veste à galons ou à trois bandes, invariablement du titre (et du pronom) qu’on a appris, petits, que la cour donnait, à une époque où mal (pro)nommer pouvait causer le déshonneur et faire couler le sang, au frère du roi de France.
C’est comme ça, rien ne sert de lutter. Nous sommes condamné à promener notre forme de vie d’Ancien régime dans les quartiers de la ville du pays pourtant les moins prompts à lui faire égard. Que, nos premier prix miteuses de marque Décathlon aux pieds, nous entrions en puant l’alcool dans un magasin de médicaments, ou que, n’ayant pas quitté nos tongs depuis trois semaines, nous allions chercher des articles de chemsex à la cité Bassens, il faut croire que nous sommes porteur – sur le visage ? dans la démarche ? – de mocassins à glands et d’une sous-doudoune bleu métallisé, car ici comme là-bas on ne nous sert que du Monsieur. Et que, nous la donnant dans une sauvage, un éclat de grenade de désencerclement nous entaille la jambe, les minots du quartier accourent et s’enquièrent si ça va Monsieur, nous voilà aussitôt rappelé que, dans le monde des vérités pratiques (et pas dans celui des sophistications discursives), nous appartenons au parti de la droite ontologique.
Dès lors on ne s’étonnera guère ;
on admettra aisément ;
peu de choses nous concilieraient davantage l’indulgence de nos lecteurices que celle-ci :
NOTRE BUT EST DE TRANSFORMER, PAR CE TÉNÉBREUX REPORTAGE SUR LES LIEUX DE NOTRE PREMIÈRE VIE, LE SYMPTÔME (DE SON TEMPS) EN TÉMOIN (D’UNE ÉPOQUE)
Et si tout se passe comme pourvu-que, nous aurons, à publication de ces pages, ayant fait cracher à la fois l’enfant qui s’attarde et le vieux con qui vient, déposé le Monsieur qui tentait de s’installer.
6
Chaque chose sauf soi a son contraire précipite la passion des contraires dans le fond du corps et du cœur, le recours à L’Autre opposable est un expédient théorique, on ne peut pas s’en satisfaire pour avoir le courage de continuer à être, envers et contre tout, un soi plus intéressant qu’un pas-L’Autre, un contraire absolu de tout plus intéressant que tout, plus complexe et plus synthétique, le Toutou des blasons et le Sphinx du salon réunis en une volonté, une puissance, un emblème, une figure-majesté capable de parole, Sa Majesté soi-même capable de profération c’est parti, on gonfle la poitrine, on pousse sur ses jambes et à trois on va TOUT DONNER POUR LE TRAGIQUE. Vexé de ne pas être tout, orgueilleux parce que vexé et même vexé d’être vexé (d’où orgueilleux), on désaccorde sa personne à la personne du monde, on étend ses propres contours à ceux de l’orbe intégral, mythique, qui contient jusqu’au monde lui-même et dont le monde lui-même n’est qu’un témoin d’échelle (comme une règle ou un pied sur une photographie)– car à quoi bon un monde qui ne, dont on ne serait pas une merveille, une singularité aliène, luisante et suintante, énorme, et verte à la limite, une entité douée d’une puissance et d’une volonté qui déchirent l’espace et le temps, débordent les familles, classes, genres, espèces ? à quoi bon un monde qui ne serait qu’un décor de sa génération, réglé sublunairement pour faire pondre et pour faire crever ? un monde indifférent à ses persos, création continue d’avatars sans quête, sans œuvre, sans histoire ?– avec la perversité du persistent world : ça continue de jouer quand tu es hors ligne.
C’est ainsi que, chauffé par l’orgueil de ne se pas laisser réduire, définir, limiter, on sort sur le perron du monde pour annoncer que c’est FINI DE JOUER, caps lock on, amok verbal en plein cours d’EMC, fin des paroles à blanc, JE VAIS TOUT DONNER POUR LE TRAGIQUE OK ? – et on s’apprête avec éclat, comme un phraseur au futur proche s’étant supposé un public, à faire gicler notre papule à la face du monde intégral ; on s’apprête avec notre nouvelle ambition dont le monde est la mesure de l’excès, à RÉALISER L’ESPRIT DANS le monde, une question de quelques années, un cursus un peu coûteux mais expresse, et sûr, la voie royale on y est né tkt, je vais RÉALISER L’ESPRIT DANS le monde, après tout je suis un bourgeois, c’est pour ça qu’on m’a fait, c’est pour ça qu’on t’a mis au monde, on voit bien que la plupart ils ne sont pas aumonde, ils ont été foutus là sans chercher à savoir et ils n’essaient même pas, ils s’agitent autour du projet de progéniturer et d’avoir une piscine, c’est ridicule, c’est terrifiant, ça suffit c’est fini maintenant, JE VAIS TOUT DONNER POUR LE TRAGIQUE.
