Texte

Ce texte, qui vient de paraître dans Trou noir, est dédié à Joachim C., caba­ret tra­ves­ti et chô­meuse longue durée, qui résu­ma auprès d’une amie la teneur d’une remarque que je venais de lui faire : « Ce qu’Antoine veut dire, c’est qu’il trouve que tu es allée te la jouer loin de ta nature. »

C’est pro­ba­ble­ment par voie de « nature »
– ce mot des âges clas­siques qui colle aux palais et demeure, outre tous les congé­die­ments, d’usage pour par­ler du maté­riel mena­cé de réduc­tion bio­lo­gique : genre et cul, courbes et incli­na­tions… –
c’est très cer­tai­ne­ment en ver­tu de « ma » nature, ma nature « propre », et pour y échap­per, que je déci­de­rais, un jour, quand les condi­tions ini­tiales auraient réduit jusqu’au bouillon, quand mes ten­ta­tives d’être popu­laire ou d’avoir un 15 en rédac auraient épui­sé l’énergie de ma nais­sance et le fonds de mes pro­prié­tés, d’
ALLER ME LA JOUER LOIN DE MA NATURE– fugue sans témoin ou presque (n’étant pas du genre qui trouble ouver­te­ment les genres), et presque sans effets (étant du genre qu’on ne marque pas), et fugue tem­po­raire en tout cas, fugue com­po­sée de mini­fugues en chaîne, jamais trop loin jamais trop long, mais chaque fois un peu plus pro­fond dans le savage alien hos­tile et mer­veilleux des natures contraires.

Or on sait bien ceci, que les Anciens tou­te­fois sem­blaient igno­rer, que si tu fonces tout droit vers ta nature « la plus contraire », tu fini­ras par faire des ronds autour du point d’où tu par­tis, naquis, fus posé là, pour­vu de couilles par le plus grand, enfin par le plus petit des hasards : celui qui fait les couilles conformes
– avec ça d’intéressant quand même, et qui finit par faire d’une série mini­fu­gi­tive une dérive : les ronds tou­jours plus « grands », excen­tri­que­ment par­lant.

Aussi ALLER SE LA JOUER LOIN DE SA NATURE est-il (au moins à titre d’hypothèse, et tou­jours à ce stade dont le dépas­se­ment est en vue pour peu qu’on ne s’y pro­jette pas) le pre­mier pas d’une pos­sible AVENTURE, le pre­mier tour d’un vice qui mène­rait à une embar­dée dans la péri­phé­rie de sa nature, une boucle autour de sa nature par l’extérieur de sa nature, par ce qui la cerne ou la ceint, et qui était jusque-là tenu pour non-lieu, ne figu­rant pas sur les cartes, sur le pla­teau de sa nature
– et bien sûr, les condi­tions de pos­si­bi­li­té d’une telle aven­ture ne sont pas infuses, mais elles n’ont pas non plus rien à voir avec le stan­dard, le stand­point, la config ini­tiale, puisqu’on dit qu’elles pro­cèdent d’une cas­cade d’implications faites, qui sont autant de dés­im­pli­ca­tions à faire :s’être fait attri­buer une nature et avoir eu à en répondre ;avoir recon­nu que la nature, c’est du propre ;avoir non seule­ment iden­ti­fié mais situé sa nature, l’avoir cir­cons­crite, l’avoir consa­crée comme topique (on peut main­te­nant s’en éloi­gner – pour le week-end, pour la nuit) ;avoir consi­dé­ré l’écart par rap­port à sa nature comme un « se la jouer », comme donc :une che­vau­chée dans l’artifice,un raid brouillon dans le latex ou le poly­sty­rène,un truc de bran­leur ou de mau­vaise fille,de bad bitch au soir tom­bant ;et, selon les époques et les genres en vigueur :un truc cuir,un truc Tacchini,un truc bottes à franges,un truc toge entre­bâillée,un truc plume dans le cul.

*

On sait que, quand vous avez com­men­cé à dire merde, vous n’êtes pas loin d’aller fuguer ;qu’après la pre­mière fugue, vous n’êtes pas loin de tom­ber dans la drogue ou le maquillage et,qu’une fois pou­dré, vous êtes à deux pas de la pre­mière gav ;or on sait que la pre­mière gav est un ticket pour la Syrie ou la porte ouverte à l’amok au col­lège – il suf­fit d’une nuit un peu chaude sur Twitch ou Youtube.

