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Ça joue (3/5)

ET S’IL NE RESTAIT PLUS QUE QUELQUES INSTANTS À VIVRE ? »
alors j’en pro­fi­te­rais pour dor­mir – non sans avoir au préa­lable signé.1

Когда не знаешь, для чего живешь, так живешь как-нибудь, день за днем ; радуешься, что день прошел, что ночь прошла, и во сне погрузишь скучный вопрос о том, зачем жил этот день, зачем будешь жить завтра.2

1

Bonaparte ne rem­por­tant pas tou­jours ailleurs la bataille de Marengo, il est doux de se dire qu’il y a peut-être quelque part hors de ce monde-ci un monde bifur­qué, un game­play alter­na­tif où « Je » est là qui « lis, inter­prète, com­mente, pro­duis des tableaux, des gra­phiques et des dia­grammes orga­ni­sant des don­nées de natures diverses. », un monde où « Je m’exprime par des acti­vi­tés, phy­siques, spor­tives ou artis­tiques, impli­quant le corps. », un monde où « J’apprends le contrôle et la maî­trise de soi. »

Mais tant que ce monde-là, auquel celui-ci ne donne qu’à son­ger, se déploie sans sou­ci du nôtre tan­dis que nous, pré­somp­tueux petit·s Moderne·s, le croyons en souf­france d’actualisation, c’est plu­tôt ce genre de phrases qu’on lirait dans le jour­nal de classe du cours de Connaissance de soi :Avec quelle dili­gence ces gonades pro­duisent-elles !Asthénie post-pran­diale, cépha­lées orgas­miques : tout ce qui fait plai­sir vient avec son mar­tyre !Je ne sais d’autre salut que la som­no­lence diurne !

Alors on sieste. En réac­tion. Par pré­cau­tion. Pour solde de tout compte.

Pour solde de tout compte et sous toute condi­tion, nous sies­tons.

Le diable est légion ; Dieu par­tout. On dit des deux qu’ils nichent dans les moindres détails et, entre cha­cune de leurs inter­ven­tions, nous sies­tons, seule­ment réveillé·s par la peur de man­quer, la péna­li­té admi­nis­tra­tive pro­por­tion­nelle à la faute – nous sies­tons, et le faible élan de la nais­sance suf­fit d’abord à nous ber­cer, jusqu’à ce que le relance, à l’âge de dis­cré­tion, le genre de poèmes qui, dans les années 90, nous apprit à lire et la consé­quence en pre­mière per­sonne :« Je monte, je valide. »« J’aime mon quar­tier, je ramasse. » – nous sies­tons, dans le ber­ce­ment conti­nu des inten­tions aux actes et retour, des vel­léi­tés inter­mé­diaires aux volon­tés der­nières, du sou­ci de soi au sou­ci de l’autre – avec l’immunité du résul­tat nul : ne dérange pas autrui, autrui te le ren­dra. Autrui le nom d’un encom­brant, et soi celui d’un embar­ras – un embar­ras si adhé­rent au pro­nom sujet des phrases confes­sion­nelles qu’il ne reste plus qu’à, sou­ci cir­cu­lant par­mi les sou­cis, faire ses lignes en comp­tant sur l’apparition du Poème :« Je trace des boucles. »« Je lis sans m’aider de mon doigt. »« J’identifie des mots simples : papa. »

Qu’il serait beau de conti­nuer en disant que nous eûmes un jour l’idée de sies­ter, de nous reclure dans le som­meil, que cette réclu­sion fut une résis­tance, tor­pide et molle, et lente, mais obs­ti­née… – et pour­tant non, sies­ter ne fut pas une idée ni une réso­lu­tion, sim­ple­ment : nous sies­tons, rien de ouf, de tout temps les hommes ont sies­té. Il faut croire que nous avons suf­fi­sam­ment veillé. Que nous est deve­nue insen­sible la dif­fé­rence entre sieste et veille. À moins que notre der­nière pous­sée de crois­sance nous eût vidé·s de nos forces et forcé·s au lit pour tou­jours – reste qu’il faut admettre que, comme d’autres, qui ont pro­ba­ble­ment vécu à siestes comp­tées, en viennent sur le seuil de la mort à dire J’AVOUE QUE J’AI VÉCU, nous ne nous figu­rons pas, nous – en ver­tu du temps de sieste que nous nous serons accor­dé, en ver­tu des fois nom­breuses et d’une durée de plu­sieurs heures où nous nous serons mis bien, de cette façon si spé­ciale de se mettre bien qu’est se mettre à l’horizontale – nous ne nous figu­rons pas dire autre chose sur le lit de l’EHPAD, si tant est que nous soyons disponible·s pour dire quoi que ce soit et qu’alors la lubie de TOUT DIRE nous pos­sède encore : J’AVOUE QUE J’AI SIESTÉ.

