Texte

… Usque adeone
Scire tuum nihil est nisi te scire hoc sciat alter ?1

Quod angu­lus extrin­se­cus sit aequa­lis duo­bus intrin­se­cis sibi appo­si­tis, non est cau­sa ut sit, sed ut scia­tur.2

1

Tu avais appris à faire tes lacets et à être propre (on raconte que c’est dans cet ordre) ;
tu avais peur du noir et du vide de ta taille (on t’accordait encore les petites roues et la petite lumière) ;
tu savais le sens du mot ver­ro­te­rie (et tu employais celui d’encu­lé) ;
tu allais cher­cher le pain seul (et il y avait à tra­ver­ser) ;
tu comp­tais encore sur tes doigts (mais sans les regar­der) ;
tu connais­sais le nom du pré­sident (et tu com­men­çais à cap­ter main droite et main gauche) ;
tu dis­tin­guais sans trop de peine les per­sonnes-Monsieur des per­sonnes-Madame (les méprises étaient mar­gi­nales) ;
tu notais qu’il y avait des pauvres, des qui mou­raient dans des cou­lées de boue, des dans des cani­cules, des mous­sons, tout un atlas de peuples et de contrées, des natures loin­taines et hos­tiles (et mer­veilleuses aus­si), et puis la nature verte et stable, de plumes et de poils ternes, de fou­gères et de grands-parents ;
tu avais rem­por­té quelques vic­toires contre les forces de l’évidence et, ivre de ces conquêtes, tu sou­met­tais à une impi­toyable cor­rec­tion les qui croyaient encore qu’un moi­neau est un bébé pigeon ou que le cra­paud est le mari de la gre­nouille ;
non seule­ment tu savais des choses mais tu com­men­çais à savoir savoir ces choses, et tu savais aus­si qu’il fal­lait, pour asseoir en soi le savoir qu’on les sait, faire savoir au monde qu’on les sait (comme on se fait savoir avant une bagarre qu’on sait se bagar­rer)
– et pour­tant te voi­là,
puis­sant de tout ce savoir théo­rique et pra­tique,
vali­dant une à une sans peine et sans éclat les com­pé­tences de chaque éche­lon de la Formation,
crois­sant dans la norme bien que dans le bas d’elle,
n’étant pas sim­ple­ment au monde ou dans le monde mais étant le monde lui-même par délé­ga­tion de forme et de puis­sance,le monde accor­dant ses limites aux tiennes,indexant ses stan­dards sur tes atti­tudes et capa­ci­tés,épou­sant plas­ti­que­ment tes contours,les contours de ta tête (si bien qu’on te disait intel­li­gent),les contours de ta classe (tant qu’on te disait bien éle­vé),les contours de ton corps (ses formes et ses cou­leurs, ses pro­por­tions n’étant qu’épisodiquement rele­vées)– pour­tant te voi­là qui croyais que chien est le contraire de chat.Continuer

  1. Ton savoir n’est-il donc plus rien, si l’autre ne sait pas que tu sais ? (Perse, Satires, I, « Contre les mau­vais écri­vains »)
  2. Que l’angle externe d’un tri­angle est égal aux deux angles internes qui lui sont oppo­sés, ce n’est pas quelque chose qui est, c’est quelque chose qui est à savoir. (Jérôme Cardan, De Vita pro­pria, XLVII)
Texte

Ce texte, qui vient de paraître dans Trou noir, est dédié à Joachim C., caba­ret tra­ves­ti et chô­meuse longue durée, qui résu­ma auprès d’une amie la teneur d’une remarque que je venais de lui faire : « Ce qu’Antoine veut dire, c’est qu’il trouve que tu es allée te la jouer loin de ta nature. »

C’est pro­ba­ble­ment par voie de « nature »
– ce mot des âges clas­siques qui colle aux palais et demeure, outre tous les congé­die­ments, d’usage pour par­ler du maté­riel mena­cé de réduc­tion bio­lo­gique : genre et cul, courbes et incli­na­tions… –
c’est très cer­tai­ne­ment en ver­tu de « ma » nature, ma nature « propre », et pour y échap­per, que je déci­de­rais, un jour, quand les condi­tions ini­tiales auraient réduit jusqu’au bouillon, quand mes ten­ta­tives d’être popu­laire ou d’avoir un 15 en rédac auraient épui­sé l’énergie de ma nais­sance et le fonds de mes pro­prié­tés, d’
ALLER ME LA JOUER LOIN DE MA NATURE– fugue sans témoin ou presque (n’étant pas du genre qui trouble ouver­te­ment les genres), et presque sans effets (étant du genre qu’on ne marque pas), et fugue tem­po­raire en tout cas, fugue com­po­sée de mini­fugues en chaîne, jamais trop loin jamais trop long, mais chaque fois un peu plus pro­fond dans le savage alien hos­tile et mer­veilleux des natures contraires.

Or on sait bien ceci, que les Anciens tou­te­fois sem­blaient igno­rer, que si tu fonces tout droit vers ta nature « la plus contraire », tu fini­ras par faire des ronds autour du point d’où tu par­tis, naquis, fus posé là, pour­vu de couilles par le plus grand, enfin par le plus petit des hasards : celui qui fait les couilles conformes
– avec ça d’intéressant quand même, et qui finit par faire d’une série mini­fu­gi­tive une dérive : les ronds tou­jours plus « grands », excen­tri­que­ment par­lant.

Aussi ALLER SE LA JOUER LOIN DE SA NATURE est-il (au moins à titre d’hypothèse, et tou­jours à ce stade dont le dépas­se­ment est en vue pour peu qu’on ne s’y pro­jette pas) le pre­mier pas d’une pos­sible AVENTURE, le pre­mier tour d’un vice qui mène­rait à une embar­dée dans la péri­phé­rie de sa nature, une boucle autour de sa nature par l’extérieur de sa nature, par ce qui la cerne ou la ceint, et qui était jusque-là tenu pour non-lieu, ne figu­rant pas sur les cartes, sur le pla­teau de sa nature
– et bien sûr, les condi­tions de pos­si­bi­li­té d’une telle aven­ture ne sont pas infuses, mais elles n’ont pas non plus rien à voir avec le stan­dard, le stand­point, la config ini­tiale, puisqu’on dit qu’elles pro­cèdent d’une cas­cade d’implications faites, qui sont autant de dés­im­pli­ca­tions à faire :s’être fait attri­buer une nature et avoir eu à en répondre ;avoir recon­nu que la nature, c’est du propre ;avoir non seule­ment iden­ti­fié mais situé sa nature, l’avoir cir­cons­crite, l’avoir consa­crée comme topique (on peut main­te­nant s’en éloi­gner – pour le week-end, pour la nuit) ;avoir consi­dé­ré l’écart par rap­port à sa nature comme un « se la jouer », comme donc :une che­vau­chée dans l’artifice,un raid brouillon dans le latex ou le poly­sty­rène,un truc de bran­leur ou de mau­vaise fille,de bad bitch au soir tom­bant ;et, selon les époques et les genres en vigueur :un truc cuir,un truc Tacchini,un truc bottes à franges,un truc toge entre­bâillée,un truc plume dans le cul.

*

On sait que, quand vous avez com­men­cé à dire merde, vous n’êtes pas loin d’aller fuguer ;qu’après la pre­mière fugue, vous n’êtes pas loin de tom­ber dans la drogue ou le maquillage et,qu’une fois pou­dré, vous êtes à deux pas de la pre­mière gav ;or on sait que la pre­mière gav est un ticket pour la Syrie ou la porte ouverte à l’amok au col­lège – il suf­fit d’une nuit un peu chaude sur Twitch ou Youtube.

À quoi res­semble l’échelle dont ALLER SE LA JOUER LOIN DE SA NATURE est le pre­mier degré ?A1. Percer,A2. tatouer,A3. pro­thé­serle corps des fac­to­ry set­tings ?
B1. Chausser les com­pen­sées de la fran­gine aux heures creuses de l’appartement,B2. pro­fi­ter du cours d’EPS pour kif­fer quand ça moule,B3. convo­quer des soi­rées por­no entre couilles et n’avoir qu’un œil sur l’écran ?
C1. Sucer pour un contrôle de maths,C2. une bar­rette,C3. une invi­ta­tion à la teufdans les toi­lettes du CDI ?

