… Usque adeone
Scire tuum nihil est nisi te scire hoc sciat alter ?1
Quod angulus extrinsecus sit aequalis duobus intrinsecis sibi appositis, non est causa ut sit, sed ut sciatur.2
1
Tu avais appris à faire tes lacets et à être propre (on raconte que c’est dans cet ordre) ;
tu avais peur du noir et du vide de ta taille (on t’accordait encore les petites roues et la petite lumière) ;
tu savais le sens du mot verroterie (et tu employais celui d’enculé) ;
tu allais chercher le pain seul (et il y avait à traverser) ;
tu comptais encore sur tes doigts (mais sans les regarder) ;
tu connaissais le nom du président (et tu commençais à capter main droite et main gauche) ;
tu distinguais sans trop de peine les personnes-Monsieur des personnes-Madame (les méprises étaient marginales) ;
tu notais qu’il y avait des pauvres, des qui mouraient dans des coulées de boue, des dans des canicules, des moussons, tout un atlas de peuples et de contrées, des natures lointaines et hostiles (et merveilleuses aussi), et puis la nature verte et stable, de plumes et de poils ternes, de fougères et de grands-parents ;
tu avais remporté quelques victoires contre les forces de l’évidence et, ivre de ces conquêtes, tu soumettais à une impitoyable correction les qui croyaient encore qu’un moineau est un bébé pigeon ou que le crapaud est le mari de la grenouille ;
non seulement tu savais des choses mais tu commençais à savoir savoir ces choses, et tu savais aussi qu’il fallait, pour asseoir en soi le savoir qu’on les sait, faire savoir au monde qu’on les sait (comme on se fait savoir avant une bagarre qu’on sait se bagarrer)
– et pourtant te voilà,
puissant de tout ce savoir théorique et pratique,
validant une à une sans peine et sans éclat les compétences de chaque échelon de la Formation,
croissant dans la norme bien que dans le bas d’elle,
n’étant pas simplement au monde ou dans le monde mais étant le monde lui-même par délégation de forme et de puissance,le monde accordant ses limites aux tiennes,indexant ses standards sur tes attitudes et capacités,épousant plastiquement tes contours,les contours de ta tête (si bien qu’on te disait intelligent),les contours de ta classe (tant qu’on te disait bien élevé),les contours de ton corps (ses formes et ses couleurs, ses proportions n’étant qu’épisodiquement relevées)– pourtant te voilà qui croyais que chien est le contraire de chat.Continuer
Ton savoir n’est-il donc plus rien, si l’autre ne sait pas que tu sais ? (Perse, Satires, I, « Contre les mauvais écrivains ») ↩
Que l’angle externe d’un triangle est égal aux deux angles internes qui lui sont opposés, ce n’est pas quelque chose qui est, c’est quelque chose qui est à savoir. (Jérôme Cardan, De Vita propria, XLVII) ↩
Ce texte, qui vient de paraître dans Trou noir, est dédié à Joachim C., cabaret travesti et chômeuse longue durée, qui résuma auprès d’une amie la teneur d’une remarque que je venais de lui faire : « Ce qu’Antoine veut dire, c’est qu’il trouve que tu es allée te la jouer loin de ta nature. »
C’est probablement par voie de « nature »
– ce mot des âges classiques qui colle aux palais et demeure, outre tous les congédiements, d’usage pour parler du matériel menacé de réduction biologique : genre et cul, courbes et inclinations… –
c’est très certainement en vertu de « ma » nature, ma nature « propre », et pour y échapper, que je déciderais, un jour, quand les conditions initiales auraient réduit jusqu’au bouillon, quand mes tentatives d’être populaire ou d’avoir un 15 en rédac auraient épuisé l’énergie de ma naissance et le fonds de mes propriétés, d’ ALLER ME LA JOUER LOIN DE MA NATURE– fugue sans témoin ou presque (n’étant pas du genre qui trouble ouvertement les genres), et presque sans effets (étant du genre qu’on ne marque pas), et fugue temporaire en tout cas, fugue composée de minifugues en chaîne, jamais trop loin jamais trop long, mais chaque fois un peu plus profond dans le savage alien hostile et merveilleux des natures contraires.
Or on sait bien ceci, que les Anciens toutefois semblaient ignorer, que si tu fonces tout droit vers ta nature « la plus contraire », tu finiras par faire des ronds autour du point d’où tu partis, naquis, fus posé là, pourvu de couilles par le plus grand, enfin par le plus petit des hasards : celui qui fait les couilles conformes
– avec ça d’intéressant quand même, et qui finit par faire d’une série minifugitive une dérive : les ronds toujours plus « grands », excentriquement parlant.
Aussi ALLER SE LA JOUER LOIN DE SA NATURE est-il (au moins à titre d’hypothèse, et toujours à ce stade dont le dépassement est en vue pour peu qu’on ne s’y projette pas) le premier pas d’une possible AVENTURE, le premier tour d’un vice qui mènerait à une embardée dans la périphérie de sa nature, une boucle autour de sa nature par l’extérieur de sa nature, par ce qui la cerne ou la ceint, et qui était jusque-là tenu pour non-lieu, ne figurant pas sur les cartes, sur le plateau de sa nature
– et bien sûr, les conditions de possibilité d’une telle aventure ne sont pas infuses, mais elles n’ont pas non plus rien à voir avec le standard, le standpoint, la config initiale, puisqu’on dit qu’elles procèdent d’une cascade d’implications faites, qui sont autant de désimplications à faire :s’être fait attribuer une nature et avoir eu à en répondre ;avoir reconnu que la nature, c’est du propre ;avoir non seulement identifié mais situé sa nature, l’avoir circonscrite, l’avoir consacrée comme topique (on peut maintenant s’en éloigner – pour le week-end, pour la nuit) ;avoir considéré l’écart par rapport à sa nature comme un « se la jouer », comme donc :une chevauchée dans l’artifice,un raid brouillon dans le latex ou le polystyrène,un truc de branleur ou de mauvaise fille,de bad bitch au soir tombant ;et, selon les époques et les genres en vigueur :un truc cuir,un truc Tacchini,un truc bottes à franges,un truc toge entrebâillée,un truc plume dans le cul.
*
On sait que, quand vous avez commencé à dire merde, vous n’êtes pas loin d’aller fuguer ;qu’après la première fugue, vous n’êtes pas loin de tomber dans la drogue ou le maquillage et,qu’une fois poudré, vous êtes à deux pas de la première gav ;or on sait que la première gav est un ticket pour la Syrie ou la porte ouverte à l’amok au collège – il suffit d’une nuit un peu chaude sur Twitch ou Youtube.