2

Avant, avant, et même avant avant, si on pen­sait ou par­lait mal c’était le diable en soi. L’anxiogène était exo­gène, le mal aliène. On ne savait pas ce qu’on disait, et on ne s’en por­tait pas moins OK. Aujourd’hui, nous avons la dou­leur de nous faire part, à chaque pen­sée que nous pen­sons, 1) que nous la pen­sons et 2) que c’est une pen­sée, c’est-à-dire du toc ou du TOC, puisque si cette pen­sée est pauvre ou de luxe, piquante ou lan­ci­nante, il n’y a rien de notre faute – c’est juste un acci­dent de cir­cons­tance céré­brale.

À quel moment de la Chute appa­rut la pre­mière cra­que­lure dans la per­sonne agente, sépa­rant tec­to­ni­que­ment l’intention de pen­ser des pen­sées pen­sées fina­le­ment ? À quel moment de la marche glo­rieuse de l’humanité dans son rang le pre­mier embar­ras s’insinua-t-il dans notre san­dale géné­rique, spé­ci­fique ?

En 1865, le méde­cin Dumont de Monteux, dans son auto­pa­tho­gra­phie – Testament médi­cal, phi­lo­so­phique et lit­té­raire, des­ti­né non seule­ment aux méde­cins et aux hommes de lettres, mais aus­si à toutes les per­sonnes éclai­rées qui souffrent d’une manière occulte (au temps des Lumières en voie d’humiliation, ça fait du monde) – décrit une afflic­tion men­tale dont il se dit atteint : le « men­tisme ». Symptôme : plus pos­sible de cali­brer comme il faut le TOUT qu’il y aurait à DIRE : les pen­sées acces­soires jettent un feu conti­nu dans la tête de son hon­nête homme, deve­nu le spec­ta­teur for­cé, le souffre-dou­leur de sa conscience obsé­dée.

Dumont ne s’étend pas sur les causes du men­tisme, pas plus que sur ses condi­tions d’apparition, et si les effets sont décrits, ce n’est jamais qu’allégoriquement :« une braise allu­mée tour­noie dans la tête »,les hémi­sphères céré­braux sont « atteints de stra­bisme »,le « che­val de la pen­sée », qu’on croyait domp­té, devient fré­né­tique,les « oiseaux de la volière » men­tale, aux tra­jec­toires ordi­nai­re­ment si nettes, sou­dain s’effarouchent,une « crampe au mol­let » sur­vient mais dans le cer­veau,des idées inco­hé­rentes s’invitent, dis­cutent entre elles dans la tête, sans égard pour « le maître du logis » – une petite insur­rec­tion domes­tique : bonnes et valets, pen­sées du lavoir et des arrière-cui­sines squattent le grand salon, fument les cigares de Monsieur dans son cra­paud Louis-Philippe.

Plus tard, au 20e siècle, si proche de nous et plus proche que jamais de la fin, des alié­nistes, psy­chos­thé­ni­ciens, cogni­thé­ra­peutes, spi­ri­tech­ni­cos, ani­min­gé­nieurs… don­ne­raient des des­crip­tions cli­niques géné­reuses du men­tisme, four­nis­sant au pas­sage à notre jeune car­rière dans les Lettres un vade-mecum sty­lis­tique :« bar­rages », « coq-à‑l’âne », « réponses à côté », « ellipses », « jeux syl­la­biques », « phé­no­mènes psit­ta­ciques », « scies ver­bales », « mots jacu­la­toires for­tuits », « énon­cia­tion des gestes », « énon­cia­tion des inten­tions et des com­men­taires sur les actes », « éman­ci­pa­tion des abs­traits », « ombres anti­ci­pées d’une pen­sée indis­cer­nable »…