Et si, à l’occasion d’une embar­dée loin de vos natures, un meurtre était com­mis, qui pour­rait le juger ? Et quel serait le ver­dict ?A. La Nature tra­hie ?B. La Nature révé­lée ?C. La Dérive mons­trueuse ?D. La Bouffée Soudaine d’état-de-nature ?
Et que diriez-vous pour votre défense ?A. Sous l’empire d’une nature aliène, j’avoue que j’ai com­mis.B. La nature est ce qui a éle­vé en moi une apti­tude au crime, le crime de l’artifice.

*

Au retour de mes fugues, il arrive que, par peur de lais­ser per­ce­voir que ma fugue m’a chan­gé, j’épouse rigou­reu­se­ment les contours de ma nature native : je m’y tiens sage, je m’y can­tonne, et très cer­tai­ne­ment je m’y vautre, avec une ardeur louche – comme on se vautre avec jubi­la­tion dans la fange du capi­ta­lisme tar­dif, voi­là,J’épouse ma nature native.=Je m’enfile un big­mac sur un par­king à Plan-de-Campagne par une jour­née cani­cu­laire d’avril, les bronches assaillies de par­ti­cules fines.

Et, natu­rel­le­ment, le retour à soi vient avec son pro­cès ;
la nature, parce qu’on sait qu’elle fait bien les choses, opère conti­nû­ment pour réta­blir l’équilibre du monde – l’équilibre des digni­tés et des indi­gni­tés, celui des mérites et des démé­rites, etc. ;
la nature, parce qu’on sait qu’il est avé­ré que ses normes collent à ses formes, pro­nonce spon­ta­né­ment une sorte de juge­ment
– une pluie de châ­ti­ments-réflexes s’a­bat sur qui est de retour dans sa nature après une fugue hors sa nature :asthé­nie post-pran­diale,insuf­fi­sance pul­mo­naire,hyper­su­da­tionnota­tion des courbes sur 20éva­lua­tion du coup de reins(sans comp­ter le tour­nis que ça donne en cher­chant la sor­tie, à Plan-de-Campagne).

À l’inverse, chaque mala­die éteinte signa­le­rait la fin de vel­léi­tés à aller voir loin de sa nature ; récom­pen­se­rait, en le sanc­tion­nant posi­ti­ve­ment, un retour dans l’enclos de sa nature. Car c’est bien ain­si que la nature est faite : tout ce qui y paraît com­pa­raît ; et tout juge­ment ex natu­ra est de ceux qui, plus ou moins exé­cu­toi­re­ment, décident de qui va vivre et de qui, ne sachant pas vivre selon ses normes, doit mou­rir. L’éventail des sanc­tions inter­mé­diaires ou sub­sti­tu­tives est large, les mesures dis­ci­pli­naires tem­po­raires et les pré­ven­tions bien­veillantes sont nom­breuses : mettre fin à une cavale dans l’artifice,pri­ver du plai­sir de feindre une nature ou de tra­hir la sienne,ras­soir dans la cel­lule de dégri­se­ment des natures stan­dard,confis­quer les natures d’apparat, les natures iri­sées, les capes et les moires, paillettes, les natures d’ombres et de lumières – mais sans sur­prise elles tuent à la longue, et qui est sus­pec­té de déser­ter sa nature, de chô­mer sa nature, voire de per­ru­quer la nature, s’expose à la même rage que celle qui vise qui chôme tout court, per­ruque tout court et s’abstient tout bon­ne­ment de pro­duire.

*

Ah. Oh. Si seule­ment le juge­ment n’était que la sanc­tion ; mais il ne vient jamais sans sa leçon. Teneur : qui tra­hit sa natureest traître à la Nature Commune,et jouit d’une Dissidence per­son­nelle et mes­quine, et joue le Sensuel contre l’Organique,désac­corde l’Individu de l’Espèce,trouble,par ces misé­rables vel­léi­tés de Distinction,ces pré­ten­tions pué­riles sur son Corps et son Cul,ces regim­be­ments contre les Vices conformes et l’aiguillon de la Chair,une Nature Supérieure dont quelqu’un est l’Auteur,une Nature qui fut faite, et fut faite une bonne fois.

Ce tir nour­ri de reproches et de sus­pi­cions, de reproches nour­ris­sant sus­pi­cions et réci­pro­que­ment, est bien connu des cou­pables et com­plices d’actes contre-nature, des criminel⋅les de lèse-nature. Mais, à la douce, comme un paquet de lois pas­sées pen­dant les fêtes, cette répro­ba­tion pro­non­cée au nom de la rai­son natu­relle et émise depuis la terre ferme, fer­tile, la véri­dique terre des natures ins­ti­tuées, frôle de plus en plus d’entre « nous » qui, après des années d’interrogations inter­dites ou bavardes devant cette fièvre de conver­sions Factices !, Capricieuses !, Narcissiques !, envi­sagent fina­le­ment, sinon de déser­ter leur nature, d’aller gen­ti­ment se la jouer loin de leur nature
– même si pas for­cé­ment bien loin (ni dans le jeu ni dans l’écart), mais au moins d’aller se la don­ner, disons, deux ou trois nuits dans le mois, au-delà du périph exté­rieur de leur nature élé­men­taire, avant de reve­nir, fan­tas­ma­ti­que­ment requinqué⋅es, poin­ter dans les locaux de La Nature SA, comme un cour­tier en assu­rance habi­tué du caba­ret tra­ves­ti.

*

Même si c’est par plai­sir, d’abord, que nous nous offrons ces débor­de­ments ponc­tuels de nos natures élé­men­taires, nous ne sor­tons jamais, une fois poudré⋅es, qu’avec une théo­rie apo­lo­gé­tique por­ta­tive, et nous savons ce qu’il faut dire à qui vien­drait nous accu­ser de folk­lore ou d’appropriation :

On note­ra que fuguer loin de sa nature ne se résume pas, et par consé­quent ne consiste abso­lu­ment pas, à par­cou­rir la dis­tance qui sépare(rait) une volup­té innée (se vider les couilles dans une gorge) d’une volup­té acquise (se faire écar­ter l’anus, peut-être pas jusqu’au pro­lapse mais quand même)
– d’ailleurs, on dirait mieux la pre­mière don­née que innée, et la seconde apprise plu­tôt que acquise, car nous sommes des ani­maux de notre temps, des bêtes d’agrément réper­to­riées au DSM, et pas une faune de fonds d’écrans issus d’un maga­zine de savane des années 1990.

*

Je ne vais pas « jouer » loin de ma nature.
Je n’ai pas quatre ans et demi.
Je n’ai pas mis le maquillage de maman.
Je n’ai pas un cœur de quatre ans dévo­ré d’amour-dépendance comme celui d’un petit chien.
J’ai le cœur vaillant des ado­les­cents.
Je ne vais pas bar­bo­ter à dis­tance rai­son­nable de ma nature.
Je vais – regar­dez comme je vais, je suis au bord d’aller, c’est comme ça que ça va se pas­ser : – « me la jouer ».
Comme si on est same­di, je passe une four­rure blanche et du fard à pau­pières et je cat­walk dans les STOP PRETENDING ! GO BACK TO THE HETERO WORLD, WHERE YOU BELONG !

Je suis la norme, je l’incarne et je me ras­soie.
Je suis straight : il va fal­loir que je file droit.
Je tra­his mes pri­vi­lèges dans le moindre de mes gestes.
Je pro­mène mon genre dans cha­cun de mes pas.
J’appartiens à ma nature, d’ailleurs je la pos­sède – ça se voit sur­tout quand je me tiens sage.
Là j’ai l’allure de ma nature.

Mais en même temps [res­serre son nœud de cra­vate], ça va bien de faire comme si on ne jouait pas tout·e·x·s à la nature !

*

Je ne vais pas jouer loin de ma nature ; je vais me la jouer.
Je vais prendre part au game et aux per­for­mances, au jeu des impres­sions faites et des influences exer­cées.
C’est presque tous les same­dis main­te­nant.
Je vais chan­ger les pro­por­tions per­çues de mon corps la lavette, je vais sty­li­ser la lavette pour en faire une sil­houette,
ça y est je suis tout sty­li­sé, pou­dré,
je joue un jeu de hide and show, de masque et de fard, d’exhib et de pudeur,
un jeu de lumières sur le maté­riel ombra­geux de mon corps.