À quoi ressemble l’échelle dont ALLER SE LA JOUER LOIN DE SA NATURE est le premier degré ?A1. Percer,A2. tatouer,A3. prothéserle corps des factory settings ? B1. Chausser les compensées de la frangine aux heures creuses de l’appartement,B2. profiter du cours d’EPS pour kiffer quand ça moule,B3. convoquer des soirées porno entre couilles et n’avoir qu’un œil sur l’écran ? C1. Sucer pour un contrôle de maths,C2. une barrette,C3. une invitation à la teufdans les toilettes du CDI ?
Et si, à l’occasion d’une embardée loin de vos natures, un meurtre était commis, qui pourrait le juger ? Et quel serait le verdict ?A. La Nature trahie ?B. La Nature révélée ?C. La Dérive monstrueuse ?D. La Bouffée Soudaine d’état-de-nature ?
Et que diriez-vous pour votre défense ?A. Sous l’empire d’une nature aliène, j’avoue que j’ai commis.B. La nature est ce qui a élevé en moi une aptitude au crime, le crime de l’artifice.
*
Au retour de mes fugues, il arrive que, par peur de laisser percevoir que ma fugue m’a changé, j’épouse rigoureusement les contours de ma nature native : je m’y tiens sage, je m’y cantonne, et très certainement je m’y vautre, avec une ardeur louche – comme on se vautre avec jubilation dans la fange du capitalisme tardif, voilà,J’épouse ma nature native.=Je m’enfile un bigmac sur un parking à Plan-de-Campagne par une journée caniculaire d’avril, les bronches assaillies de particules fines.
Et, naturellement, le retour à soi vient avec son procès ;
la nature, parce qu’on sait qu’elle fait bien les choses, opère continûment pour rétablir l’équilibre du monde – l’équilibre des dignités et des indignités, celui des mérites et des démérites, etc. ;
la nature, parce qu’on sait qu’il est avéré que ses normes collent à ses formes, prononce spontanément une sorte de jugement
– une pluie de châtiments-réflexes s’abat sur qui est de retour dans sa nature après une fugue hors sa nature :asthénie post-prandiale,insuffisance pulmonaire,hypersudationnotation des courbes sur 20évaluation du coup de reins(sans compter le tournis que ça donne en cherchant la sortie, à Plan-de-Campagne).
À l’inverse, chaque maladie éteinte signalerait la fin de velléités à aller voir loin de sa nature ; récompenserait, en le sanctionnant positivement, un retour dans l’enclos de sa nature. Car c’est bien ainsi que la nature est faite : tout ce qui y paraît comparaît ; et tout jugement ex natura est de ceux qui, plus ou moins exécutoirement, décident de qui va vivre et de qui, ne sachant pas vivre selon ses normes, doit mourir. L’éventail des sanctions intermédiaires ou substitutives est large, les mesures disciplinaires temporaires et les préventions bienveillantes sont nombreuses : mettre fin à une cavale dans l’artifice,priver du plaisir de feindre une nature ou de trahir la sienne,rassoir dans la cellule de dégrisement des natures standard,confisquer les natures d’apparat, les natures irisées, les capes et les moires, paillettes, les natures d’ombres et de lumières – mais sans surprise elles tuent à la longue, et qui est suspecté de déserter sa nature, de chômer sa nature, voire de perruquer la nature, s’expose à la même rage que celle qui vise qui chôme tout court, perruque tout court et s’abstient tout bonnement de produire.
*
Ah. Oh. Si seulement le jugement n’était que la sanction ; mais il ne vient jamais sans sa leçon. Teneur : qui trahit sa natureest traître à la Nature Commune,et jouit d’une Dissidence personnelle et mesquine, et joue le Sensuel contre l’Organique,désaccorde l’Individu de l’Espèce,trouble,par ces misérables velléités de Distinction,ces prétentions puériles sur son Corps et son Cul,ces regimbements contre les Vices conformes et l’aiguillon de la Chair,une Nature Supérieure dont quelqu’un est l’Auteur,une Nature qui fut faite, et fut faite une bonne fois.
Ce tir nourri de reproches et de suspicions, de reproches nourrissant suspicions et réciproquement, est bien connu des coupables et complices d’actes contre-nature, des criminel⋅les de lèse-nature. Mais, à la douce, comme un paquet de lois passées pendant les fêtes, cette réprobation prononcée au nom de la raison naturelle et émise depuis la terre ferme, fertile, la véridique terre des natures instituées, frôle de plus en plus d’entre « nous » qui, après des années d’interrogations interdites ou bavardes devant cette fièvre de conversions Factices !, Capricieuses !, Narcissiques !, envisagent finalement, sinon de déserter leur nature, d’aller gentiment se la jouer loin de leur nature
– même si pas forcément bien loin (ni dans le jeu ni dans l’écart), mais au moins d’aller se la donner, disons, deux ou trois nuits dans le mois, au-delà du périph extérieur de leur nature élémentaire, avant de revenir, fantasmatiquement requinqué⋅es, pointer dans les locaux de La Nature SA, comme un courtier en assurance habitué du cabaret travesti.
*
Même si c’est par plaisir, d’abord, que nous nous offrons ces débordements ponctuels de nos natures élémentaires, nous ne sortons jamais, une fois poudré⋅es, qu’avec une théorie apologétique portative, et nous savons ce qu’il faut dire à qui viendrait nous accuser de folklore ou d’appropriation :
On notera que fuguer loin de sa nature ne se résume pas, et par conséquent ne consiste absolument pas, à parcourir la distance qui sépare(rait) une volupté innée (se vider les couilles dans une gorge) d’une volupté acquise (se faire écarter l’anus, peut-être pas jusqu’au prolapse mais quand même)
– d’ailleurs, on dirait mieux la première donnée que innée, et la seconde apprise plutôt que acquise, car nous sommes des animaux de notre temps, des bêtes d’agrément répertoriées au DSM, et pas une faune de fonds d’écrans issus d’un magazine de savane des années 1990.
*
Je ne vais pas « jouer » loin de ma nature.
Je n’ai pas quatre ans et demi.
Je n’ai pas mis le maquillage de maman.
Je n’ai pas un cœur de quatre ans dévoré d’amour-dépendance comme celui d’un petit chien.
J’ai le cœur vaillant des adolescents.
Je ne vais pas barboter à distance raisonnable de ma nature.
Je vais – regardez comme je vais, je suis au bord d’aller, c’est comme ça que ça va se passer : – « me la jouer ».
Comme si on est samedi, je passe une fourrure blanche et du fard à paupières et je catwalk dans les STOP PRETENDING ! GO BACK TO THE HETERO WORLD, WHERE YOU BELONG !
Je suis la norme, je l’incarne et je me rassoie.
Je suis straight : il va falloir que je file droit.