3

De toutes les façons de ne pas exis­ter, res­ter sous la couette est notre pré­fé­rée. Nous aimons sup­po­ser le monde depuis notre lit. La conjec­ture sur oreiller est une acti­vi­té spé­cu­la­tive ardente et pos­sé­dante. Passé une pre­mière phase, pénible, à subir une pluie de FOMOs – pro­pa­gande insi­dieuse pour la vie intense, des sen­sa­tions fortes – on atteint ce pla­teau convic­tion­nel depuis lequel il n’y a pas de vie bonne dans ce monde mau­vais. vie vraie dans ce monde faux. vie juste dans ce monde injuste.Et, de là, le constat que Je n’ai pas de vie. vaut mieux que J’ai une vie. s’étend – ayant en prime l’avantage de dis­pen­ser d’avoir à se sai­sir de la ques­tion et des occa­sions de Cessons toute cette merde !, car que ces­se­rions-nous si nous n’avons pas de vie ? Et c’est ain­si que, depuis les tré­fonds de la couette coïn­ci­dant avec les hau­teurs de la convic­tion, Autant conti­nuer. s’impose chaque jour par défaut, coif­fant sur le fil Que cesse toute cette merde ! à cause d’un très léger vent contre : flemme d’en finir. Voilà. On conti­nue juste comme ça, par flemme et pour voir ce que ça donne quand il ne se passe rien, pour savoir ce que ça fait de n’avoir rien à faire, pour véri­fier du cœur que ça va bien nulle part, c’est par­ti, JE PASSE UN PULL TROP GRAND, J’OUVRE UN POT DE NUTELLA ET UNE BOUTEILLE DE SKY et, désor­mais, JE VIS POUR M’ASSURER QUE ÇA VA BIEN NULLE PART, je VAIS, sans but et sans objet, sans verbe après, je VOGUE tout court, je VAQUE, je DIVAGUE, il n’y a rien à faire, et tout à être – il suf­fit de se signer quelques pro­cu­ra­tions. Tu regardes les résul­tats pour toi sur Google. Tes homo­nymes sont tout en haut mais après tout, est-ce que tu n’es pas, toi aus­si, ce digi­tal mana­ger mort en 1815, ce chef de chœur de paroisse ori­gi­naire d’Alsace du sud ? Oui, tu les es tous. Il n’y a pas à rêver de monde·s bifurqué·s : il est déjà plusieur·s.

(Ça pour­rait être pire ima­gine tu serais L’Autre, Autrui, ton Prochain, leur Semblable, ces per­son­nages en mousse qui n’attendent qu’une – et tou­jours la même – chose : qu’on leur veuille quelque chose.)

Mais il ne fau­drait pas, par pure pas­sion du deve­nir, que nous oubliions notre nous. Ça fait quand même 200, 220 ans qu’il est là, tou­jours, à quelque point qu’on nous prenne de nos décla­ra­tions. Ça doit bien faire deux siècles bien tapés que nous sommes là, sur estrade ou per­ron, sur pro­mon­toire, pile à la hau­teur de notre nous sans contours. Depuis 1800 envi­ron, nous ne pou­vons pas man­quer de lui être ajus­té depuis allez 1802. Notre posi­tion his­to­rique est du tireur cou­ché : nous sommes libre·s de faire (le bien, le mal) ; le juge­ment est infaillible heu­reu­se­ment (et si nous sommes lâche·s, c’est pour le plai­sir d’entendre les Anciens nous dire « Quelle lâche­té ! ») ; nous par­lons sur­tout de n’avoir rien à dire, bou­geons sans avoir rien à faire ; nous consi­dé­rons sérieu­se­ment l’hypothèse de notre insi­gni­fiance sans appel, peu­plant notre déboire d’un tas de mirages – leur bru­meuse diver­si­té nous est comme un second monde, aus­si faux que le pre­mier. La mort vien­dra, sur­pre­nante à toute heure, et cette toute-heure-là est l’écho, dans le pré­sent de nos rumi­na­tions sur ce qui va bien pou­voir se pas­ser, du de-tout-temps pois­seux d’où pro­vient notre nous : un fond-des-âges qui date de 1800, 1802 à tout cas­ser.

Et c’est encore lui qui, envi­ron tous les same­dis, ras­semble ceux qui s’appellent tu ; c’est lui qui com­prime ceux qui répondent à l’auto-interpellation ; c’est nous qui, disant tu pour dire je, pas­sons UN SAMEDI SOUS LA COUETTE, seul·s, en des­cente de quelque chose mais de quoi, en attente de quelque chose mais de quoi… tou­jours est-il que nous voi­là nous adon­nant à une série d’activités qui se doublent chez nous de la conscience dou­lou­reuse d’être encoreen trainde faire ça (et dont pas­ser un same­di sous la couette n’est en fait que le pay­sage, l’environnement, le contexte), par exemple : ten­ter de cra­cker LinkedIn pour per­cer la vie de nos homo­nymes ; répondre à des objec­tions qui ne nous sont pas faites, notam­ment par des gens pour qui nous n’existons pas ; nous cher­cher des épi­taphes – à un moment, content d’avoir trou­vé : « SPÉCIALISTE DE SA PORTION » tu te ren­dors ; tu te réveilles on est tou­jours same­di.)