Et pour­tant, quels que soient mon plai­sir et ma joie, ça n’est encore, tou­jours et jamais rien, qu’une impres­sion faite sur les témoins bio­lo­giques du seul crime que je puisse confes­ser sans tra­hir ce que toute jus­tice, toute admi­nis­tra­tion, ne man­que­ra pas d’ap­pe­ler : ma véri­table nature.

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LE CLUB
Photo : Lotti Thießen

CLUB (de l’anglais : « bâton », « socié­té »)

1. Lieu pro­cu­rant à une assem­blée choi­sie des garan­ties d’échanges et de rap­ports pri­vés, confi­den­tiels voire intimes. Par exten­sion : éta­blis­se­ment noc­turne où l’on peut consom­mer, dan­ser, assis­ter à un spec­tacle, nouer et entre­te­nir des rela­tions sexua­li­sées (un club liber­tin, un club échan­giste, Cavern Club, Hundred Club). Par ext. : lieu ou struc­ture, public ou asso­cia­tif, intra- ou extra-ins­ti­tu­tion­nel, dont les mis­sions sont en géné­ral de sou­tien psy­cho­lo­gique ou d’accompagnement admi­nis­tra­tif, et qui accueille uni­que­ment en jour­née (le club de jour de l’hôpital psy­chia­trique, Club extra-hos­pi­ta­lier Antonin-Artaud).
2. Association dont les membres ont quelque goût, inté­rêt ou but com­muns, et qui admet de nou­veaux membres le plus sou­vent par élec­tion ou coop­ta­tion, après par­rai­nage. Par ext. : socié­té spor­tive (un coun­try-club, le Club alpin fran­çais). Hist. : ins­tances infor­melles, nées dans les années 1980, et finan­cées par des acteurs pri­vés, réunis­sant des par­le­men­taires et des repré­sen­tants d’intérêt (ou lob­byistes) dans le but de faire accé­der les uns aux rai­sons des autres (Club des par­le­men­taires ama­teurs de havanes, Club Chiens et socié­té, Club de l’accession à la pro­prié­té en région PACA, Club du der­nier kilo­mètre de livrai­son, Club Vive le foie gras).
3. Société où l’on s’entretient des affaires publiques ou de ques­tions phi­lo­so­phiques et poli­tiques. Hist. : entre 1789 et 1793, socié­tés dites « popu­laires » où sont dis­cu­tées les idées révo­lu­tion­naires (Club des Cordeliers, des Impartiaux, des Jacobins). Par ext. : groupe qui pro­fesse des opi­nions exal­tées (Club de Rome).
4. Société fer­mée ; groupe dont les membres se retrouvent régu­liè­re­ment et obéissent à cer­tains usages. Par ext. : cercle éli­tiste ou d’inspiration aris­to­cra­tique (Reform club, Rotary club).
Dérivés. Cravate club : cra­vate dont le motif indique l’appartenance à un club. Fauteuil club : fau­teuil de cuir large et pro­fond, tel qu’il s’en trou­vait dans les clubs de la haute-socié­té colo­niale. Clubbable : admis­sible à un club. Clubber : aller se diver­tir dans un club de nuit. Clubard : sup­por­teur fana­tique d’un club de foot­ball. Country-club : club où s’exercent des acti­vi­tés récréa­tives de plein air telles que le golf, le polo, le ten­nis ou l’équitation. Club-house : lieu où se ren­contrent les membres d’un club, en marge de l’activité prin­ci­pale de celui-ci. Pavillon-club : bâti­ment offrant divers ser­vices aux membres d’un club spor­tif ain­si qu’à leurs invi­tés.
Syntagmes. Appartenir, s’inscrire, adhé­rer à un club. Être membre, faire par­tie d’un club. Être admis, aller, pas­ser la soi­rée au club. Fonder, for­mer, (faire) fer­mer un club. Les réunions, les déci­sions du club. Faire hon­neur, faire honte, se dévouer, invi­ter à dîner au club. Faire asseoir quelqu’un dans son club. Organiser un match, une ren­contre inter-clubs.
Locutions. Bienvenue au club ! : expres­sion par laquelle on signi­fie par­ta­ger le mal­heur de son allo­cu­taire (Tu es ron­gée par l’eczéma depuis ta tendre enfance ? Bienvenue au club !).
Étymologie. A – Le pas­sage, en anglais, d’un sens (« gros bâton noueux dont une extré­mi­té est plus épaisse que l’autre ») à l’autre (« groupe de per­sonnes ») reste dif­fi­cile à expli­quer. Admis que le second pro­cède du pre­mier, celui-ci pour­rait s’originer dans un sens zéro (« masse, agré­gat »), lequel, sans avoir néces­sai­re­ment eu cours, par­ti­ci­pe­rait du sens pre­mier. Encore aujourd’hui, hor­mis sur un green et encore, ne reçoit le nom de club qu’un bâton d’une den­si­té et d’une taille qui per­mettent d’envisager frap­per à son moyen. Cf. l’emploi du verbe « to club », qu’il s’agisse de décrire la des­cente d’une bande à battes ou l’œuvre poli­cière (lors des émeutes de 2011 en Angleterre, un jour­na­liste écri­vit que la police, téta­ni­sée par une pos­sible accu­sa­tion de racisme, n’a­vait pas « don­né aux pillards la leçon qu’ils méritent », en « les assom­mant comme des bébés phoques » [club­bing these loo­ters as baby seals]). De là, le second sens pour­rait pro­cé­der d’une com­pa­rai­son, plus ou moins sourde, entre un regrou­pe­ment de per­sonnes et la masse d’un gour­din ou d’une mas­sue. Ce que club, sui­vant ce filon éty­mo­lo­gique, dési­gne­rait sour­de­ment, c’est donc une sorte d’agence col­lec­tive capable d’impact. B – Il existe une éty­mo­lo­gie concur­rente, selon laquelle club, de l’anglo-saxon cleó­fan (angl. mod. : « to cleave asun­der », fr. : « divi­ser en pièces/en mor­ceaux, cli­ver, sépa­rer »), a en pre­mier lieu conno­té non la masse ou le gour­din mais leur effet – frac­tu­ra­tion, divi­sion interne. Le fran­çais en conserve une trace, à la fois sur le mode dis­tinc­tif (le club comme poche, par­celle du monde) et répar­ti­tif (le club comme ensemble auquel on appar­tient à rai­son de sa par­ti­ci­pa­tion).

Bienvenue au club.
Le club existe
depuis que s’est consti­tuée
en club
une ancienne asso­cia­tion de
per­sonnes phy­siques iso­lées
qu’unissaient déjà dans le monde
sans qu’elles en fussent conscientes et pussent
s’en sou­te­nir
des valeurs, des sou­cis, des doutes :
des rai­sons per­son­nelles qu’on peut
par sou­ci de clar­té
et pour se faire plai­sir
regrou­per sous le nom
de force de rap­ports.
Autrement dit le club for­ma­lise
une foi­son de ten­dances et d’inclinations :
de rai­sons per­son­nelles
qu’entretenaient en com­mun mais
sans le savoir et sans pou­voir
s’y retrou­ver
des per­sonnes phy­siques iso­lées
phy­siques donc iso­lées.

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Voyez-vous nous étions des chas­seurs cueilleurs et cette acti­vi­té unique mais diverse nous a don­né notre forme ini­tiale chas­ser et cueillir cou­rir et nous pen­cher mon­ter la tente le soir et la démon­ter le matin voi­là ce pour quoi l’animal homme est fait ce à quoi nous sommes bons voi­là le mode opé­ra­toire qui main­tient notre forme en place or un jour on se mit à bêcher la terre et on bâtit en dur autour des semences et depuis nous menons une vie décli­nante une vie désa­dap­tée à l’espèce qui des mil­lions d’années durant cueillit et chas­sa et fut struc­tu­rée par cette agi­ta­tion saine où loi­sir et tra­vail pas­sions et inté­rêts n’étaient pas sépa­rés mais par­ti­ci­paient d’une acti­vi­té essen­tielle méca­ni­que­ment accor­dée au corps qui sou­tient l’espèce et la repro­duit sans dom­mage.Continuer
Texte

Non quia dici­tur, sed quia cre­di­tur.1

Si tu sais qu’il se passe quelque chose, nous t’accordons tout le reste.