Je trahis mes privilèges dans le moindre de mes gestes.
Je promène mon genre dans chacun de mes pas.
J’appartiens à ma nature, d’ailleurs je la possède – ça se voit surtout quand je me tiens sage.
Là j’ai l’allure de ma nature.
Mais en même temps [resserre son nœud de cravate], ça va bien de faire comme si on ne jouait pas tout·e·x·s à la nature !
*
Je ne vais pas jouer loin de ma nature ; je vais me la jouer.
Je vais prendre part au game et aux performances, au jeu des impressions faites et des influences exercées.
C’est presque tous les samedis maintenant.
Je vais changer les proportions perçues de mon corps la lavette, je vais styliser la lavette pour en faire une silhouette,
ça y est je suis tout stylisé, poudré,
je joue un jeu de hide and show, de masque et de fard, d’exhib et de pudeur,
un jeu de lumières sur le matériel ombrageux de mon corps.
Et pourtant, quels que soient mon plaisir et ma joie, ça n’est encore, toujours et jamais rien, qu’une impression faite sur les témoins biologiques du seul crime que je puisse confesser sans trahir ce que toute justice, toute administration, ne manquera pas d’appeler : ma véritable nature.
1. Lieu procurant à une assemblée choisie des garanties d’échanges et de rapports privés, confidentiels voire intimes. Par extension : établissement nocturne où l’on peut consommer, danser, assister à un spectacle, nouer et entretenir des relations sexualisées (un club libertin, un club échangiste, Cavern Club, Hundred Club). Par ext. : lieu ou structure, public ou associatif, intra- ou extra-institutionnel, dont les missions sont en général de soutien psychologique ou d’accompagnement administratif, et qui accueille uniquement en journée (le club de jour de l’hôpital psychiatrique, Club extra-hospitalier Antonin-Artaud).
2. Association dont les membres ont quelque goût, intérêt ou but communs, et qui admet de nouveaux membres le plus souvent par élection ou cooptation, après parrainage. Par ext. : société sportive (un country-club, le Club alpin français). Hist. : instances informelles, nées dans les années 1980, et financées par des acteurs privés, réunissant des parlementaires et des représentants d’intérêt (ou lobbyistes) dans le but de faire accéder les uns aux raisons des autres (Club des parlementaires amateurs de havanes, Club Chiens et société, Club de l’accession à la propriété en région PACA, Club du dernier kilomètre de livraison, Club Vive le foie gras).
3. Société où l’on s’entretient des affaires publiques ou de questions philosophiques et politiques. Hist. : entre 1789 et 1793, sociétés dites « populaires » où sont discutées les idées révolutionnaires (Club des Cordeliers, des Impartiaux, des Jacobins). Par ext. : groupe qui professe des opinions exaltées (Club de Rome).
4. Société fermée ; groupe dont les membres se retrouvent régulièrement et obéissent à certains usages. Par ext. : cercle élitiste ou d’inspiration aristocratique (Reform club, Rotary club). Dérivés.Cravate club : cravate dont le motif indique l’appartenance à un club. Fauteuil club : fauteuil de cuir large et profond, tel qu’il s’en trouvait dans les clubs de la haute-société coloniale. Clubbable : admissible à un club. Clubber : aller se divertir dans un club de nuit. Clubard : supporteur fanatique d’un club de football. Country-club : club où s’exercent des activités récréatives de plein air telles que le golf, le polo, le tennis ou l’équitation. Club-house : lieu où se rencontrent les membres d’un club, en marge de l’activité principale de celui-ci. Pavillon-club : bâtiment offrant divers services aux membres d’un club sportif ainsi qu’à leurs invités. Syntagmes. Appartenir, s’inscrire, adhérer à un club. Être membre, faire partie d’un club. Être admis, aller, passer la soirée au club. Fonder, former, (faire) fermer un club. Les réunions, les décisions du club. Faire honneur, faire honte, se dévouer, inviter à dîner au club. Faire asseoir quelqu’un dans son club. Organiser un match, une rencontre inter-clubs. Locutions.Bienvenue au club ! : expression par laquelle on signifie partager le malheur de son allocutaire (Tu es rongée par l’eczéma depuis ta tendre enfance ? Bienvenue au club !). Étymologie. A – Le passage, en anglais, d’un sens (« gros bâton noueux dont une extrémité est plus épaisse que l’autre ») à l’autre (« groupe de personnes ») reste difficile à expliquer. Admis que le second procède du premier, celui-ci pourrait s’originer dans un sens zéro (« masse, agrégat »), lequel, sans avoir nécessairement eu cours, participerait du sens premier. Encore aujourd’hui, hormis sur un green et encore, ne reçoit le nom de club qu’un bâton d’une densité et d’une taille qui permettent d’envisager frapper à son moyen. Cf. l’emploi du verbe « to club », qu’il s’agisse de décrire la descente d’une bande à battes ou l’œuvre policière (lors des émeutes de 2011 en Angleterre, un journaliste écrivit que la police, tétanisée par une possible accusation de racisme, n’avait pas « donné aux pillards la leçon qu’ils méritent », en « les assommant comme des bébés phoques » [clubbing these looters as baby seals]). De là, le second sens pourrait procéder d’une comparaison, plus ou moins sourde, entre un regroupement de personnes et la masse d’un gourdin ou d’une massue. Ce que club, suivant ce filon étymologique, désignerait sourdement, c’est donc une sorte d’agence collective capable d’impact. B – Il existe une étymologie concurrente, selon laquelle club, de l’anglo-saxon cleófan (angl. mod. : « to cleave asunder », fr. : « diviser en pièces/en morceaux, cliver, séparer »), a en premier lieu connoté non la masse ou le gourdin mais leur effet – fracturation, division interne. Le français en conserve une trace, à la fois sur le mode distinctif (le club comme poche, parcelle du monde) et répartitif (le club comme ensemble auquel on appartient à raison de sa participation).
Bienvenue au club.
Le club existe
depuis que s’est constituée
en club
une ancienne association de
personnes physiques isolées
qu’unissaient déjà dans le monde
sans qu’elles en fussent conscientes et pussent
s’en soutenir
des valeurs, des soucis, des doutes :
des raisons personnelles qu’on peut
par souci de clarté
et pour se faire plaisir
regrouper sous le nom
de force de rapports.
Autrement dit le club formalise
une foison de tendances et d’inclinations :
de raisons personnelles
qu’entretenaient en commun mais
sans le savoir et sans pouvoir
s’y retrouver
des personnes physiques isolées
physiques donc isolées.