4

Pourtant tous ces same­dis il y a, en puis­sance, en nous, suf­fi­sam­ment de san­té pour répondre à l’espoir qu’à un moment don­né – don­né plus que choi­si – nous nous lève­rons et com­men­ce­rons à TRACER LA ROUTE, la nôtre fata­le­ment à mesure que nous la tra­çons, ou qu’à défaut de nous bou­ger vrai­ment direc­tion AVANCER, nous nous mon­tre­rions dési­reux d’apprécier la chance d’être en vie, en PROFITANT. Dans le détail des faits (dans le détail des draps), com­bler cette attente est tou­jours impos­sible, car notre moti­va­tion se résume aux acti­vi­tés déri­vées du suço­te­ment du pouce ou du toi­let­tage des peaux mortes : fumersiro­ter de la drogue grat­ter des Cash écrire des lettres à Mes ser­vices ou à Mon dépu­té– toutes choses qui, sup­por­tant par­fai­te­ment la posi­tion cou­chée, rem­plissent bien l’écart entre notre attente et les attentes du monde (ce qui n’est pas rien, l’écart étant un trait essen­tiel du rien que nous fai­sons pen­dant que nous nous agi­tons à faire tout le reste).

Bravo.Comment on fait main­te­nant ?

demande la Formation, pres­sante comme s’il res­tait moins d’une heure pour bou­cler ses vœux d’orientation.

Hein ? On fait com­ment main­te­nant ?

Dumont donne un autre nom au men­tisme : « la mala­die de René ».

On sait que ;
nul n’ignore que ;
l’histoire euro­péenne porte la mémoire de cet effroyable fun fact :
Les Souffrances du jeune Werther occa­sion­na chez les jeunes gens une « mode de sui­cides », selon la for­mule de France Télécom à l’époque où nous étions encore dans un âge où se sui­ci­der a de la classe. On ne peut pas dire que René de Chateaubriand ait occa­sion­né une telle mode, ce qui ne veut pas dire qu’il fut sans effets. Mais il est dif­fi­cile de quan­ti­fier l’impact d’un livre sur les états moraux d’une cohorte démo­gra­phique ; il fau­drait choi­sir une uni­té de compte moins nette que le sui­cide, quelque chose comme le vague à l’âme, un état latent d’insatisfaction où la flemme d’en finir et celle de conti­nuer s’équilibrent et se résolvent dans la stase ou l’automation – l’atteinte à sa vie n’étant qu’un inci­dent de cette flemme.

Reste que quand, ado­les­cent, disons autour des années 1815–1820, Dumont (né en 1802, année de la paru­tion de René) lit : « Hélas ! j’étais seul, seul sur la terre ! Une lan­gueur secrète s’emparait de mon corps. Je ne m’apercevais de mon exis­tence que par un pro­fond sen­ti­ment d’ennui. » (Chateaubriand:1802) il se dit sûre­ment mais c’est exac­te­ment ça et c’est dit de façon si neuve ! Quand, âgé d’une tren­taine d’années, il lit tou­jours : « Pour écrire l’histoire de sa vie, il faut d’abord avoir vécu. » (Musset:1836) il se dit peut-être c’est déci­dé­ment ça, et c’est comme ça que ça se dit ! Quand, homme mûr, il lit encore : « Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais par­tout bâillant ma vie. » (Chateaubriand:1848) ça n’a pas vieilli cette façon de dire, voi­là la bonne façon de par­ler de tout ça. Et ça conti­nue jusqu’après le milieu du siècle, Dumont cher­chant encore, à plus de 50 ans, secours auprès des grands auteurs pour l’aider à pré­ci­ser sa misère : « Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé… » (Nerval:1854) et Dumont se dit vrai­sem­bla­ble­ment moi aus­si !

Mais reve­nons au direct : est-ce que nous pour­rions (à sup­po­ser bien sûr que nous plaindre nous tente) affir­mer que nous « souf­frons d’une manière occulte », ou que nous ronge « un mal obs­cur » ? Pas sûr. À la limite, élevé·s dans les années 90 du siècle sui­vant, nous pour­rions ten­ter de dire : Ma jeu­nesse ne fut qu’un téné­breux cho­ral : J’ai déci­dé de dis­soudre l’Assemblée natio­nale. Si vous ajou­tez à cela le bruit et l’odeur. Nous les expul­se­rons avec huma­ni­té et cœur. Et voi­là le pro­blème. Nous avons gran­di sous Chirac et nous avons l’âme roman­tique – mais nous ne pou­vons pas dire de Chirac comme Musset le fit de Napoléon : « Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se rem­plir les pou­mons de l’air qu’il avait res­pi­ré. » Nous pou­vons dire à la limite : Un seul type d’humain était en vie alors dans le monde ; le reste des êtres tâchait de se rem­plir les pou­mons de l’air qu’il avait res­pi­ré. , et nous son­ge­rions à ces Monsieurs d’Occident, et y son­ger serait l’occasion de se rap­pe­ler que l’âme roman­tique est une inven­tion de Monsieurs, pas d’adolescents tor­tu­rés.