À quoi res­semble l’échelle dont ALLER SE LA JOUER LOIN DE SA NATURE est le pre­mier degré ?A1. Percer,A2. tatouer,A3. pro­thé­serle corps des fac­to­ry set­tings ?
B1. Chausser les com­pen­sées de la fran­gine aux heures creuses de l’appartement,B2. pro­fi­ter du cours d’EPS pour kif­fer quand ça moule,B3. convo­quer des soi­rées por­no entre couilles et n’avoir qu’un œil sur l’écran ?
C1. Sucer pour un contrôle de maths,C2. une bar­rette,C3. une invi­ta­tion à la teufdans les toi­lettes du CDI ?

Et si, à l’occasion d’une embar­dée loin de vos natures, un meurtre était com­mis, qui pour­rait le juger ? Et quel serait le ver­dict ?A. La Nature tra­hie ?B. La Nature révé­lée ?C. La Dérive mons­trueuse ?D. La Bouffée Soudaine d’état-de-nature ?
Et que diriez-vous pour votre défense ?A. Sous l’empire d’une nature aliène, j’avoue que j’ai com­mis.B. La nature est ce qui a éle­vé en moi une apti­tude au crime, le crime de l’artifice.

*

Au retour de mes fugues, il arrive que, par peur de lais­ser per­ce­voir que ma fugue m’a chan­gé, j’épouse rigou­reu­se­ment les contours de ma nature native : je m’y tiens sage, je m’y can­tonne, et très cer­tai­ne­ment je m’y vautre, avec une ardeur louche – comme on se vautre avec jubi­la­tion dans la fange du capi­ta­lisme tar­dif, voi­là,J’épouse ma nature native.=Je m’enfile un big­mac sur un par­king à Plan-de-Campagne par une jour­née cani­cu­laire d’avril, les bronches assaillies de par­ti­cules fines.

Et, natu­rel­le­ment, le retour à soi vient avec son pro­cès ;
la nature, parce qu’on sait qu’elle fait bien les choses, opère conti­nû­ment pour réta­blir l’équilibre du monde – l’équilibre des digni­tés et des indi­gni­tés, celui des mérites et des démé­rites, etc. ;
la nature, parce qu’on sait qu’il est avé­ré que ses normes collent à ses formes, pro­nonce spon­ta­né­ment une sorte de juge­ment
– une pluie de châ­ti­ments-réflexes s’a­bat sur qui est de retour dans sa nature après une fugue hors sa nature :asthé­nie post-pran­diale,insuf­fi­sance pul­mo­naire,hyper­su­da­tionnota­tion des courbes sur 20éva­lua­tion du coup de reins(sans comp­ter le tour­nis que ça donne en cher­chant la sor­tie, à Plan-de-Campagne).

À l’inverse, chaque mala­die éteinte signa­le­rait la fin de vel­léi­tés à aller voir loin de sa nature ; récom­pen­se­rait, en le sanc­tion­nant posi­ti­ve­ment, un retour dans l’enclos de sa nature. Car c’est bien ain­si que la nature est faite : tout ce qui y paraît com­pa­raît ; et tout juge­ment ex natu­ra est de ceux qui, plus ou moins exé­cu­toi­re­ment, décident de qui va vivre et de qui, ne sachant pas vivre selon ses normes, doit mou­rir. L’éventail des sanc­tions inter­mé­diaires ou sub­sti­tu­tives est large, les mesures dis­ci­pli­naires tem­po­raires et les pré­ven­tions bien­veillantes sont nom­breuses : mettre fin à une cavale dans l’artifice,pri­ver du plai­sir de feindre une nature ou de tra­hir la sienne,ras­soir dans la cel­lule de dégri­se­ment des natures stan­dard,confis­quer les natures d’apparat, les natures iri­sées, les capes et les moires, paillettes, les natures d’ombres et de lumières – mais sans sur­prise elles tuent à la longue, et qui est sus­pec­té de déser­ter sa nature, de chô­mer sa nature, voire de per­ru­quer la nature, s’expose à la même rage que celle qui vise qui chôme tout court, per­ruque tout court et s’abstient tout bon­ne­ment de pro­duire.