Si tu te demandes s’il se passe quelque chose, ta cause est la nôtre.

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  1. « D’où vient à l’eau (du bap­tême) cette ver­tu si grande qu’en tou­chant le corps elle puri­fie le cœur, si ce n’est de la phrase qui l’ac­com­pagne ? Et non de ce que celle-ci est dite, mais de ce qu’elle est crue (Non quia dici­tur, sed quia cre­di­tur). » (Augustin, In Iohannis evan­ge­lium, tr. 80, 3)
Texte

Nous appel­le­rons fan­tômes, après le saint doc­teur, toutes les images que l’i­ma­gi­na­tion nous pré­sente, soit qu’elle les ait reçues de l’ex­té­rieur, soit qu’elle les ait fabri­quées à l’aide des maté­riaux qui lui sont venus du dehors. Nous divi­se­rons ces fan­tômes en deux classes. La pre­mière com­pren­dra les images inté­rieures que nous nous for­mons en notre fan­tai­sie des mots et des signes qui, mani­fes­tés à l’ex­té­rieur, for­me­raient une parole exté­rieure : et ces images inté­rieures, nous les appel­le­rons fan­tômes-signes. Nous met­trons dans une seconde classe tous les autres fan­tômes, c’est-à-dire les images inté­rieures qui repré­sentent en notre fan­tai­sie la chose elle-même, non un signe ou un mot qui exprime la chose : et ces autres images inté­rieures, nous les nom­me­rons fan­tômes-tableaux.

J.M.A. Vacant, Études com­pa­rées sur la phi­lo­so­phie de Saint Thomas d’Aquin et sur celle de Duns Scot, Delhomme & Briguet, Paris Lyon, 1891, pp. 168–169

Il est assis, il regarde les pavés, il médite ; tout est tran­quille, on n’entend aucun bruit, les cartes géo­gra­phiques et les tableaux synop­tiques des peuples du globe se tiennent sus­pen­dus à leurs clous, les trois chaises sont encore aux places où on les a lais­sées ; là-haut, dans leurs chambres, les élèves tra­vaillent.

G. Flaubert, L’Éducation sen­ti­men­tale

Napoléon repro­chait à ses géné­raux une ima­gi­na­tion épique, qui « empêche toute action, toute déci­sion, tout cou­rage » ; une ima­gi­na­tion qui « se fait des tableaux ». C’est aus­si dans cette ima­gi­na­tion malade de l’Histoire que réside, pour Barbey d’Aurevilly, « l’infirmité » de Frédéric Moreau, le per­son­nage de L’Éducation sen­ti­men­tale.

Cette infir­mi­té crée le pro­cé­dé de Flaubert, dont la pen­sée ne fonc­tionne jamais non plus que sous la forme de tableaux. Comme il n’a d’idées abso­lu­ment sur rien, et qu’il n’est capable que de décrire, son pro­cé­dé est infi­ni­ment simple. Il cloue et soude des tableaux à d’autres tableaux.

Se faire des tableaux, quand on est plus pau­mé que géné­ral, c’est aus­si, par assué­tude ou par las­si­tude, oublier de tailler un conçu avant d’étaler son per­çu. Léonard de Vinci, qui pen­sait que des peintres étaient de leur pra­tique trop les géné­raux et pas assez les ingé­nieurs, a écrit en sub­stance :

C’est vrai que si tu te poses devant un mur plein de taches et que tu t’y absorbes un moment en ima­gi­nant, des fonds et des formes plus ou moins nets y appa­raissent, qui par leur vague rap­pellent tout ce qu’il y a autour (voire des mondes plus loin­tains dans l’espace et le temps), et par leur net des pay­sages connus, moins par­faits que typiques, des reliefs nus, chauves d’antennes, des ter­rains de jeu enfuis du cadastre. En y allant un peu plus fort tu vois aus­si, sur ces pans bario­lés, d’anciennes scènes de com­bat avec leurs répres­seurs et les chiens qui s’affairent au fond sem­blant les imi­ter (comme Dio­gène, dés­œu­vré, sin­geait les armées colo­niales) ; bref un bor­del de faune humaine-non­­hu­­maine naît de ces taches, un bor­del enga­geant par la force des choses. Il en est de ces murs comme du son des cloches, dont chaque tin­te­ment détache, dans le bas­so du mi-silence urbain, des noms fami­liers et ché­ris ; ils indiquent un plan de découpe, c’est sûr, mais ils ne four­nissent pas les frondes.

Sur le mur de Vinci, Breton dit que cha­cun fait com­pa­raître et para­der les fan­tômes les plus pro­bables de son deve­nir. Les fan­tômes n’existent pas.
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Texte

Des kan­gou­rous vivent en auto­no­mie dans la forêt de Rambouillet depuis une qua­ran­taine d’an­nées, après que leurs ancêtres se sont échap­pés d’une réserve. Des amies sont allées à leur recherche. Les kan­gou­rous sont demeu­rés introu­vables mais toute dis­po­si­tion acci­den­telle dans la forêt a pu être inter­pré­tée comme leur trace. Ce texte a été écrit pour accom­pa­gner les tirages cya­no­types de ces pho­tos de kan­gou­rous absents.

La puis­sance végé­tale pré­sente, comme cha­cune des autres puis­sances, treize har­mo­nies. La pre­mière est céleste, ou soli-lunaire ; six sont phy­siques, et six sont morales. Dans les six phy­siques, trois sont élé­men­taires, l’aérienne, l’aquatique, la ter­restre ; trois sont orga­ni­sées, la végé­tale, l’animale et l’humaine. Dans les morales, il y en a pareille­ment trois élé­men­taires, la fra­ter­nelle, la conju­gale, la mater­nelle ; et trois orga­ni­sées ou sociales, la spé­ci­fiante, la géné­rique et la sphé­rique.1

Il n’y a per­sonne à orga­ni­ser. Nous sommes ce maté­riau qui gran­dit de l’intérieur, s’organise et se déve­loppe.2

Tout ani­mal est dans le monde comme de l’eau à l’in­té­rieur de l’eau.3

Tout s’engendre aux inter­sec­tions. Tout se génère à l’abri de son genre. Tout est à la fois satu­ré de géné­ri­ci­té et pro­fon­dé­ment iso­lé. Tout finit par s’échapper de la bau­druche mais pour cela y est entré. Tout arrive rond. Rien ne fait excep­tion.

De tous temps et dans toutes les classes, l’Homme qui rôde autour de nous jusqu’à nous fixer en pro­noms, de tous temps l’Homme fixeur qui nous tient en res­pect dans des per­son­nels (de per­sonne) ou des toniques (d’appui) et qu’il convient d’appeler notre Homme, notre Homme entre­tient le désir de s’échapper sans dis­pa­raître, désir ardent de nature à nour­rir notre Homme mais à la fois le consu­mer.

Cette his­toire s’appelle aven­ture. C’est une Histoire de la Nature. Rien n’y fait défec­tion.

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  1. Bernardin de Saint-Pierre, Tableau des har­mo­nies de la nature
  2. Comité Invisible, À nos amis
  3. Georges Bataille, Théorie de la reli­gion
Texte

Ce texte a été refu­sé par la revue Espace(s) qui l’a­vait com­man­dé. Cliquer là pour lire pour­quoi.

Se déro­ber avec mau­vaise conscience ; c’est à quoi on recon­naît une ins­ti­tu­tion.1

I L’été der­nier on m’a pas­sé com­mande d’un texte pour la revue de l’Observatoire de l’Espace du CNES.

II La com­mande est venue avec deux PDF :
– des “consignes aux auteurs”, qui détaillent les attentes du comi­té édi­to­rial concer­nant le trai­te­ment du thème du numé­ro (“Espace : lieu d’utopies”) ;
– une fiche per­son­na­li­sée et spé­ci­fi­que­ment adres­sée qui indique une contrainte lexi­cale.