5

C’est comme si, la semaine étant consa­crée à la for­mu­la­tion de vœux pieux, comme ceux qu’on gra­vait sur les tables de classe : Palestine vain­cra. Ce qui me tu pas me rend plus fort. K. susse des bittes., le same­di ne pou­vait qu’être voué au constat que rien de tout ça n’adviendrait, et que, dans ce marasme de pro­pi­tia­tions sans effets, la seule acti­vi­té consé­quente était de PASSER UN SAMEDI SOUS LA COUETTE À SE CHERCHER DES ÉPITAPHES – à un moment, content d’avoir trou­vé : « BRAVO À TOUTE L’ÉQUIPE », tu te ren­dors, tu te réveilles on est tou­jours same­di. C’est la vie tu vois ça, la vie fra­gile ! la vie atteinte au cœur ! la nar­co­lep­sie du loser ! Seuls les plus éveillés sachent bien qu’il vaut mieux tou­jours mieux dor­mir. Que veiller c’est col­la­bo­rer. Qu’il n’y a rien à attendre que l’attente prenne fin – et des ten­ta­tives d’évasion : Rêver dis­pa­raître (par­tir éle­ver des chèvres au Népal). Ourdir dis­pa­raître (faire ces­ser toute cette merde, par la fenêtre ou le quai du métro). Simuler dis­pa­raître (chan­ger de visage et de papiers, et res­ter vivre inco­gni­to dans l’environ des siens pour voir com­ment ça se passe, la vie sans soi, com­bien durent les cha­grins, et qui seront nos rem­pla­çants numé­riques, sta­tu­taires, fonc­tion­nels).

En matière d’escapisme, il n’y a pas beau­coup de dif­fé­rence entre guet­ter la sor­tie de route et espé­rer la sor­tie de route, et qui­conque a déjà joué à une simu­la­tion de pilo­tage sait que regar­der pour lui-même un objet c’est à coup sûr le per­cu­ter. La vie, elle, la vrai­vie, est contre-intui­ti­ve­ment un jeu de pure arcade : à la fois plus facile et par­fai­te­ment inga­gnable – tout l’enjeu étant de manœu­vrer dila­toi­re­ment pour ne pas encore perdre, frô­lant l’accident chaque seconde, cares­sant chaque seconde mille occa­sions de se perdre. Dans cette attente active, nos craintes et nos espoirs sont secon­daires (ce sont presque des opi­nions) ; nous atten­dons qu’il se passe quelque chose, que quelque chose échoie, que quelque chose nous tombe des­sus ou devant – flaque d’huile, cara­pace, peau de banane, mur infran­chis­sable ou boss pré­ma­tu­ré – nous obli­geant au grand détour par lequel nous décou­vri­rons ce que nous n’aurions autre­ment jamais été oser aller par­tir cher­cher. Nous espé­rons en cadeau du sort un « objet réel de souf­france » (Chateaubriand:1802), car toute souf­france est une épreuve, et toute épreuve un éche­lon sur la voie du salut. Nous espé­rons sans cesse que la vie laisse à redou­ter, à dési­rer, et que tou­jours nous fris­son­nions – fris­son­nions à l’idée de ce qui peut arri­ver, fris­son­nions de fris­son­ner quand ça arri­ve­ra, fris­son­nions de fris­son­ner dans l’attente que ça vienne tant que ça n’arrive pas, fris­son­nions que ça n’arrive pas. Nous fris­son­nons : nous avons 5 ans et sommes trop bien caché·s. C’est intense ? Dans les années 90 on disait plu­tôt exci­tant.

6

Ah les années 90. Morne plaine. Époque de basses inten­si­tés. Quel peu d’intensité. Quelle plaine mori­bonde ces années. Qu’en dire ? Il y avait des bou­quins de caisse : Le racisme expli­qué à ma fille. L’économie expli­quée à ma fille. La République expli­quée à ma fille. L’amour de la France expli­quée à mon fils. La non-vio­lence expli­quée à mes filles. La Gauche expli­quée à mes filles. Voilà. Ça suf­fit. On com­prend tout de suite à quel point c’est fini et à quel point ça conti­nue. À quel point ça revient, quelle farce.

Alors allons‑y, dans le style de cette époque maligne et insi­gni­fiante.

Comment t’expliquer les années 90, fils ?

Une époque tout à fait par­ti­cu­lière.

La pre­mière et plus impor­tante chose à savoir est qu’on trai­tait les mères. Un trait d’époque, son esprit. Et puis un raf­fi­ne­ment puisque, trai­tant exclu­si­ve­ment les mères, on ne trai­tait pas les morts. L’injure n’avait pas encore gagné jusqu’aux morts à man­ger. Les morts les pauvres morts, que désor­mais on traite, on mange. Le res­pect s’est per­du pour les morts. Les mères, elles, pou­vaient se défendre (même si en fait elles ne le fai­saient pas) ; mais les morts !