*

Ah. Oh. Si seule­ment le juge­ment n’était que la sanc­tion ; mais il ne vient jamais sans sa leçon. Teneur : qui tra­hit sa natureest traître à la Nature Commune,et jouit d’une Dissidence per­son­nelle et mes­quine, et joue le Sensuel contre l’Organique,désac­corde l’Individu de l’Espèce,trouble,par ces misé­rables vel­léi­tés de Distinction,ces pré­ten­tions pué­riles sur son Corps et son Cul,ces regim­be­ments contre les Vices conformes et l’aiguillon de la Chair,une Nature Supérieure dont quelqu’un est l’Auteur,une Nature qui fut faite, et fut faite une bonne fois.

Ce tir nour­ri de reproches et de sus­pi­cions, de reproches nour­ris­sant sus­pi­cions et réci­pro­que­ment, est bien connu des cou­pables et com­plices d’actes contre-nature, des criminel⋅les de lèse-nature. Mais, à la douce, comme un paquet de lois pas­sées pen­dant les fêtes, cette répro­ba­tion pro­non­cée au nom de la rai­son natu­relle et émise depuis la terre ferme, fer­tile, la véri­dique terre des natures ins­ti­tuées, frôle de plus en plus d’entre « nous » qui, après des années d’interrogations inter­dites ou bavardes devant cette fièvre de conver­sions Factices !, Capricieuses !, Narcissiques !, envi­sagent fina­le­ment, sinon de déser­ter leur nature, d’aller gen­ti­ment se la jouer loin de leur nature
– même si pas for­cé­ment bien loin (ni dans le jeu ni dans l’écart), mais au moins d’aller se la don­ner, disons, deux ou trois nuits dans le mois, au-delà du périph exté­rieur de leur nature élé­men­taire, avant de reve­nir, fan­tas­ma­ti­que­ment requinqué⋅es, poin­ter dans les locaux de La Nature SA, comme un cour­tier en assu­rance habi­tué du caba­ret tra­ves­ti.

*

Même si c’est par plai­sir, d’abord, que nous nous offrons ces débor­de­ments ponc­tuels de nos natures élé­men­taires, nous ne sor­tons jamais, une fois poudré⋅es, qu’avec une théo­rie apo­lo­gé­tique por­ta­tive, et nous savons ce qu’il faut dire à qui vien­drait nous accu­ser de folk­lore ou d’appropriation :

On note­ra que fuguer loin de sa nature ne se résume pas, et par consé­quent ne consiste abso­lu­ment pas, à par­cou­rir la dis­tance qui sépare(rait) une volup­té innée (se vider les couilles dans une gorge) d’une volup­té acquise (se faire écar­ter l’anus, peut-être pas jusqu’au pro­lapse mais quand même)
– d’ailleurs, on dirait mieux la pre­mière don­née que innée, et la seconde apprise plu­tôt que acquise, car nous sommes des ani­maux de notre temps, des bêtes d’agrément réper­to­riées au DSM, et pas une faune de fonds d’écrans issus d’un maga­zine de savane des années 1990.

*

Je ne vais pas « jouer » loin de ma nature.
Je n’ai pas quatre ans et demi.
Je n’ai pas mis le maquillage de maman.
Je n’ai pas un cœur de quatre ans dévo­ré d’amour-dépendance comme celui d’un petit chien.
J’ai le cœur vaillant des ado­les­cents.
Je ne vais pas bar­bo­ter à dis­tance rai­son­nable de ma nature.
Je vais – regar­dez comme je vais, je suis au bord d’aller, c’est comme ça que ça va se pas­ser : – « me la jouer ».
Comme si on est same­di, je passe une four­rure blanche et du fard à pau­pières et je cat­walk dans les STOP PRETENDING ! GO BACK TO THE HETERO WORLD, WHERE YOU BELONG !

Je suis la norme, je l’incarne et je me ras­soie.
Je suis straight : il va fal­loir que je file droit.
Je tra­his mes pri­vi­lèges dans le moindre de mes gestes.
Je pro­mène mon genre dans cha­cun de mes pas.
J’appartiens à ma nature, d’ailleurs je la pos­sède – ça se voit sur­tout quand je me tiens sage.
Là j’ai l’allure de ma nature.

Mais en même temps [res­serre son nœud de cra­vate], ça va bien de faire comme si on ne jouait pas tout·e·x·s à la nature !

*

Je ne vais pas jouer loin de ma nature ; je vais me la jouer.
Je vais prendre part au game et aux per­for­mances, au jeu des impres­sions faites et des influences exer­cées.
C’est presque tous les same­dis main­te­nant.
Je vais chan­ger les pro­por­tions per­çues de mon corps la lavette, je vais sty­li­ser la lavette pour en faire une sil­houette,
ça y est je suis tout sty­li­sé, pou­dré,
je joue un jeu de hide and show, de masque et de fard, d’exhib et de pudeur,
un jeu de lumières sur le maté­riel ombra­geux de mon corps.