Et nous voilà maintenant, passé cet épisode de l’échauffement de classe, en direct du moment où dans l’histoire de soi (un petit d’hommes maximaliste qui n’a jamais rien rencontré de plus majoritaire que lui, un Monsieur potentiel à l’âme préromantique, tourmenté du début par l’idée de la fin mais en même temps croissant, tout ce qu’il y a de plus régulièrement, sous Jacques Chirac comme d’autres s’efforcèrent de photosynthétiser dans l’ombre de Louis, Charles, Napoléons, Philippe le Bref, André Coty, Michel Guizot, François le Téméraire)nous voilà, passé ce moment douloureux, maladroit, disgracieux, nous voilà, passé ce moment renflé, nous voilà passé au moment suivant, d’une tout autre teneur puisqu’alors tu te rassois et tu comprends, tu te rassois apprendre et contempler ce fait d’une irrésistible splendeur, d’une splendeur qui rassoit et fait baisser les yeux : chien ne contrarie chat ni dans la rue ni dans les livres, et l’inverse est vrai, sans que cette réversibilité vaille le moins du monde réciprocité, simplement il est important de garder à l’esprit que la science des contraires est une science logique et pas naturelle, et c’est par conséquent dans l’ordre des implications, pas dans celui des incidences, que se trouve la formule qui ordonne et conjugue régulièrement les énoncés suivants : Je ne suis pas rien. Je ne suis pas tout. Je ne suis pas quelque chose.
, et la meilleure façon de s’en consoler n’est peut-être pas d’essayer d’être, quand même, envers et contre tout, tout, mais de tracer son chemin sous son étoile (qui est probablement la même que celle des autres aussi) et d’essayer, dans cette jungle de semblance et de distinction, de devenir, au choix et combinables :
Rappel
On le sait ;
on n’en saurait douter ;
qui contestera que ;
ce genre d’évidence ne fut point arraché de l’arbre du savoir mais vint livré avec la première aube ;
observons comme est faible la probabilité qu’une telle phrase soit fausse : Ça joue !
C’est le genre de vérité d’entrée de gamme, qu’un simple soupçon réalise : si tu te demandes si c’est vrai, c’est déjà un peu vrai, et si c’est un peu vrai te voilà possédé. Une fois remarqué que Çajoue, Ça joue s’impose et, un rien tactique, s’imposant devient tout :
Il y a des équipes mais ça peut changer (de toute façon il n’y a jamais assez de chasubles).
Les reproches et les coups pleuvent avec les alliances (comme dans un pticouple échelle société).
On répète qu’il faut et faudra – solide sur tes chevilles ! ferme sur tes appuis ! – « tenir » (des propos, des stations, des positions, des longueurs…).
cependant que tu cuis ta revanche qui aide à « tenir » tout court :
Enrouler sa langue autour de celle de la grande rousse.
Être le DJ de la kermesse.
Jambiser le prof d’EPS.
Et c’est quand ces pensées te viennent qu’il devient absolument clair que
C’est parti !
Ça joue !
Sur qui demande
« Où ça ? »
« À quoi ? »
s’abat déjà une pluie de réponses pratiques :
Ça part en général, tendanciellement, en vrille.
Ça joue en général, pas dans l’ordre des préoccupations mais dans ceux du Temps et de l’Espace, disons alors ça joue presque partout tout le temps à : peser, c’est-à-dire à exercer une force d’attraction au minimum égale à celle exercée sur soi par la Terre. Il est à la fois facile de l’oublier et difficile d’en faire abstraction, comme nous le rappellent que marcher est un acquis et se relever une galère.
Mais sauras-tu dire à quoi ça joue quand ça se met à jouer aussi à autre chose en sous-main ; quand, à tout moment, que tu sois solide sur tes appuis ou le nez dans la grille du platane sous une paire de AIR MAX, tu perçois groggy les mouvements internes du monde, en plus de subir celui, cosmique, qui procède de sa (disaient les Anciens) course folle ? Quel est ce jeu que la nature, comme un grand frère sur un city, lance d’un définitif ÇA JOUE ! avant de nous faire un petit pont surprise ? Quel est le nom du jeu général qui établit les différences au sein du groupe classe, du groupe genre, du groupe espèce ? Quelles sont les limites du terrain, le cadre réglementaire global où ça se fight, ça concourt, ça parade, ça se mesure la bite (la bite de la bite ou la bite du cerveau) ? Où se cache le barème, dans quelle arche perdue, dans quel écrin brutaliste de quel pouvoir, dans quel lézard préhistorique au centre de quelle Terre ? Comment s’appelle le jeu grand-inclusif dont on ne s’échappe pas et qui ne finit jamais – le jeu dont le classement gouverne à toute estime, fonde toute place, tout rang ?
Ton savoir n’est-il donc plus rien, si l’autre ne sait pas que tu sais ? (Perse, Satires, I, « Contre les mauvais écrivains ») ↩
Que l’angle externe d’un triangle est égal aux deux angles internes qui lui sont opposés, ce n’est pas quelque chose qui est, c’est quelque chose qui est à savoir. (Jérôme Cardan, De Vita propria, XLVII) ↩