Pouvoir se défendre et ne pas le faire : la dévo­tion. Les mères étaient dévouées, sur elles pleu­vaient les quo­li­bets ; les mères arpen­taient les rues avec leurs cabas sur­char­gés et sur les murs lon­gés par elles était écrit ta mère la pute ; à leur pas­sage des bouches sor­taient des c’est toi ta mère, là ; et dans les livres il n’était pas rare qu’on lût ta mère est si grosse que quand elle sort de chez elle ça fait une éclipse. On pour­rait pen­ser que Ta mère était la façon dont ça jouait dans la cour d’école et là uni­que­ment, une fashion propre aux 6–15 ans, une pas­sade – pas du tout. Les mères étaient trai­tées dans la rue, dans les com­merces, dans les bureaux au som­met des tours de bureaux. Lorsqu’on se met­tait à jurer dans le vide, c’est les mères qui pre­naient d’abord.

Cardan donne ses men­su­ra­tions, sa poin­ture. Il juge utile de don­ner sa poin­ture. Nous, ici, nous présent·s, nous-même·s, nous-autre·s, décla­rons juger inutile de men­tion­ner notre poin­ture. Comme au ven­deur de pompes aux puces, nous ne dirons rien de notre poin­ture : nous sommes de ceux qui (s’)apprécient avec la paume.

Pourtant, fils, je te parle d’une époque où on mesu­rait tout, où tout était noté. La sol­va­bi­li­té des États-nations dans des tableaux Excel. La taille des bites sur les tables de cours. Les com­pé­tences en maths. Et les filles. Tu étais une fille, tu avais met­tons 9/20 en maths le matin, et à la pause déj la moyenne de ton cul s’établissait à 6, à 8, à 15. Les ques­tions prin­ci­pales, prin­ci­pa­le­ment débat­tues, tout au long de ces longues jour­nées de la der­nière décen­nie de ce siècle, c’était de noter le phy­sique et les apti­tudes, de déter­mi­ner qui était plate et qui ten­tait de le cacher, qui suçait et qui ava­lait, qui était pédé (et à quel degré), et sur­tout : com­ment rou­ler une pelle pour don­ner le sen­ti­ment de l’avoir déjà fait – on n’avait pas TikTok, le monde n’était pas encore bar­dé de tutos, pour apprendre il fal­lait deman­der et pas juste aller voir ; on ne dis­po­sait sur tous sujets que d’un cor­pus de pro­pos (même pas d’avis, de tips, de recom­man­da­tions), rien qu’un petit réseau sou­ter­rain de tuyaux cou­tu­miers sur com­ment tour­ner la langue dans une bouche l’air de gérer. Voilà, c’était voi­là les termes du débat. C’était voi­là l’état de la conver­sa­tion publique en France à la fin du 20e.

Le reste est vague et ma tête c’est du flan, fils : l’adjectif exci­tant, j’ai déjà dit, les paquets de 10, les Tacchini bor­deaux ren­trés dans les chaus­settes, les manifs, les bag­gys incom­modes, la gauche, le bûcher des cahiers de cor­res­pon­dance devant le bahut à la fin de l’année – une époque tout à fait par­ti­cu­lière.

Ah si, une chose impor­tante : il n’y avait pas la guerre. La guerre était loin dans le temps, fils, ou dans l’espace, peu importe, on pou­vait consta­ter chaque jour qu’il n’y avait pas la guerre. Il y avait « l’insécurité » – un truc sur lequel beau­coup ont sophis­ti­qué ; ils pou­vaient sophis­ti­quer, tout le monde com­pre­nait : la frac­ture sociale avec les Arabes. Le mot même fai­sait fré­mir dans les chau­mières, avec sa racine bili­tère r‑b, conser­vée et comme apla­tie dans un argot qui a vieilli : reu­beu.

7

On se réveille dans le fond ! Mais pour­quoi ? Est-ce qu’il faut suivre pour cap­ter, cap­ter pour sai­sir, sai­sir pour com­prendre, com­prendre pour embras­ser, embras­ser pour aimer, aimer pour appré­cier, appré­cier pour ché­rir, ché­rir pour esti­mer ?

On reste atten­tifs ! Nous n’aurons pas un jour fini de faire le deuil du sou­ci de l’éveil. Les détails et la big pic­ture, c’est moins une ques­tion d’échelle que d’attention en fin de compte : les car­casses de pou­lets qu’on balance à la benne rece­laient des ins­truc­tions des­ti­nales ; sans pré­sence à nous-même·s, les astres ont toute licence pour taqui­ner notre tran­sit ; un bat­te­ment d’aile de papillon au Brésil et la bonne idée nous échappe ; et s’il est admis que Dieu est tout en toutes choses, la phrase est à prendre au dési­dé­ra­tif.