Et pour­tant, quels que soient mon plai­sir et ma joie, ça n’est encore, tou­jours et jamais rien, qu’une impres­sion faite sur les témoins bio­lo­giques du seul crime que je puisse confes­ser sans tra­hir ce que toute jus­tice, toute admi­nis­tra­tion, ne man­que­ra pas d’ap­pe­ler : ma véri­table nature.

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LE CLUB
Photo : Lotti Thießen

CLUB (de l’anglais : « bâton », « socié­té »)

1. Lieu pro­cu­rant à une assem­blée choi­sie des garan­ties d’échanges et de rap­ports pri­vés, confi­den­tiels voire intimes. Par exten­sion : éta­blis­se­ment noc­turne où l’on peut consom­mer, dan­ser, assis­ter à un spec­tacle, nouer et entre­te­nir des rela­tions sexua­li­sées (un club liber­tin, un club échan­giste, Cavern Club, Hundred Club). Par ext. : lieu ou struc­ture, public ou asso­cia­tif, intra- ou extra-ins­ti­tu­tion­nel, dont les mis­sions sont en géné­ral de sou­tien psy­cho­lo­gique ou d’accompagnement admi­nis­tra­tif, et qui accueille uni­que­ment en jour­née (le club de jour de l’hôpital psy­chia­trique, Club extra-hos­pi­ta­lier Antonin-Artaud).
2. Association dont les membres ont quelque goût, inté­rêt ou but com­muns, et qui admet de nou­veaux membres le plus sou­vent par élec­tion ou coop­ta­tion, après par­rai­nage. Par ext. : socié­té spor­tive (un coun­try-club, le Club alpin fran­çais). Hist. : ins­tances infor­melles, nées dans les années 1980, et finan­cées par des acteurs pri­vés, réunis­sant des par­le­men­taires et des repré­sen­tants d’intérêt (ou lob­byistes) dans le but de faire accé­der les uns aux rai­sons des autres (Club des par­le­men­taires ama­teurs de havanes, Club Chiens et socié­té, Club de l’accession à la pro­prié­té en région PACA, Club du der­nier kilo­mètre de livrai­son, Club Vive le foie gras).
3. Société où l’on s’entretient des affaires publiques ou de ques­tions phi­lo­so­phiques et poli­tiques. Hist. : entre 1789 et 1793, socié­tés dites « popu­laires » où sont dis­cu­tées les idées révo­lu­tion­naires (Club des Cordeliers, des Impartiaux, des Jacobins). Par ext. : groupe qui pro­fesse des opi­nions exal­tées (Club de Rome).
4. Société fer­mée ; groupe dont les membres se retrouvent régu­liè­re­ment et obéissent à cer­tains usages. Par ext. : cercle éli­tiste ou d’inspiration aris­to­cra­tique (Reform club, Rotary club).
Dérivés. Cravate club : cra­vate dont le motif indique l’appartenance à un club. Fauteuil club : fau­teuil de cuir large et pro­fond, tel qu’il s’en trou­vait dans les clubs de la haute-socié­té colo­niale. Clubbable : admis­sible à un club. Clubber : aller se diver­tir dans un club de nuit. Clubard : sup­por­teur fana­tique d’un club de foot­ball. Country-club : club où s’exercent des acti­vi­tés récréa­tives de plein air telles que le golf, le polo, le ten­nis ou l’équitation. Club-house : lieu où se ren­contrent les membres d’un club, en marge de l’activité prin­ci­pale de celui-ci. Pavillon-club : bâti­ment offrant divers ser­vices aux membres d’un club spor­tif ain­si qu’à leurs invi­tés.
Syntagmes. Appartenir, s’inscrire, adhé­rer à un club. Être membre, faire par­tie d’un club. Être admis, aller, pas­ser la soi­rée au club. Fonder, for­mer, (faire) fer­mer un club. Les réunions, les déci­sions du club. Faire hon­neur, faire honte, se dévouer, invi­ter à dîner au club. Faire asseoir quelqu’un dans son club. Organiser un match, une ren­contre inter-clubs.
Locutions. Bienvenue au club ! : expres­sion par laquelle on signi­fie par­ta­ger le mal­heur de son allo­cu­taire (Tu es ron­gée par l’eczéma depuis ta tendre enfance ? Bienvenue au club !).
Étymologie. A – Le pas­sage, en anglais, d’un sens (« gros bâton noueux dont une extré­mi­té est plus épaisse que l’autre ») à l’autre (« groupe de per­sonnes ») reste dif­fi­cile à expli­quer. Admis que le second pro­cède du pre­mier, celui-ci pour­rait s’originer dans un sens zéro (« masse, agré­gat »), lequel, sans avoir néces­sai­re­ment eu cours, par­ti­ci­pe­rait du sens pre­mier. Encore aujourd’hui, hor­mis sur un green et encore, ne reçoit le nom de club qu’un bâton d’une den­si­té et d’une taille qui per­mettent d’envisager frap­per à son moyen. Cf. l’emploi du verbe « to club », qu’il s’agisse de décrire la des­cente d’une bande à battes ou l’œuvre poli­cière (lors des émeutes de 2011 en Angleterre, un jour­na­liste écri­vit que la police, téta­ni­sée par une pos­sible accu­sa­tion de racisme, n’a­vait pas « don­né aux pillards la leçon qu’ils méritent », en « les assom­mant comme des bébés phoques » [club­bing these loo­ters as baby seals]). De là, le second sens pour­rait pro­cé­der d’une com­pa­rai­son, plus ou moins sourde, entre un regrou­pe­ment de per­sonnes et la masse d’un gour­din ou d’une mas­sue. Ce que club, sui­vant ce filon éty­mo­lo­gique, dési­gne­rait sour­de­ment, c’est donc une sorte d’agence col­lec­tive capable d’impact. B – Il existe une éty­mo­lo­gie concur­rente, selon laquelle club, de l’anglo-saxon cleó­fan (angl. mod. : « to cleave asun­der », fr. : « divi­ser en pièces/en mor­ceaux, cli­ver, sépa­rer »), a en pre­mier lieu conno­té non la masse ou le gour­din mais leur effet – frac­tu­ra­tion, divi­sion interne. Le fran­çais en conserve une trace, à la fois sur le mode dis­tinc­tif (le club comme poche, par­celle du monde) et répar­ti­tif (le club comme ensemble auquel on appar­tient à rai­son de sa par­ti­ci­pa­tion).

