Penser dans un autre pays. L’art dans la diaspora. On les trouve rarement chez ceux qui se disent « autochtones ». Produits d’expulsés. Ce qui veut dire que « penser » n’est pas normal. « L’art » ne pousse pas bien dans la terre natale.
Mais les deux peuvent être enfantins, même en exil. Adorno :
Depuis que je suis capable de penser, cette chanson a toujours fait mon bonheur : Entre les monts et la vallée profonde : c’est l’histoire de deux lièvres qui se régalaient d’herbe, ils furent abattus par le chasseur et, s’apercevant qu’ils étaient encore en vie, ils détalèrent. C’est plus tard seulement que je compris la leçon de cette histoire : la raison ne peut résister que dans le désespoir et l’excès ; il faut de l’impuissance pour être victime de la folie objective. On devrait faire comme les deux lièvres ; quand le coup part, tomber bêtement et filer. Si, reprenant ses esprits et, si l’on a encore du souffle, filer. L’aptitude à l’angoisse et l’aptitude au bonheur sont la même chose […].
On trouvera difficilement un enfant grandissant avec la langue allemande qui ne soit pas accompagné par le bonheur de ces « deux lièvres ». Mais quelques-uns seulement ont réalisé la simultanéité du « désespoir et de l’excès » comme fondements de la « raison » ; et qu’elle a besoin de « l’absurde » « pour ne pas être victime de la folie objective ».