On prend du recul ! Pour quoi faire ? À pro­pos de ta pen­sée, tu as remar­qué comme on va te dire exac­te­ment la même chose que pour les pénis des années 2000 ? Enlarge. Expand. Sors de la boîte – comme un diable aus­si méchant que tous les siens mais sym­pa parce que mali­cieux.

C’est quand même pas sor­cier ! Quelqu’un dit « Tout est feu » ; un autre « Tout est eau ». Et effec­ti­ve­ment tout est tout si tu regardes long­temps. Ou alors : « Le monde n’a que deux choses », le vide et le plein. Et en fait même « qu’une chose », le vide n’étant qu’un défaut de plein. Et en fait même « aucune chose du tout » car le plein n’est qu’un rien mal tour­né. Gone wild. Parti en vrille à par­tir d’absolument tchi. On appelle ça matière, sub­stance, étoffe des mondes. Tous les corps y sont ins­crits dès la mater­nelle. Et comme j’aime le mien, je ramasse, allant pen­ché sur les pavés comme pico­rette3 à Stalingrad dans mes années 90 : chaque éclat se dis­tingue des autres par ses détails, et nous savons que dans les moindres les diables et les dieux débattent autour d’un bang.

On pour­rait se lais­ser dire que, sies­tant, nous sou­hai­tons qu’un temps mal vivable passe et soit entiè­re­ment pas­sé au réveil, que les heures à vivre soient englou­ties de peur que vivre = s’activer, et que, nous réveillant suf­fi­sam­ment tard, nous soyons exempté·s des acti­vi­tés de la jour­née.

Pour autant, nos siestes ne sont pas un plai­doyer contre le monde qui veille tan­dis que nous sies­tons, qui dort tan­dis que nous veillons ; nous ne réglons pas sciem­ment nos siestes contre « LE MONDE PROSAÏQUE DE L’ACTIVITÉ » (i.e. sur les horaires de bus ou d’ouverture du Carrefour Express) ; nos som­meils farouches, nos hori­zon­tales intem­pes­tives ne contestent pas « LE PRIMAT DU LENDEMAIN », nous ne jouons pas, contre « L’ACCUMULATION CAPITALISTE », la dépense oni­rique (trop fonçdé·s pour rêver) ; reste qu’en fin de compte et de sieste en sieste, inévi­ta­ble­ment, nous nous désac­cor­dons du monde, et bien­tôt nos siestes s’allongeant nous sommes, devancier·s ou retardataire·s d’environ douze heures, qua­si­ment par­fai­te­ment adverse·s horaire·s du monde ; et tan­dis que le monde s’occupe à FAIRE SES JOURNÉES, nous, nous sies­tons le monde (ce qui veut dire, ça va sans dire, aus­si que nous séchons le monde) ; et tan­dis que le monde s’occupe à FAIRE SES NUITS, nous veillons, sans que nos veilles soient plus actives que nos siestes, puisque nous séchons la nuit dans la veille comme dans le som­meil le jour, mais séchons quoi et chô­mons quoi, la réponse est incon­nue c’est dom­mage, ou alors ça tombe bien : la ques­tion ne nous inté­resse pas. Seul nous importe le constat qu’au final aujourd’hui encore, comme depuis qu’est né notre nous, nous sies­tons, et c’est tout ce qui compte, nous sies­tons pour tenir le compte, nous sies­tons sérieu­se­ment, avec assi­dui­té, pour rat­tra­per heure après heure le temps de sieste géné­ral confis­qué depuis 220 ans.

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Dialoguant avec notre genre et avec spé­ci­fi­que­ment notre genre (avec les Monsieurs et les tout-disant de ceux-là), nous ne pou­vons plus tenir très long­temps à équi­vo­quer dans la semoule : nous n’avons rien à dire au monde, d’ailleurs il n’y a rien à dire, jamais, et c’est même parce que nous y croyons dur que nous sommes poète·s. Mais se sen­tir poète ne pré­mu­nit pas d’un rap­port au TOUT qui n’a pas rien à voir avec l’esprit mon­sieur, le ton mon­sieur, la pré­ten­tion mon­sieuse : il est dif­fi­cile de se pas­ser de la néces­si­té, et se dire que ce qu’on dit et ce qu’on pense ne sont jamais que ce qui vient, et qu’un TOUT n’est conce­vable que dans ce pré­sent d’imminence, voi­là qui est sûre­ment le plus dif­fi­cile dans ce dif­fi­cile. Aussi aimons-nous croire, aimons-nous-à-croire, aus­si aimons-nous-à-croire-aimer-croire qu’en vien­drait-on, Monsieur, poète, Monsieur-poète, poète-Monsieur, à TOUT DIRE, inten­si­ve­ment ou en détails, ce ne serait jamais qu’un acci­dent, un sur-le-fil, un ça‑s’est-joué-à-peu – comme on meurt d’une fausse route ou comme on y sur­vit. Et pour­tant nous voi­là qui confes­sons dans tous les sens, consta­tant ayant entre­pris de DIRE, dans la prose d’un temps qui n’est plus, un TOUT qui a pour mesure, on dirait, la fidé­li­té de notre texte à notre per­sonne de 13 ans, l’adéquation de nos opi­nions à la cou­leur de nos cra­vates, le secours de notre âme éclai­rée et de notre style opaque au mal occulte qui ronge notre per­sonne éclai­rée : nous ne savons rien pen­ser sans soup­çon.