II.i La contrainte lexi­cale est sus­ci­tée par le par­te­na­riat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont la mis­sion est de “garan­tir un droit au fran­çais à nos conci­toyens” en pro­po­sant des termes de souche (c’est-à-dire avant tout pas anglais) pour dési­gner “les réa­li­tés du monde contem­po­rain et ain­si contri­buer au main­tien de fonc­tion­na­li­té de notre langue” (page de la DGLFLF).

II.i.i Chaque année, à l’occasion du Salon de la Fête du Gala de l’Insurrection Francophone, la Délégation pro­pose à des gens – dont, devant la dif­fi­cul­té posée par le nombre de gens dés­œu­vrés jusqu’à la dis­po­ni­bi­li­té, elle délègue le choix au res­pon­sable de la revue Espace(s), qui lui-même le délègue à des middle men de confiance2 – pro­pose donc à des gens mal triés d’écrire à par­tir d’un de ces termes pas anglais dont on recon­naît qu’ils sont fran­çais à ce qu’ils émanent d’une ins­ti­tu­tion qui, fran­çaise, nous veut du bien.

II.i.ii Le vocable qu’on me pro­pose est : ÉMOTICÔNE.

II.i.ii.i :’(

III On m’indique que mon texte sera payé UN BILLET MAUVE à récep­tion.

III.i La somme d’UN BILLET MAUVE est rare, sur­tout au sor­tir de l’été.

IV Je file com­po­ser à Marseille, le cœur enflé d’une peine de cœur, de dif­fi­cul­tés finan­cières et du mauve sou­ci de ma page.

V Dix jours passent, où je me drogue à mon insu.

VI Composé, j’envoie.

VII Je rentre à Berlin. J’attends.

LA REVUE ESPACE(S)

La revue de l’Observatoire de l’Espace du CNES s’appelle Espace(s). Elle “incarne une démarche enga­gée pour favo­ri­ser la créa­tion lit­té­raire et plas­tique à par­tir de l’univers spa­tial.” (site de la revue)

Quelle est la nature de ce qui incarne une démarche ? La démarche c’est le corps est-il un énon­cé miroir de le style c’est l’homme ? Qu’implique un monde où c’est le mou­ve­ment qui sin­gu­la­rise avant le prendre chair ? Le carac­tère téléo­no­mique de ce mou­ve­ment (enga­gée pour) réduit-il la prise de chair à une étape inter­mé­diaire ; si oui, cette étape est-elle néces­saire ou contin­gente ? Si la sub­stance est contin­gente, parle-t-on d’un monde régi par l’accident ? Si le monde d’où nous parle la revue Espace(s) est bien régi par l’accident, qu’est-ce qui en lui pros­crit l’aperception du répé­ti­tif au constant ? Une léga­li­té du miracle per­ma­nent sur un Urgrund com­pré­hen­sif, ou de la soli­tude des faits sur un Ungrund abs­trait ? Du coup d’état per­ma­nent ou du coup de la panne répé­té ?

Je ne le sais pas. Il arrive même qu’on me pro­pose de me payer pour éta­blir ou consta­ter ne pas savoir répondre aux ques­tions que je pose, de me payer avec les mêmes jetons qui servent à payer les retraites, les recon­duites à la fron­tière, toutes sortes de rede­vances et la dette de la dette.

Il arrive que l’Institution me sol­li­cite, m’aborde un peu au hasard mais avec la ferme inten­tion de dépen­ser, pour me regar­der faire sem­blant de me conten­ter ne rien savoir des ques­tions qu’elle me pose.

Qu’en me sol­li­ci­tant elle me démarche ou qu’elle m’engage, il est à noter que c’est tou­jours pour. (Ne rien ten­ter savoir.)

Pourtant la revue Espace(s) a soin de se mon­trer conscien­cieuse et curieuse : sa “volon­té clai­re­ment affi­chée” est “d’élaborer des expé­riences cultu­relles et d’en consi­gner les résul­tats.” (site de la revue)

En un sens c’est aus­si ma volon­té, son pro­gramme, leur affiche.
C’est là en un sens ma démarche, son corps, leur enga­ge­ment.

Mais, déjà, il tito­lo è cre­ti­no3. Déjà le titre, Espace(s), avec l’afféterie du (s), est insup­por­ta­ble­ment cré­ti­naud. Déjà le petit pour-la-route de la plu­ra­li­té des mondes est nigaud, fat et nigaud. Déjà le pauvre petit “s” empa­ren­thé­sé annonce la bonne volon­té (scoute), l’accolade (mis­sion­naire), l’ouverture (ins­ti­tu­tion­nelle).

TOUS LES (S) SONT DES PRISONNIERS POLITIQUES.

En ouvrant et fer­mant la paren­thèse autour du pauvre petit s de la plu­ra­li­té des mondes, la revue du CNES signi­fie sa volon­té d’ouverture à d’autres espaces que celui qui capi­ta­li­sé consti­tue son objet, notam­ment son ouver­ture à l’Espace Littéraire (fer­mé).

La suite montre ce qu’on aurait dû voir si on avait su lire : qu’une volon­té clai­re­ment affi­chée s’appelle d’abord vel­léi­té, et que ce qu’en pre­mier lieu veut la revue Espace(s) c’est au calme être vue vou­lant4, comme on peut par­fois s’égarer à pré­fé­rer à dési­rer être consta­té dési­rant.

La revue Espace(s) veut, par exemple, être vue vou­lant résis­ter aux cli­chés, tra­vailler aux lisières, bra­ver les assi­gna­tions :

Dans chaque ouvrage, l’enjeu est de déjouer l’entrée sym­bo­lique qui pré­do­mine sou­vent notre rap­port à l’Espace. Si le pou­voir d’attraction et de fas­ci­na­tion du milieu spa­tial ne peut être nié, l’objectif de l’Observatoire de l’Espace à tra­vers la revue Espace(s) est, comme le dit son res­pon­sable de la rédac­tion Gérard Azoulay, de “bâtir une métho­do­lo­gie des­ti­née à faire per­ce­voir que nous sommes autant habi­tants de l’espace qu’habités par lui, et donc in fine d’abolir cette par­ti­tion fic­tive”. (site de la revue)

En dépit du gad­get de la poro­si­té dia­thé­tique5 et mal­gré un soup­çon jamais levé sur toute idée d’habi­ta­tion6, le pro­gramme du res­pon­sable de la revue m’arrête et me met au tra­vail, sur­tout pour ce qu’il fait dis­pa­raître la capi­tale d’espace, trou­blant les méto­nymes.

« NOUS SOMMES UNE INSTITUTION ET D’AILLEURS J’ASSUME »

VII Je rentre à Berlin.

J’attends.

(Il y a un pro­blème ?)

VII.i Il y a un pro­blème.

VII.ii Poème votif de fin d’attente
Ma démarche
sus­pen­due à son
Corps
en
gage-
Moi
uni
vers
ce qui (s’) espace.

VIII L’attente prend fin alors que je négo­cie un décou­vert au gui­chet de la Volksbank, par un coup de fil du com­man­di­taire,

VIII.i coup de fil inter­rom­pu par un vigile migrai­neux dont je ne retiens que cette phrase : “Nous sommes une ins­ti­tu­tion et d’ailleurs j’assume.”

VIII.i.i (La phrase est du coup de fil du com­man­di­taire, pas du vigile dont le coup de fil dans le lob­by de la banque aug­men­tait la migraine.)

VIII.i.i.i (Le vigile jus­ti­fie en des termes tout autres mon évic­tion du lob­by : ce n’est pas le lieu et d’ailleurs il a une migraine.)

VIII.i.ii “Nous sommes une ins­ti­tu­tion et d’ailleurs j’assume” est une phrase du res­pon­sable édi­to­rial de la revue Espace(s) et d’ailleurs de la revue Espace(s) elle-même en tant qu’elle est, d’ailleurs, l’Observatoire du Centre National d’Études Spatiales.

VIII.i.ii.i Phrases de ser­vice, comme corps pris dans démarche ano­dine,
au coeur des contra­dic­tions de l’engagement
de ce qui, contin­gent, cherche son néces­saire d’allant.
Et la véri­té est ici d’ailleurs – elle dode­line

IX Nous remet­tons ce qui reste à se dire à un coup de fil du len­de­main, dont j’ai un sou­ve­nir plus pré­cis.