Bienvenue au club.
Le club existe
depuis que s’est consti­tuée
en club
une ancienne asso­cia­tion de
per­sonnes phy­siques iso­lées
qu’unissaient déjà dans le monde
sans qu’elles en fussent conscientes et pussent
s’en sou­te­nir
des valeurs, des sou­cis, des doutes :
des rai­sons per­son­nelles qu’on peut
par sou­ci de clar­té
et pour se faire plai­sir
regrou­per sous le nom
de force de rap­ports.
Autrement dit le club for­ma­lise
une foi­son de ten­dances et d’inclinations :
de rai­sons per­son­nelles
qu’entretenaient en com­mun mais
sans le savoir et sans pou­voir
s’y retrou­ver
des per­sonnes phy­siques iso­lées
phy­siques donc iso­lées.

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Texte

Voyez-vous nous étions des chas­seurs cueilleurs et cette acti­vi­té unique mais diverse nous a don­né notre forme ini­tiale chas­ser et cueillir cou­rir et nous pen­cher mon­ter la tente le soir et la démon­ter le matin voi­là ce pour quoi l’animal homme est fait ce à quoi nous sommes bons voi­là le mode opé­ra­toire qui main­tient notre forme en place or un jour on se mit à bêcher la terre et on bâtit en dur autour des semences et depuis nous menons une vie décli­nante une vie désa­dap­tée à l’espèce qui des mil­lions d’années durant cueillit et chas­sa et fut struc­tu­rée par cette agi­ta­tion saine où loi­sir et tra­vail pas­sions et inté­rêts n’étaient pas sépa­rés mais par­ti­ci­paient d’une acti­vi­té essen­tielle méca­ni­que­ment accor­dée au corps qui sou­tient l’espèce et la repro­duit sans dom­mage.Continuer
Texte

Non quia dici­tur, sed quia cre­di­tur.1

Si tu sais qu’il se passe quelque chose, nous t’accordons tout le reste.

Si tu te demandes s’il se passe quelque chose, ta cause est la nôtre.