Voyez-vous nous étions des chasseurs cueilleurset cette activité unique mais diverse nous a donné notre forme initialechasser et cueillircourir et nous penchermonter la tente le soir et la démonter le matinvoilà ce pour quoi l’animalhommeestfait ce à quoi nous sommesbonsvoilà le mode opératoire qui maintient notre formeen placeor un jouron se mit à bêcher la terre et on bâtit en dur autour des semenceset depuisnous menons une vie déclinante une viedésadaptée à l’espèce quides millions d’années durant cueillit et chassa et futstructuréepar cette agitation saine où loisir et travailpassions et intérêts n’étaient pas séparés mais participaient d’une activitéessentiellemécaniquement accordée au corps qui soutient l’espèceet la reproduit sans dommage.Continuer
« D’où vient à l’eau (du baptême) cette vertu si grande qu’en touchant le corps elle purifie le cœur, si ce n’est de la phrase qui l’accompagne ? Et non de ce que celle-ci est dite, mais de ce qu’elle est crue (Non quia dicitur, sed quia creditur). » (Augustin, In Iohannis evangelium, tr. 80, 3) ↩
Nous appellerons fantômes, après le saint docteur, toutes les images que l’imagination nous présente, soit qu’elle les ait reçues de l’extérieur, soit qu’elle les ait fabriquées à l’aide des matériaux qui lui sont venus du dehors. Nous diviserons ces fantômes en deux classes. La première comprendra les images intérieures que nous nous formons en notre fantaisie des mots et des signes qui, manifestés à l’extérieur, formeraient une parole extérieure : et ces images intérieures, nous les appellerons fantômes-signes. Nous mettrons dans une seconde classe tous les autres fantômes, c’est-à-dire les images intérieures qui représentent en notre fantaisie la chose elle-même, non un signe ou un mot qui exprime la chose : et ces autres images intérieures, nous les nommerons fantômes-tableaux.
J.M.A. Vacant, Études comparées sur la philosophie de Saint Thomas d’Aquin et sur celle de Duns Scot, Delhomme & Briguet, Paris Lyon, 1891, pp. 168–169
Il est assis, il regarde les pavés, il médite ; tout est tranquille, on n’entend aucun bruit, les cartes géographiques et les tableaux synoptiques des peuples du globe se tiennent suspendus à leurs clous, les trois chaises sont encore aux places où on les a laissées ; là-haut, dans leurs chambres, les élèves travaillent.
G. Flaubert, L’Éducation sentimentale
Napoléon reprochait à ses généraux une imagination épique, qui « empêche toute action, toute décision, tout courage » ; une imagination qui « se fait des tableaux ». C’est aussi dans cette imagination malade de l’Histoire que réside, pour Barbey d’Aurevilly, « l’infirmité » de Frédéric Moreau, le personnage de L’Éducation sentimentale.
Cette infirmité crée le procédé de Flaubert, dont la pensée ne fonctionne jamais non plus que sous la forme de tableaux. Comme il n’a d’idées absolument sur rien, et qu’il n’est capable que de décrire, son procédé est infiniment simple. Il cloue et soude des tableaux à d’autres tableaux.
Se faire des tableaux, quand on est plus paumé que général, c’est aussi, par assuétude ou par lassitude, oublier de tailler un conçu avant d’étaler son perçu. Léonard de Vinci, qui pensait que des peintres étaient de leur pratique trop les généraux et pas assez les ingénieurs, a écrit en substance :
C’est vrai que si tu te poses devant un mur plein de taches et que tu t’y absorbes un moment en imaginant, des fonds et des formes plus ou moins nets y apparaissent, qui par leur vague rappellent tout ce qu’il y a autour (voire des mondes plus lointains dans l’espace et le temps), et par leur net des paysages connus, moins parfaits que typiques, des reliefs nus, chauves d’antennes, des terrains de jeu enfuis du cadastre. En y allant un peu plus fort tu vois aussi, sur ces pans bariolés, d’anciennes scènes de combat avec leurs répresseurs et les chiens qui s’affairent au fond semblant les imiter (comme Diogène, désœuvré, singeait les armées coloniales) ; bref un bordel de faune humaine-nonhumaine naît de ces taches, un bordel engageant par la force des choses. Il en est de ces murs comme du son des cloches, dont chaque tintement détache, dans le basso du mi-silence urbain, des noms familiers et chéris ; ils indiquent un plan de découpe, c’est sûr, mais ils ne fournissent pas les frondes.
Sur le mur de Vinci, Breton dit que chacun fait comparaître et parader les fantômes les plus probables de son devenir. Les fantômes n’existent pas. Continuer
Des kangourous vivent en autonomie dans la forêt de Rambouillet depuis une quarantaine d’années, après que leurs ancêtres se sont échappés d’une réserve. Des amies sont allées à leur recherche. Les kangourous sont demeurés introuvables mais toute disposition accidentelle dans la forêt a pu être interprétée comme leur trace. Ce texte a été écrit pour accompagner les tirages cyanotypes de ces photos de kangourous absents.
La puissance végétale présente, comme chacune des autres puissances, treize harmonies. La première est céleste, ou soli-lunaire ; six sont physiques, et six sont morales. Dans les six physiques, trois sont élémentaires, l’aérienne, l’aquatique, la terrestre ; trois sont organisées, la végétale, l’animale et l’humaine. Dans les morales, il y en a pareillement trois élémentaires, la fraternelle, la conjugale, la maternelle ; et trois organisées ou sociales, la spécifiante, la générique et la sphérique.1
Il n’y a personne à organiser. Nous sommes ce matériau qui grandit de l’intérieur, s’organise et se développe.2
Tout animal est dans le monde comme de l’eau à l’intérieur de l’eau.3
Tout s’engendre aux intersections. Tout se génère à l’abri de son genre. Tout est à la fois saturé de généricité et profondément isolé. Tout finit par s’échapper de la baudruche mais pour cela y est entré. Tout arrive rond. Rien ne fait exception.
De tous temps et dans toutes les classes, l’Homme qui rôde autour de nous jusqu’à nous fixer en pronoms, de tous temps l’Homme fixeur qui nous tient en respect dans des personnels (de personne) ou des toniques (d’appui) et qu’il convient d’appeler notre Homme, notre Homme entretient le désir de s’échapper sans disparaître, désir ardent de nature à nourrir notre Homme mais à la fois le consumer.
Cette histoire s’appelle aventure. C’est une Histoire de la Nature. Rien n’y fait défection.
Ce texte a été refusé par la revue Espace(s) qui l’avait commandé. Cliquer là pour lire pourquoi.
Se dérober avec mauvaise conscience ; c’est à quoi on reconnaît une institution.1
I L’été dernier on m’a passé commande d’un texte pour la revue de l’Observatoire de l’Espace du CNES.