IX.i (Par sou­ci de briè­ve­té, j’ai repro­duit infra de ce coup de fil l’esprit, sa teneur, leurs mots.)

X En résu­mé, le com­man­di­taire pro­pose d’amputer le texte de tout ce qui :
A. cri­tique la Délégation Générale à la Langue Française, un par­te­naire ins­ti­tu­tion­nel qu’il ne s’agit pas d’of­fen­ser ;
B. cri­tique les termes mêmes de la com­mande en don­nant à la fiche ÉMOTICÔNE une impor­tance gro­tesque.

X.i Le pro­blème de ces amé­na­ge­ments, c’est qu’ils dépouillent mon dis­po­si­tif d’au moins deux de ses agents.

X.i.i En effet, un des objets du texte est l’in­ter­ro­ga­tion des mis­sions, des fonc­tions et de la logique de ces fonc­tions : com­man­di­taire vou­lant-être-vu-ouvrant, bar­bons du fran­çais-de-droit, poète licen­cieux requis par la science, scien­ti­fique strict-par­leur. Or les deux pre­miers sont, dans la ver­sion amen­dée, évin­cés.

X.ii Mais curieux d’assister jusqu’au bout à la jus­ti­fi­ca­tion au je de l’homme de lettres d’une coupe franche au nous de la rai­son ins­ti­tu­tion­nelle, je fais ma plus belle algue et obtiens que mon inter­lo­cu­teur sta­bi­lote les pas­sages “qui ne vont pas” (cf. X. A. & B.).

GAMBERGE SUR LES INTENTIONS

XI Ayant besoin du BILLET MAUVE et d’ailleurs pas envie de prê­ter le texte au caviar­dage, se pose à moi la bonne vieille ques­tion poli­tique, pra­tique, éthique :

QUE FAIRE ?

XI.i (Question brû­lante de ma démarche, son corps, notre mou­ve­ment.)

XI.ii Je me la pose sérieu­se­ment ; d’abord parce que ça me fait jouir, ensuite parce que l’inconfort qu’il y a à y consa­crer du temps n’é­gale pas l’an­goisse qu’il y aurait à consta­ter avoir trai­té un dilemme pra­tique, éthique, poli­tique, comme un chien fout sa merde.

XI.iii Mes amis ber­li­nois et mon amie N., bien plus cas­seurs que moi, m’en­gagent à

1 accep­ter une publi­ca­tion caviar­dée,

2 empo­cher les thunes,

3 publier ensuite la ver­sion inté­grale, ailleurs.

XI.iii.i Je les entends sur un point : refu­ser l’arrangement et la thune qui va avec teinte néces­sai­re­ment le refus d’un “héroïsme du cen­su­ré” typi­que­ment petit-bour­geois. Et qui ferait de ce refus l’estrade d’une per­for­mance de radi­ca­li­té ne pour­rait que faire voir sur cette estrade aus­si une per­for­mance de classe.

XI.iii.ii Mais leur prag­ma­tisme émeu­tier m’est étran­ger. Mon tam­bour éthique tourne à 1000rpm, déjà, c’est trop tard, la ques­tion est posée en conscience.

XI.iii.ii.i En conscience, pour­quoi accep­ter de sup­pri­mer les réfé­rences à la Délégation ? La cri­tique douce d’une léga­li­té interne des langues ins­ti­tu­tion­nelles n’est rien à côté du pro­gramme de ces com­mis­sions – typique des organes répu­bli­cains en leurs mani­fes­ta­tions colo­niales (« garan­tir » à des gens qui s’en tapent quelque chose dont ils n’ont pas besoin, au nom de prin­cipes qui leur sont étran­gers).

XI.iii.ii.ii En conscience, pour­quoi accep­ter de sup­pri­mer ce qui dis­cute les termes du com­man­di­taire ? Celui-ci peut bien consi­dé­rer la fiche ÉMOTICÔNE ano­dine (“c’est un simple docu­ment de tra­vail qui n’exprime pas une posi­tion de la revue”), elle reste le maté­riau à par­tir duquel il m’é­tait deman­dé de tra­vailler. Bien que mon texte en exa­gère l’im­por­tance (dans un dis­po­si­tif expli­ci­te­ment pisse-froid qui fait conver­ser les mis­sions et les formes d’in­ter­ces­sion), je n’en­freins en rien, ce fai­sant, les consignes du comi­té.

XII.iv Si j’accepte le caviar­dage, je laisse irré­so­lue la ques­tion éthique ; or pour qui se sou­cie d’éthique (et on n’est vrai­ment pas obli­gé), cette irré­so­lu­tion est un bou­let sur la voie de l’ataraxie (ques­tion pra­tique ; réponse stoï­cienne).

XII.v Si j’accepte, je me main­tiens encore dans une posi­tion inadé­quate, sacri­fiant à une éthique du rachat (le cachet qui com­pense), ren­dant plus visible (à mes propres yeux d’a­bord) cette inadé­qua­tion (ques­tion éthique ; réponse spi­no­zienne).

XII.vi La réponse la plus radi­ca­le­ment poli­tique à la ques­tion m’est don­née par mon ami L., le plus évi­dem­ment radi­cal de tous mes amis. Elle se jus­ti­fie via Diogène – le plus évi­dem­ment etc. – : si j’ai l’oc­ca­sion de dépos­sé­der un puis­sant de son fétiche, je ne dois pas m’en pri­ver. Mais c’est à la seule condi­tion de pié­ti­ner ensuite devant lui ce fétiche.

XIV.vi.i Accepter, donc, le caviar­dage, mais ensuite : brû­ler la thune.

XII.vi.i.i Un brin dra­ma­tique, et pas tou­jours lisible.

XII.vi.i.i.i D’autant que je ne suis pas sûr que le fétiche soit tant dans ce cas le bif­ton que la pré­ro­ga­tive édi­to­riale sur le lit­té­raire ou le poé­tique. Et le der­nier mot de la rai­son ins­ti­tu­tion­nelle.

XII.vii J’opte fina­le­ment pour la méthode Keyser Söze, sug­gé­rée par mon amie A. : il a com­man­dé, j’ai livré, il raque et ferme sa gueule – s’il vou­lait des fleurs sur le paquet, il fal­lait deman­der des fleurs sur le paquet.

XII.vii.i Or le com­man­di­taire n’a pas deman­dé de fleurs sur le paquet. Il a même plu­tôt inci­té à ce qu’on pour­rait appe­ler foutre la merde : « Humour✓, iro­nie✓, aci­di­té✓, et même méchan­ce­té✓ ou vio­lence✓, prise de risque for­melle✓, ouver­ture du sens✓, atten­tion aux détails✓, au quo­ti­dien✓, au maté­riau ver­bal spé­ci­fique✓, sont des voies pos­sibles pour s’éloigner des ten­ta­tions de for­mules trop gran­di­lo­quentes quand l’Espace est en jeu. » (Consignes aux auteurs, « Lignes édi­to­riales », coches miennes).

XII.vii.i.i Mais voi­là, avec le com­man­di­taire ins­ti­tu­tion­nel c’est comme avec les syn­di­cats : quand, le plus ardem­ment conscien­cieu­se­ment minu­tieu­se­ment pos­sible, on se met, croyant répondre à leur appel, à foutre la merde, c’est tou­jours une fin de non-rece­voir, parce qu’on n’avait pas bien com­pris, c’était pas comme ça qu’il fal­lait entendre foutre, la, et merde.

XII.vii.i.i.i Et merde. Motto oppo­sable : c’est en la fou­tant mal, la merde, qu’on tape là où ça le fait, mal.

XIII Je reçois les pro­po­si­tions de caviar­dage et ren­voie poli­ment :

1 non, vrai­ment, le texte ampu­té perd toute sa per­ti­nence ;

2 voi­ci m’IBAC et BIN de bank, et faise abou­ler thune, cen­time endis­tin­gué.

XIV On m’informe en réponse que je tou­che­rai 250 roros pour le tra­vail d’écriture, mais que l’autre moi­tié du mauve aurait cor­res­pon­du à l’achat exclu­sif des droits du texte,

XIV.i ce à quoi je me serais de toute façon oppo­sé.