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  1. « D’où vient à l’eau (du bap­tême) cette ver­tu si grande qu’en tou­chant le corps elle puri­fie le cœur, si ce n’est de la phrase qui l’ac­com­pagne ? Et non de ce que celle-ci est dite, mais de ce qu’elle est crue (Non quia dici­tur, sed quia cre­di­tur). » (Augustin, In Iohannis evan­ge­lium, tr. 80, 3)
Texte

Nous appel­le­rons fan­tômes, après le saint doc­teur, toutes les images que l’i­ma­gi­na­tion nous pré­sente, soit qu’elle les ait reçues de l’ex­té­rieur, soit qu’elle les ait fabri­quées à l’aide des maté­riaux qui lui sont venus du dehors. Nous divi­se­rons ces fan­tômes en deux classes. La pre­mière com­pren­dra les images inté­rieures que nous nous for­mons en notre fan­tai­sie des mots et des signes qui, mani­fes­tés à l’ex­té­rieur, for­me­raient une parole exté­rieure : et ces images inté­rieures, nous les appel­le­rons fan­tômes-signes. Nous met­trons dans une seconde classe tous les autres fan­tômes, c’est-à-dire les images inté­rieures qui repré­sentent en notre fan­tai­sie la chose elle-même, non un signe ou un mot qui exprime la chose : et ces autres images inté­rieures, nous les nom­me­rons fan­tômes-tableaux.

J.M.A. Vacant, Études com­pa­rées sur la phi­lo­so­phie de Saint Thomas d’Aquin et sur celle de Duns Scot, Delhomme & Briguet, Paris Lyon, 1891, pp. 168–169

Il est assis, il regarde les pavés, il médite ; tout est tran­quille, on n’entend aucun bruit, les cartes géo­gra­phiques et les tableaux synop­tiques des peuples du globe se tiennent sus­pen­dus à leurs clous, les trois chaises sont encore aux places où on les a lais­sées ; là-haut, dans leurs chambres, les élèves tra­vaillent.

G. Flaubert, L’Éducation sen­ti­men­tale

Napoléon repro­chait à ses géné­raux une ima­gi­na­tion épique, qui « empêche toute action, toute déci­sion, tout cou­rage » ; une ima­gi­na­tion qui « se fait des tableaux ». C’est aus­si dans cette ima­gi­na­tion malade de l’Histoire que réside, pour Barbey d’Aurevilly, « l’infirmité » de Frédéric Moreau, le per­son­nage de L’Éducation sen­ti­men­tale.

Cette infir­mi­té crée le pro­cé­dé de Flaubert, dont la pen­sée ne fonc­tionne jamais non plus que sous la forme de tableaux. Comme il n’a d’idées abso­lu­ment sur rien, et qu’il n’est capable que de décrire, son pro­cé­dé est infi­ni­ment simple. Il cloue et soude des tableaux à d’autres tableaux.

Se faire des tableaux, quand on est plus pau­mé que géné­ral, c’est aus­si, par assué­tude ou par las­si­tude, oublier de tailler un conçu avant d’étaler son per­çu. Léonard de Vinci, qui pen­sait que des peintres étaient de leur pra­tique trop les géné­raux et pas assez les ingé­nieurs, a écrit en sub­stance :

C’est vrai que si tu te poses devant un mur plein de taches et que tu t’y absorbes un moment en ima­gi­nant, des fonds et des formes plus ou moins nets y appa­raissent, qui par leur vague rap­pellent tout ce qu’il y a autour (voire des mondes plus loin­tains dans l’espace et le temps), et par leur net des pay­sages connus, moins par­faits que typiques, des reliefs nus, chauves d’antennes, des ter­rains de jeu enfuis du cadastre. En y allant un peu plus fort tu vois aus­si, sur ces pans bario­lés, d’anciennes scènes de com­bat avec leurs répres­seurs et les chiens qui s’affairent au fond sem­blant les imi­ter (comme Dio­gène, dés­œu­vré, sin­geait les armées colo­niales) ; bref un bor­del de faune humaine-non­­hu­­maine naît de ces taches, un bor­del enga­geant par la force des choses. Il en est de ces murs comme du son des cloches, dont chaque tin­te­ment détache, dans le bas­so du mi-silence urbain, des noms fami­liers et ché­ris ; ils indiquent un plan de découpe, c’est sûr, mais ils ne four­nissent pas les frondes.

Sur le mur de Vinci, Breton dit que cha­cun fait com­pa­raître et para­der les fan­tômes les plus pro­bables de son deve­nir. Les fan­tômes n’existent pas.
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