II La commande est venue avec deux PDF :
– des “consignes aux auteurs”, qui détaillent les attentes du comité éditorial concernant le traitement du thème du numéro (“Espace : lieu d’utopies”) ;
– une fiche personnalisée et spécifiquement adressée qui indique une contrainte lexicale.
II.i La contrainte lexicale est suscitée par le partenariat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont la mission est de “garantir un droit au français à nos concitoyens” en proposant des termes de souche (c’est-à-dire avant tout pas anglais) pour désigner “les réalités du monde contemporain et ainsi contribuer au maintien de fonctionnalité de notre langue” (page de la DGLFLF).
II.i.i Chaque année, à l’occasion du Salon de la Fête du Gala de l’Insurrection Francophone, la Délégation propose à des gens – dont, devant la difficulté posée par le nombre de gens désœuvrés jusqu’à la disponibilité, elle délègue le choix au responsable de la revue Espace(s), qui lui-même le délègue à des middle men de confiance2 – propose donc à des gens mal triés d’écrire à partir d’un de ces termes pas anglais dont on reconnaît qu’ils sont français à ce qu’ils émanent d’une institution qui, française, nous veut du bien.
II.i.ii Le vocable qu’on me propose est : ÉMOTICÔNE.
II.i.ii.i :’(
III On m’indique que mon texte sera payé UN BILLET MAUVE à réception.
III.i La somme d’UN BILLET MAUVE est rare, surtout au sortir de l’été.
IV Je file composer à Marseille, le cœur enflé d’une peine de cœur, de difficultés financières et du mauve souci de ma page.
V Dix jours passent, où je me drogue à mon insu.
VI Composé, j’envoie.
VII Je rentre à Berlin. J’attends.
LA REVUE ESPACE(S)
La revue de l’Observatoire de l’Espace du CNES s’appelle Espace(s). Elle “incarne une démarche engagée pour favoriser la création littéraire et plastique à partir de l’univers spatial.” (site de la revue)
Quelle est la nature de ce qui incarne une démarche ? La démarche c’est le corps est-il un énoncé miroir de le style c’est l’homme ? Qu’implique un monde où c’est le mouvement qui singularise avant le prendre chair ? Le caractère téléonomique de ce mouvement (engagée pour) réduit-il la prise de chair à une étape intermédiaire ; si oui, cette étape est-elle nécessaire ou contingente ? Si la substance est contingente, parle-t-on d’un monde régi par l’accident ? Si le monde d’où nous parle la revue Espace(s) est bien régi par l’accident, qu’est-ce qui en lui proscrit l’aperception du répétitif au constant ? Une légalité du miracle permanent sur un Urgrund compréhensif, ou de la solitude des faits sur un Ungrund abstrait ? Du coup d’état permanent ou du coup de la panne répété ?
Je ne le sais pas. Il arrive même qu’on me propose de me payer pour établir ou constater ne pas savoir répondre aux questions que je pose, de me payer avec les mêmes jetons qui servent à payer les retraites, les reconduites à la frontière, toutes sortes de redevances et la dette de la dette.
Il arrive que l’Institution me sollicite, m’aborde un peu au hasard mais avec la ferme intention de dépenser, pour me regarder faire semblant de me contenter ne rien savoir des questions qu’elle me pose.
Qu’en me sollicitant elle me démarche ou qu’elle m’engage, il est à noter que c’est toujours pour. (Ne rien tenter savoir.)
Pourtant la revue Espace(s) a soin de se montrer consciencieuse et curieuse : sa “volonté clairement affichée” est “d’élaborer des expériences culturelles et d’en consigner les résultats.” (site de la revue)
En un sens c’est aussi ma volonté, son programme, leur affiche.
C’est là en un sens ma démarche, son corps, leur engagement.
Mais, déjà, il titolo è cretino3. Déjà le titre, Espace(s), avec l’afféterie du (s), est insupportablement crétinaud. Déjà le petit pour-la-route de la pluralité des mondes est nigaud, fat et nigaud. Déjà le pauvre petit “s” emparenthésé annonce la bonne volonté (scoute), l’accolade (missionnaire), l’ouverture (institutionnelle).
TOUS LES (S) SONT DES PRISONNIERS POLITIQUES.
En ouvrant et fermant la parenthèse autour du pauvre petit s de la pluralité des mondes, la revue du CNES signifie sa volonté d’ouverture à d’autres espaces que celui qui capitalisé constitue son objet, notamment son ouverture à l’Espace Littéraire (fermé).
La suite montre ce qu’on aurait dû voir si on avait su lire : qu’une volonté clairement affichée s’appelle d’abord velléité, et que ce qu’en premier lieu veut la revue Espace(s) c’est au calme être vue voulant4, comme on peut parfois s’égarer à préférer à désirer être constaté désirant.
La revue Espace(s) veut, par exemple, être vue voulant résister aux clichés, travailler aux lisières, braver les assignations :
Dans chaque ouvrage, l’enjeu est de déjouer l’entrée symbolique qui prédomine souvent notre rapport à l’Espace. Si le pouvoir d’attraction et de fascination du milieu spatial ne peut être nié, l’objectif de l’Observatoire de l’Espace à travers la revue Espace(s) est, comme le dit son responsable de la rédaction Gérard Azoulay, de “bâtir une méthodologie destinée à faire percevoir que nous sommes autant habitants de l’espace qu’habités par lui, et donc in fine d’abolir cette partition fictive”. (site de la revue)
En dépit du gadget de la porosité diathétique5 et malgré un soupçon jamais levé sur toute idée d’habitation6, le programme du responsable de la revue m’arrête et me met au travail, surtout pour ce qu’il fait disparaître la capitale d’espace, troublant les métonymes.
« NOUS SOMMES UNE INSTITUTION ET D’AILLEURS J’ASSUME »
VII Je rentre à Berlin.
J’attends.
(Il y a un problème ?)
VII.i Il y a un problème.
VII.iiPoème votif de fin d’attente Ma démarche suspendue à son Corps
engage-
Moiuni vers ce qui (s’)espace.
VIII L’attente prend fin alors que je négocie un découvert au guichet de la Volksbank, par un coup de fil du commanditaire,
VIII.i coup de fil interrompu par un vigile migraineux dont je ne retiens que cette phrase : “Nous sommes une institution et d’ailleurs j’assume.”
VIII.i.i (La phrase est du coup de fil du commanditaire, pas du vigile dont le coup de fil dans le lobby de la banque augmentait la migraine.)
VIII.i.i.i (Le vigile justifie en des termes tout autres mon éviction du lobby : ce n’est pas le lieu et d’ailleurs il a une migraine.)
VIII.i.ii “Nous sommes une institution et d’ailleurs j’assume” est une phrase du responsable éditorial de la revue Espace(s) et d’ailleurs de la revue Espace(s) elle-même en tant qu’elle est, d’ailleurs, l’Observatoire du Centre National d’Études Spatiales.