XIV.ii À une amie qui me fait remar­quer ce qu’il y a de radi­cal dans l’option choi­sie, je réponds que c’est, en dépit de son nom, pro­ba­ble­ment la moins radi­cale de toutes, parce que A. Elle est légale (je ne fais pas sem­blant de céder les droits pour ensuite repro­duire le texte) ; B. Elle mène au meilleur com­pro­mis pos­sible (droits de repro­duc­tion pré­ser­vés donc pos­si­bi­li­té pré­ser­vée de la pré­sente expo­sure ; thunes en moins mais pas rien non plus).

XV Finalement on n’apprend rien d’autre de cette para­bole que ce qu’on savait déjà :

  • l’Institution existe ;
  • de l’institution existe plus den­sé­ment dans l’Institution qu’ailleurs ;
  • de l’institution n’est pas éga­le­ment répar­tie (et si “il y a de l’institution par­tout et qui est dis­tri­buée en nous-mêmes”, elle est prin­ci­pa­le­ment dis­tri­buée en cer­tains lieux et cer­tains nous);
  • que l’Institution engage ou démarche, elle ne s’adresse jamais à autre qu’à elle-même ;
  • la capi­tale d’Institution n’est pas une capi­tale d’essence mais ;
  • la capi­tale d’Institution cha­peaute des logiques ins­ti­tu­tion­nelles, une rai­son ins­ti­tu­tion­nelle, une con-spi­ra­tion ins­ti­tu­tion­nelle, une visi­bi­li­té, une tan­gi­bi­li­té, une intel­li­gi­bi­li­té des objets éma­nés de ou sus­ci­tés par l’Institution qui débordent l’Institution – débordent sur les Personnes (et dans l’engagement comme dans le ser­vice, la per­sonne perd en géné­ral);
  • la visi­bi­li­té, la tan­gi­bi­li­té et l’intelligibilité ins­ti­tu­tion­nelles ne dif­fèrent pas signi­fi­ca­ti­ve­ment de celles de la mar­chan­dise (visi­bi­li­té de la recon­nais­sance, tan­gi­bi­li­té de la vali­da­tion, intel­li­gi­bi­li­té indexée);
  • que l’Institution fasse un usage du droit d’auteur confis­ca­toire des objets qu’elle consacre (achat exclu­sif) ne fait que rendre expli­cite le type de valo­ri­sa­tion de ces objets et pour tout dire le genre de féti­chisme sur les­quels repose toute éco­no­mie ins­ti­tu­tion­nelle.

Bonus :

I. GAMBERGE SUR LES INTENTIONS

Qu’est-ce que la vie des humains une image de la déi­té
Évoluant sous le ciel, tous les ter­riens
voient celui-ci. Mais lisant pour ain­si dire, comme
Dans une écri­ture, les humains ils imitent
l’infini et le pro­fus.

Friedrich Hölderlin7

1 Le texte qu’on me pro­pose d’écrire pour la revue Espace(s) doit inté­grer deux contraintes : celle, thé­ma­tique, qui gou­verne à ce numé­ro (« Espace : lieu d’utopies ») ; celle, lexi­cale, qui place chaque auteur sous la tutelle d’un vocable.

2 La contrainte thé­ma­tique est sus­ci­tée par la pers­pec­tive, à (très) moyen terme, de l’établissement de colo­nies extra­ter­riennes, en tant que cette pers­pec­tive retrempe le carac­tère uto­pique des rap­ports à l’Espace.

2.1 L’Espace, au sens méri­tant capi­tale, s’entend comme ensemble des espaces situés au-delà du ciel des humains.

3 La contrainte lexi­cale est sus­ci­tée par le par­te­na­riat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont le but est de “garan­tir à nos conci­toyens un droit au fran­çais”.

La délé­ga­tion géné­rale coor­donne un dis­po­si­tif de dix-huit com­mis­sions spé­cia­li­sées de ter­mi­no­lo­gie, char­gées de pro­po­ser des termes fran­çais pour dési­gner les réa­li­tés du monde contem­po­rain et contri­buer ain­si au main­tien de la fonc­tion­na­li­té de notre langue. (site de la DGLFLF, rubrique “Nos prio­ri­tés”)

4 Tous j’imagine son­geons fixant le ciel aux espaces qui le dépas­sant nous dépassent ; tous par­ta­geons cha­cun sa jargue l’aspiration de la langue fran­çaise sous sa tutelle répu­bli­caine : un main­tien de fonc­tion­na­li­té dans
le monde contem­po­rain

4.1 Je nous crois tous concer­nés à tous termes par ce qui nous dépas­sant nous attire et par ce qui nous peu­plant nous main­tient.

4.2 J’ai moi-même pour le ciel au-des­sus de moi et la langue en moi un sou­ci qui va de la consi­dé­ra­tion à la sidé­ra­tion.

Continuer

  1. Paul Veyne, Comment on écrit l’his­toire, Paris : Le Seuil, 1971, p. 271
  2. Mon inter­mé­diaire s’ap­pelle David Christoffel.
  3. « Déjà le titre est insup­por­ta­ble­ment cré­tin. Sa cré­ti­ne­rie est un chan­tage, parce qu’elle implique une sorte de com­pli­ci­té dans le mau­vais goût, et parce qu’elle est impo­sée au nom d’un confor­misme que la plus grande majo­ri­té accepte. » (P. P. Pasolini, « Déjà le titre est cré­tin », Contre la télé­vi­sion)
  4. J’emprunte cette expres­sion à LL de Mars, dans son Dialogue de morts à pro­pos de musique
  5. Pas que cette poro­si­té ne puisse pas être féconde, mais elle est sou­vent gad­gé­tique parce qu’incantatoire, ça jusque par chez les Amis : “Le monde ne nous envi­ronne pas, il nous tra­verse. Ce que nous habi­tons nous habite.”
  6. Le trope de l’habitation, en poé­sie, pro­cède essen­tiel­le­ment d’une lec­ture hei­deg­ge­rienne de deux vers de Hölderlin :
    Voll Verdienst, doch dich­te­risch,
    woh­net der Mensch auf die­ser Erde
    (Plein de mérite, pour­tant poé­ti­que­ment,
    l’humain habite sur cette Terre)
    Les ver­sions fran­çaises, en géné­ral, tra­duisent woh­net par l’usage tran­si­tif direct du verbe habi­ter, et Erde (Terre) par monde. Le trope se dit ain­si en géné­ral : habi­ter poé­ti­que­ment le monde ou habi­ter le monde en poète. La lec­ture de Heidegger, repré­sen­ta­tive à cet égard de tout un pan de sa pen­sée, flatte la poro­si­té dia­thé­tique du verbe habi­ter dans son usage tran­si­tif direct en fran­çais : j’habite une mai­son (actif) / le doute m’ha­bite ou je suis habi­té par un sen­ti­ment (pas­sif). Pourtant en alle­mand ce double-sens est absent : être habi­té par le doute se tra­duit avec le verbe beherr­schen : je suis diri­gé, régi, contrô­lé, par le doute (c’est d’ailleurs un des sens pos­sibles de l’étymon latin habeo qui donne habi­ter). Mais Heidegger abuse autre­ment des res­sources propres de la langue alle­mande, dans un texte qui la consacre comme seule langue – après le Grec Ancien – de la phi­lo­so­phie. Pour résu­mer : le degré de l’écoute, dans sa cor­res­pon­dance avec le verbe poé­tique, seul verbe authen­tique, est fonc­tion de la qua­li­té de l’habitation. Cette équa­tion n’est vrai­ment lisible que dans la ver­sion ori­gi­nale, où la den­si­té de jeux de mots de vieil oncle est excep­tion­nelle : spre­chen / zus­pre­chen / ents­pre­chen (par­ler / attri­buer / répondre-cor­res­pondre), hören (auf) / zuhö­ren / gehö­ren (entendre / écou­ter (obéir) / appar­te­nir). Jusqu’au fameux : Eigentlich spricht die Sprache. Der Mensch spricht erst und nur, inso­fern er der Sprache ents­pricht, indem er auf ihren Zuspruch hört. (“En réa­li­té c’est la langue qui parle. L’homme ne parle que dans la mesure où il répond à (ents­pre­chen : répondre à une norme, être à la mesure, se mettre à l’échelle de la langue), en ce qu’il obéit à son assi­gna­tion (Zuspruch, aus­si : attri­bu­tion))”. (Sur les jeux d’étymons chez Heidegger, cf. G.-A. Goldschmidt, Heidegger et la langue alle­mande). Le trope de l’habitation poé­tique est plus lar­ge­ment sus­pect, après l’hermétisme ger­main de Heidegger, d’une recon­duc­tion de ses par­ti­tions : poé­ti­que/­non-poé­tique est lar­ge­ment super­po­sable à la divi­sion de Sein und Zeit entre authen­tique et inau­then­tique. Habiter poé­ti­que­ment revient en fin de compte pour Heidegger à être vrai­ment, de plain pied (retour à un bauen (“bâtir”) anhis­to­rique, éty­mo­lo­gi­que­ment for­mé à par­tir du bin de ich bin (je suis) qui s’entend dans l’articulation “bâtir, habi­ter, pen­ser”). Au jeu de l’étymologisme, on pour­rait tout aus­si bien, côté latin, fon­der une onto­lo­gie modale, une éthique radi­cale à par­tir du verbe latin habi­tare, fré­quen­ta­tif d’habeo (signi­fiant donc “avoir sou­vent”).
  7. Was ist der Menschen Leben…, début
Texte