VIII.i.ii.iPhrases de service, comme corps pris dans démarche anodine,
au coeur des contradictions de l’engagement
de ce qui, contingent, cherche son nécessaire d’allant.
Et la vérité est ici d’ailleurs – elle dodeline
IX Nous remettons ce qui reste à se dire à un coup de fil du lendemain, dont j’ai un souvenir plus précis.
IX.i (Par souci de brièveté, j’ai reproduit infra de ce coup de fil l’esprit, sa teneur, leurs mots.)
X En résumé, le commanditaire propose d’amputer le texte de tout ce qui :
A. critique la Délégation Générale à la Langue Française, un partenaire institutionnel qu’il ne s’agit pas d’offenser ;
B. critique les termes mêmes de la commande en donnant à la fiche ÉMOTICÔNE une importance grotesque.
X.i Le problème de ces aménagements, c’est qu’ils dépouillent mon dispositif d’au moins deux de ses agents.
X.i.i En effet, un des objets du texte est l’interrogation des missions, des fonctions et de la logique de ces fonctions : commanditaire voulant-être-vu-ouvrant, barbons du français-de-droit, poète licencieux requis par la science, scientifique strict-parleur. Or les deux premiers sont, dans la version amendée, évincés.
X.ii Mais curieux d’assister jusqu’au bout à la justification au je de l’homme de lettres d’une coupe franche au nous de la raison institutionnelle, je fais ma plus belle algue et obtiens que mon interlocuteur stabilote les passages “qui ne vont pas” (cf. X. A. & B.).
GAMBERGE SUR LES INTENTIONS
XI Ayant besoin du BILLET MAUVE et d’ailleurs pas envie de prêter le texte au caviardage, se pose à moi la bonne vieille question politique, pratique, éthique :
QUE FAIRE ?
XI.i (Question brûlante de ma démarche, son corps, notre mouvement.)
XI.ii Je me la pose sérieusement ; d’abord parce que ça me fait jouir, ensuite parce que l’inconfort qu’il y a à y consacrer du temps n’égale pas l’angoisse qu’il y aurait à constater avoir traité un dilemme pratique, éthique, politique, comme un chien fout sa merde.
XI.iii Mes amis berlinois et mon amie N., bien plus casseurs que moi, m’engagent à
1 accepter une publication caviardée,
2 empocher les thunes,
3 publier ensuite la version intégrale, ailleurs.
XI.iii.i Je les entends sur un point : refuser l’arrangement et la thune qui va avec teinte nécessairement le refus d’un “héroïsme du censuré” typiquement petit-bourgeois. Et qui ferait de ce refus l’estrade d’une performance de radicalité ne pourrait que faire voir sur cette estrade aussi une performance de classe.
XI.iii.ii Mais leur pragmatisme émeutier m’est étranger. Mon tambour éthique tourne à 1000rpm, déjà, c’est trop tard, la question est posée en conscience.
XI.iii.ii.i En conscience, pourquoi accepter de supprimer les références à la Délégation ? La critique douce d’une légalité interne des langues institutionnelles n’est rien à côté du programme de ces commissions – typique des organes républicains en leurs manifestations coloniales (« garantir » à des gens qui s’en tapent quelque chose dont ils n’ont pas besoin, au nom de principes qui leur sont étrangers).
XI.iii.ii.ii En conscience, pourquoi accepter de supprimer ce qui discute les termes du commanditaire ? Celui-ci peut bien considérer la fiche ÉMOTICÔNE anodine (“c’est un simple document de travail qui n’exprime pas une position de la revue”), elle reste le matériau à partir duquel il m’était demandé de travailler. Bien que mon texte en exagère l’importance (dans un dispositif explicitement pisse-froid qui fait converser les missions et les formes d’intercession), je n’enfreins en rien, ce faisant, les consignes du comité.
XII.iv Si j’accepte le caviardage, je laisse irrésolue la question éthique ; or pour qui se soucie d’éthique (et on n’est vraiment pas obligé), cette irrésolution est un boulet sur la voie de l’ataraxie (question pratique ; réponse stoïcienne).
XII.v Si j’accepte, je me maintiens encore dans une position inadéquate, sacrifiant à une éthique du rachat (le cachet qui compense), rendant plus visible (à mes propres yeux d’abord) cette inadéquation (question éthique ; réponse spinozienne).
XII.vi La réponse la plus radicalement politique à la question m’est donnée par mon ami L., le plus évidemment radical de tous mes amis. Elle se justifie via Diogène – le plus évidemment etc. – : si j’ai l’occasion de déposséder un puissant de son fétiche, je ne dois pas m’en priver. Mais c’est à la seule condition de piétiner ensuite devant lui ce fétiche.
XIV.vi.i Accepter, donc, le caviardage, mais ensuite : brûler la thune.
XII.vi.i.i Un brin dramatique, et pas toujours lisible.
XII.vi.i.i.i D’autant que je ne suis pas sûr que le fétiche soit tant dans ce cas le bifton que la prérogative éditoriale sur le littéraire ou le poétique. Et le dernier mot de la raison institutionnelle.
XII.vii J’opte finalement pour la méthode Keyser Söze, suggérée par mon amie A. : il a commandé, j’ai livré, il raque et ferme sa gueule – s’il voulait des fleurs sur le paquet, il fallait demander des fleurs sur le paquet.
XII.vii.i Or le commanditaire n’a pas demandé de fleurs sur le paquet. Il a même plutôt incité à ce qu’on pourrait appeler foutre la merde : « Humour✓, ironie✓, acidité✓, et même méchanceté✓ ou violence✓, prise de risque formelle✓, ouverture du sens✓, attention aux détails✓, au quotidien✓, au matériau verbal spécifique✓, sont des voies possibles pour s’éloigner des tentations de formules trop grandiloquentes quand l’Espace est en jeu. » (Consignes aux auteurs, « Lignes éditoriales », coches miennes).
XII.vii.i.i Mais voilà, avec le commanditaire institutionnel c’est comme avec les syndicats : quand, le plus ardemment consciencieusement minutieusement possible, on se met, croyant répondre à leur appel, à foutre la merde, c’est toujours une fin de non-recevoir, parce qu’on n’avait pas bien compris, c’était pas comme ça qu’il fallait entendre foutre, la, et merde.
XII.vii.i.i.i Et merde. Motto opposable : c’est en la foutant mal, la merde, qu’on tape là où ça le fait, mal.
XIII Je reçois les propositions de caviardage et renvoie poliment :
1 non, vraiment, le texte amputé perd toute sa pertinence ;
2 voici m’IBAC et BIN de bank, et faise abouler thune, centime endistingué.