This text is an ENG ver­sion of PAM552 book­let. It has been trans­la­ted by LottoThiessen, Joel Scott and Marty Hiatt for Artichoke 4.

dep1

dépa­touiller qqch : to cope with sth, to manage sth
se dépa­touiller : to disen­tangle one­self

- Get up and walk. Dépatouille is a game for two players, in which A gives B orders that should lead her to com­plete a simple action (stand, walk, drink a glass of water…). The constraint lies in the fact that B is enti­re­ly igno­rant of the ges­tu­ral reper­toire of social domes­ti­ca­tion : thus, nothing can be achie­ved by orde­ring B to “stand up, walk over there and drink that glass of water”, because the actions of stan­ding up, wal­king, drin­king, the deixes “over there” and “that”, and the prag­ma­tic “glass of water” are com­ple­te­ly unfa­mi­liar to her. B’s com­pe­tence refers exclu­si­ve­ly to parts of her body and to abso­lute posi­tions in rela­tion to these. So if B, slou­ched on a couch, must manage to stand up and drink a glass of water, “apply a 35° bend to your left arm along the floor” is a kind of accep­table start to set­ting her right. B is cal­led l’empatouillée ; A la dépa­touilleuse.

dep2

- Starting Position. The empa­touillée chooses her star­ting posi­tion ; this involves the grea­test pos­sible relaxa­tion. This star­ting posi­tion is the empatouillée’s expres­sive moment, in which pos­si­bi­li­ties of sla­ck­ness, the fee­ling com­for­table and the make your­self com­for­table, are exten­ded beyond the boun­da­ries of hos­pi­ta­li­ty. The empa­touillée doesn’t only play the docile host of the dépa­touilleuse, she is also the guest who chooses where and how she loses conscious­ness, laying out the crime scene from which she will be rescued.

- Where does dépa­touille come from ? Dépatouille was born in a moment of fai­lure, of frus­tra­tion, of latent conflict making rela­tions tense. Authoritarian sta­te­ments had repla­ced nego­tia­tion about what is to be done. On reflec­tion, it became clear that these sta­te­ments were model­led on the cop, the pimp, the gang­ster, the doc­tor, the parent – all of whose dis­courses are simul­ta­neous­ly calls to order in the form of preemp­tive threats (“you bet­ter take some time and be care­ful about that”), and the expres­sion of par­ti­cu­lar affects which, within that order, are bran­di­shed as cano­ni­cal attri­butes (“i’m not a violent man but you should be aware that…”).Continuer

Texte

On pense, on craint, quand on pré­pare un bœuf bour­gui­gnon, de ne pas vrai­ment cui­si­ner un bœuf bour­gui­gnon, quand on écrit de la poé­sie (vers, champs, blocs, ou lignes, ou phrases, ou pro­po­si­tions) de ne pas être en train d’en écrire, quand on fait un film, de ne pas être suf­fi­sam­ment dans le ciné­ma – ou trop, ce qui revient au même, la pos­ture consis­tant à vou­loir à tout prix se situer dans la Nouvelle Cuisine, l’Anti-Poésie, ou le Non-Cinéma, pro­duit des effets iden­tiques, puis­qu’elle pré­sente l’as­si­gna­tion à un lieu, et l’o­bli­ga­tion consé­quente qu’au­rait ce qu’on fait d’y entrer, ou de ne pas dési­rer y être, comme un impé­ra­tif. Ce n’est pas un pro­blème de savoir ou de maî­trise tech­nique, mais le désir, sou­te­nu par l’exclusion qui cerne ce dont on s’exclut, de rejoindre le point d’ancrage, l’horizon rêvé où l’on fait du vrai bœuf bour­gui­gnon, de la poé­sie, du ciné­ma – ceux qui sortent, à recu­lons ou exci­tés du ciné­ma / de la poé­sie, les refondent, mais ceux qui s’y sentent et le reven­diquent ne font pas mieux, en les main­te­nant bien inalié­nables, pri­vés.

Nathalie Quintane, Mortinsteinck

tachetache

« Objects I see in this water (EDIT : cum) stain : Do you still see things like you did in clouds when you were youn­ger ?« 1

Bonjours. Cet épi­sode porte sur l’é­pi­sode pré­cé­dent. Depuis lui, j’ai eu 30 ans et deux fois suis mon­té sur scène : une fois pour faire rire par absence de dra­ma­tur­gie, une autre fois pour faire chier par absence de dra­ma­tur­gie. Ça n’est ni une chose ni une chose dont je suis fier, mais le temps écou­lé en sub­stance depuis l’é­té der­nier a – comme le post de forum repro­duit ci-des­sus et cou­su depuis juin dans la dou­blure de ma veste – ins­tam­ment posé la ques­tion si je voyais tou­jours, ayant eu 30 ans, des choses comme j’en voyais plus jeune dans les nuages du ciel ou dans le sperme des draps.

La langue alle­mande enseigne

  • qu’on peut poser la ques­tion si… (die Frage ob…) sans pas­ser par de savoir si…2
  • qu’on doit faire atten­tion à ne pas être dupe d’elles quand on parle des choses, celles qu’on voit comme celles qu’on croit voir, celles per­çues comme celles conçues, parce qu’elles cir­culent sous deux formes, deux sens, moins binaires que bifrontes : le Ding (un informe dar­dé : pierre, gland, chat, chien – toute confi­gu­ra­tion de la matière ani­mée comme inani­mée) et la Sache (une belle et authen­tique ques­tion : une dra­ma­tique de gland, un débat sur chat, l’af­faire pierre, le sou­ci chien – à chaque fois tout un plat).

Il semble évident que la plu­part d’entre nous voit la plu­part du temps dans tout – ses cieux comme ses draps – toute une pro­duc­tion plu­tôt que du pro­duit pro­duit. C’est que tous nous dra­ma­ti­sons. Tous fai­sons de gros, gros efforts de dra­ma­tur­gie pour ne pas nous can­ton­ner à la vue mais accé­der à la vision.

On aurait tort de croire que nos efforts de dra­ma­tur­gie se réduisent aux moments où, monde des mondes, self des selfs, cœur des cœurs et cer­velle des cer­velles, on s’offre tout son soul sur scène à la gra­bouille d’un par­terre d’yeux ver­ju­tés de chiance ou de rire.

Marseille : rires. (Accéder aux autres plats)

Pour se lais­ser faire indo­lent de la dra­ma­tur­gie, il suf­fit d’un plan ; de même pour se mettre à faire impé­rieux de la dra­ma­tur­gie, il suf­fit d’un espace tra­vaillé par le regard comme fond : cieux, draps, page blanche, scène de théâtre effec­ti­ve­ment. Il suf­fit d’a­voir sai­si, dans la gra­bouille d’un mur, d’un ciel, d’un tis­su, d’une sauce de salade, ou dans le bor­del de déter­mi­na­tions his­to­riques qui saturent la page blanche et la scène, un ensemble et de s’y tenir, plu­tôt que de s’en tenir à la vue d’un hété­ro­clite pro­fus.Continuer