XIV On m’informe en réponse que je toucherai 250 roros pour le travail d’écriture, mais que l’autre moitié du mauve aurait correspondu à l’achat exclusif des droits du texte,
XIV.i ce à quoi je me serais de toute façon opposé.
XIV.ii À une amie qui me fait remarquer ce qu’il y a de radical dans l’option choisie, je réponds que c’est, en dépit de son nom, probablement la moins radicale de toutes, parce que A. Elle est légale (je ne fais pas semblant de céder les droits pour ensuite reproduire le texte) ; B. Elle mène au meilleur compromis possible (droits de reproduction préservés donc possibilité préservée de la présente exposure ; thunes en moins mais pas rien non plus).
XV Finalement on n’apprend rien d’autre de cette parabole que ce qu’on savait déjà :
l’Institution existe ;
de l’institution existe plus densément dans l’Institution qu’ailleurs ;
que l’Institution engage ou démarche, elle ne s’adresse jamais à autre qu’à elle-même ;
la capitale d’Institution n’est pas une capitale d’essence mais ;
la capitale d’Institution chapeaute des logiques institutionnelles, une raison institutionnelle, une con-spiration institutionnelle, une visibilité, une tangibilité, une intelligibilité des objets émanés de ou suscités par l’Institution qui débordent l’Institution – débordent sur les Personnes (et dans l’engagement comme dans le service, la personne perd en général);
la visibilité, la tangibilité et l’intelligibilité institutionnelles ne diffèrent pas significativement de celles de la marchandise (visibilité de la reconnaissance, tangibilité de la validation, intelligibilité indexée);
que l’Institution fasse un usage du droit d’auteur confiscatoire des objets qu’elle consacre (achat exclusif) ne fait que rendre explicite le type de valorisation de ces objets et pour tout dire le genre de fétichisme sur lesquels repose toute économie institutionnelle.
Bonus :
I. GAMBERGE SUR LES INTENTIONS
Qu’est-ce que la vie des humains une image de la déité
Évoluant sous le ciel, tous les terriens
voient celui-ci. Mais lisant pour ainsi dire, comme
Dans une écriture, les humains ils imitent
l’infini et le profus.
1 Le texte qu’on me propose d’écrire pour la revue Espace(s) doit intégrer deux contraintes : celle, thématique, qui gouverne à ce numéro (« Espace : lieu d’utopies ») ; celle, lexicale, qui place chaque auteur sous la tutelle d’un vocable.
2 La contrainte thématique est suscitée par la perspective, à (très) moyen terme, de l’établissement de colonies extraterriennes, en tant que cette perspective retrempe le caractère utopique des rapports à l’Espace.
2.1 L’Espace, au sens méritant capitale, s’entend comme ensemble des espaces situés au-delà du ciel des humains.
3 La contrainte lexicale est suscitée par le partenariat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont le but est de “garantir à nos concitoyens un droit au français”.
La délégation générale coordonne un dispositif de dix-huit commissions spécialisées de terminologie, chargées de proposer des termes français pour désigner les réalités du monde contemporain et contribuer ainsi au maintien de la fonctionnalité de notre langue. (site de la DGLFLF, rubrique “Nos priorités”)
4 Tous j’imagine songeons fixant le ciel aux espaces qui le dépassant nous dépassent ; tous partageons chacun sa jargue l’aspiration de la langue française sous sa tutelle républicaine : un maintien de fonctionnalité dans le monde contemporain
4.1 Je nous crois tous concernés à tous termes par ce qui nous dépassant nous attire et par ce qui nous peuplant nous maintient.
4.2 J’ai moi-même pour le ciel au-dessus de moi et la langue en moi un souci qui va de la considération à la sidération.
« Déjà le titre est insupportablement crétin. Sa crétinerie est un chantage, parce qu’elle implique une sorte de complicité dans le mauvais goût, et parce qu’elle est imposée au nom d’un conformisme que la plus grande majorité accepte. » (P. P. Pasolini, « Déjà le titre est crétin », Contre la télévision) ↩
J’emprunte cette expression à LL de Mars, dans son Dialogue de morts à propos de musique↩
Pas que cette porosité ne puisse pas être féconde, mais elle est souvent gadgétique parce qu’incantatoire, ça jusque par chez les Amis : “Le monde ne nous environne pas, il nous traverse. Ce que nous habitons nous habite.” ↩
Le trope de l’habitation, en poésie, procède essentiellement d’une lecture heideggerienne de deux vers de Hölderlin : Voll Verdienst, doch dichterisch,
wohnet der Mensch auf dieser Erde (Plein de mérite, pourtant poétiquement,
l’humain habite sur cette Terre)
Les versions françaises, en général, traduisent wohnet par l’usage transitif direct du verbe habiter, et Erde (Terre) par monde. Le trope se dit ainsi en général : habiter poétiquement le monde ou habiter le monde en poète. La lecture de Heidegger, représentative à cet égard de tout un pan de sa pensée, flatte la porosité diathétique du verbe habiter dans son usage transitif direct en français : j’habite une maison (actif) / le doute m’habite ou je suis habité par un sentiment (passif). Pourtant en allemand ce double-sens est absent : être habité par le doute se traduit avec le verbe beherrschen : je suis dirigé, régi, contrôlé, par le doute (c’est d’ailleurs un des sens possibles de l’étymon latin habeo qui donne habiter). Mais Heidegger abuse autrement des ressources propres de la langue allemande, dans un texte qui la consacre comme seule langue – après le Grec Ancien – de la philosophie. Pour résumer : le degré de l’écoute, dans sa correspondance avec le verbe poétique, seul verbe authentique, est fonction de la qualité de l’habitation. Cette équation n’est vraiment lisible que dans la version originale, où la densité de jeux de mots de vieil oncle est exceptionnelle : sprechen / zusprechen / entsprechen (parler / attribuer / répondre-correspondre), hören (auf) / zuhören / gehören (entendre / écouter (obéir) / appartenir). Jusqu’au fameux : Eigentlich spricht die Sprache. Der Mensch spricht erst und nur, insofern er der Sprache entspricht, indem er auf ihren Zuspruch hört. (“En réalité c’est la langue qui parle. L’homme ne parle que dans la mesure où il répond à (entsprechen : répondre à une norme, être à la mesure, se mettre à l’échelle de la langue), en ce qu’il obéit à son assignation (Zuspruch, aussi : attribution))”. (Sur les jeux d’étymons chez Heidegger, cf. G.-A. Goldschmidt, Heidegger et la langue allemande). Le trope de l’habitation poétique est plus largement suspect, après l’hermétisme germain de Heidegger, d’une reconduction de ses partitions : poétique/non-poétique est largement superposable à la division de Sein und Zeit entre authentique et inauthentique. Habiter poétiquement revient en fin de compte pour Heidegger à être vraiment, de plain pied (retour à un bauen (“bâtir”) anhistorique, étymologiquement formé à partir du bin de ich bin (je suis) qui s’entend dans l’articulation “bâtir, habiter, penser”). Au jeu de l’étymologisme, on pourrait tout aussi bien, côté latin, fonder une ontologie modale, une éthique radicale à partir du verbe latin habitare, fréquentatif d’habeo (signifiant donc “avoir souvent”). ↩
This text is an ENG version of PAM552 booklet. It has been translated by LottoThiessen, Joel Scott and Marty Hiatt for Artichoke 4.
dépatouiller qqch : to cope with sth, to manage sth se dépatouiller : to disentangle oneself
- Get up and walk. Dépatouille is a game for two players, in which A gives B orders that should lead her to complete a simple action (stand, walk, drink a glass of water…). The constraint lies in the fact that B is entirely ignorant of the gestural repertoire of social domestication : thus, nothing can be achieved by ordering B to “stand up, walk over there and drink that glass of water”, because the actions of standing up, walking, drinking, the deixes “over there” and “that”, and the pragmatic “glass of water” are completely unfamiliar to her. B’s competence refers exclusively to parts of her body and to absolute positions in relation to these. So if B, slouched on a couch, must manage to stand up and drink a glass of water, “apply a 35° bend to your left arm along the floor” is a kind of acceptable start to setting her right. B is called l’empatouillée ; A la dépatouilleuse.
- Starting Position. The empatouillée chooses her starting position ; this involves the greatest possible relaxation. This starting position is the empatouillée’s expressive moment, in which possibilities of slackness, the feeling comfortable and the make yourself comfortable, are extended beyond the boundaries of hospitality. The empatouillée doesn’t only play the docile host of the dépatouilleuse, she is also the guest who chooses where and how she loses consciousness, laying out the crime scene from which she will be rescued.
- Where does dépatouille come from ? Dépatouille was born in a moment of failure, of frustration, of latent conflict making relations tense. Authoritarian statements had replaced negotiation about what is to be done. On reflection, it became clear that these statements were modelled on the cop, the pimp, the gangster, the doctor, the parent – all of whose discourses are simultaneously calls to order in the form of preemptive threats (“you better take some time and be careful about that”), and the expression of particular affects which, within that order, are brandished as canonical attributes (“i’m not a violent man but you should be aware that…”).Continuer
On pense, on craint, quand on prépare un bœuf bourguignon, de ne pas vraiment cuisiner un bœuf bourguignon, quand on écrit de la poésie (vers, champs, blocs, ou lignes, ou phrases, ou propositions) de ne pas être en train d’en écrire, quand on fait un film, de ne pas être suffisamment dans le cinéma – ou trop, ce qui revient au même, la posture consistant à vouloir à tout prix se situer dans la Nouvelle Cuisine, l’Anti-Poésie, ou le Non-Cinéma, produit des effets identiques, puisqu’elle présente l’assignation à un lieu, et l’obligation conséquente qu’aurait ce qu’on fait d’y entrer, ou de ne pas désirer y être, comme un impératif. Ce n’est pas un problème de savoir ou de maîtrise technique, mais le désir, soutenu par l’exclusion qui cerne ce dont on s’exclut, de rejoindre le point d’ancrage, l’horizon rêvé où l’on fait du vrai bœuf bourguignon, de la poésie, du cinéma – ceux qui sortent, à reculons ou excités du cinéma / de la poésie, les refondent, mais ceux qui s’y sentent et le revendiquent ne font pas mieux, en les maintenant bien inaliénables, privés.
Nathalie Quintane, Mortinsteinck
eQda : 2. Une putain de rage mitonne dans mon cœur
Version courte : quand le binaire n’amadoue plus, la connaissance est comme rendue momentanément indigeste. Peut-être surtout pour les yeux. Peut-être pas.
« Objects I see in this water (EDIT : cum) stain : Do you still see things like you did in clouds when you were younger ?« 1
Bonjours. Cet épisode porte sur l’épisode précédent. Depuis lui, j’ai eu 30 ans et deux fois suis monté sur scène : une fois pour faire rire par absence de dramaturgie, une autre fois pour faire chier par absence de dramaturgie. Ça n’est ni une chose ni une chose dont je suis fier, mais le temps écoulé en substance depuis l’été dernier a – comme le post de forum reproduit ci-dessus et cousu depuis juin dans la doublure de ma veste – instamment posé la question si je voyais toujours, ayant eu 30 ans, des choses comme j’en voyais plus jeune dans les nuages du ciel ou dans le sperme des draps.
La langue allemande enseigne
qu’on peut poser la question si… (die Frage ob…) sans passer par de savoir si…2
qu’on doit faire attention à ne pas être dupe d’elles quand on parle des choses, celles qu’on voit comme celles qu’on croit voir, celles perçues comme celles conçues, parce qu’elles circulent sous deux formes, deux sens, moins binaires que bifrontes : le Ding (un informe dardé : pierre, gland, chat, chien – toute configuration de la matière animée comme inanimée) et la Sache (une belle et authentique question : une dramatique de gland, un débat sur chat, l’affaire pierre, le souci chien – à chaque fois tout un plat).
Il semble évident que la plupart d’entre nous voit la plupart du temps dans tout – ses cieux comme ses draps – toute une production plutôt que du produit produit. C’est que tous nous dramatisons. Tous faisons de gros, gros efforts de dramaturgie pour ne pas nous cantonner à la vue mais accéder à la vision.
On aurait tort de croire que nos efforts de dramaturgie se réduisent aux moments où, monde des mondes, self des selfs, cœur des cœurs et cervelle des cervelles, on s’offre tout son soul sur scène à la grabouille d’un parterre d’yeux verjutés de chiance ou de rire.
Pour se laisser faire indolent de la dramaturgie, il suffit d’un plan ; de même pour se mettre à faire impérieux de la dramaturgie, il suffit d’un espace travaillé par le regard comme fond : cieux, draps, page blanche, scène de théâtre effectivement. Il suffit d’avoir saisi, dans la grabouille d’un mur, d’un ciel, d’un tissu, d’une sauce de salade, ou dans le bordel de déterminations historiques qui saturent la page blanche et la scène, un ensemble et de s’y tenir, plutôt que de s’en tenir à la vue d’un hétéroclite profus.Continuer
« Objets que je vois dans cette tache d’eau (EDIT : de sperme) : Est-ce que vous voyez toujours des choses comme vous en voyiez dans les nuages quand vous étiez plus jeunes ? » ↩