Nous ne savons rien pen­ser sans soup­çon → Nous ne savons pas jouer à Tu pré­fères… ? Systématiquement nous bug­gons, nous butons. Nous objec­tons. Nous deman­dons qu’on répète, qu’on pré­cise les termes de l’alternative ; nous contes­tons l’alternative. Nous trou­vons la réponse évi­dente (par consé­quent la réser­vons). Nous soup­çon­nons un piège der­rière l’évidence, der­rière chaque évi­dence (c’est pra­tique et ça ne coûte pas cher). Nous dra­ma­ti­sons, nous tra­gé­dions, nous catas­tro­phons (Mais… mais…, pour pré­fé­rer, il faut déjà pou­voir VOULOIR !). Nous deman­dons un sur­sis, puis deux, puis trois. Le sur­sis obte­nu, nous stres­sons que tout le monde s’emmerde. Nous stres­sons parce que tout le monde s’emmerde. C’est évident. Il y a un piège. Nous don­nons à notre réponse un carac­tère déci­sif (par consé­quent la réser­vons). C’est ter­rible tout le monde s’emmerde. Il fait nuit. Tu es seul. Personne ne t’a deman­dé ce que tu pré­fé­rais. Tu es seul et tout le monde s’emmerde.

Pourtant les choses sont simplesDormir sans pen­ser à la mort ?
→ Un bang dix minutes avant le cou­cher.
30 secondes de retrait du monde ?
→ Hyperventilation, puis pres­sion du pouce sur les caro­tides.
Ta mère est tel­le­ment grosse ?
→ Que quand elle sort ça fait une éclipse.

Cependant, régu­liè­re­ment, nos siestes sont inter­rom­pues par le sen­ti­ment ter­ri­fiant que nous sies­tons, que, ne par­ti­ci­pant pas à l’industrie du monde, nous tra­his­sons le monde qui nous a pourvu·s d’une exten­sion phy­sique, d’un véhi­cule à âme certes impar­fait mais VIABLE, et cette via­bi­li­té bio­tech­nique appelle en retour, en hom­mage, en échange, en cau­tion, une via­bi­li­té exis­ten­tielle mini­mum, un effort mini­mum en vue de SE MAINTENIR, une mini-per­sé­vé­rance de l’individu dans l’espèce, la démons­tra­tion éner­gique qu’un ser­ment court tou­jours : CECI EST MA VIE, CELLE DONT ON M’A DOTÉ, ET JE JURE D’EN FAIRE QUELQUE CHOSE D’UNIQUE ET DE SÉRIEUX, QUELQUE CHOSE D’APPLIQUÉ, QUELQUE CHOSE DE NON-VAIN, JE PROMETS DE FAIRE DE MA VIE UNE VIE QUI COMPTE PARMI LES VIES – et pour­tant nous sies­tons ; nous veillons la nuit, sentinelle·s d’aucun fort, et le jour nous séchons, nous chô­mons, nous sies­tons, nous ne méri­tons pas notre vie, alors nous nous disons Ok je n’ai pas de vie. d’ailleurs Ceux qui pré­tendent en avoir une n’en ont pas davan­tage. et par­fois nous pous­sons jusqu’à Qui a soin d’en avoir une n’aura jamais que sa vie pour soi. voire Qui s’applique à en avoir une ne dis­pose même pas de sa vie. et à ce point, perdu·s dans le dédale des sub­con­traires, nous sommes déjà retombé·s dans cet état de tor­peur dont j’aurais plai­sir à vous entre­te­nir un jour, et qu’on appelle si joli­ment dans cer­tains pays la sies­ta.

Ça va jusque-là ?demande le conseiller BGE4, et « là » semble moins dési­gner l’état d’avancement de la Formation que ce point loin­tain dans le temps où « tu en es là », « encore là »,

L’essentielau fond du fond du radia­teur à gauche, au rang depuis lequel on a vue sur les strings et les nuques, seul avec tes pen­sées inter­dites aux plus et moins de 13 ans, tu refais ta moyenne en essayant de chas­ser avant que ça sonne une vilaine gaule dans ton sur­vê­te­ment qui peluche.

RAPPEL

Elle est le sys­tème du monde, la machine de l’univers, l’assemblage de toutes les choses une fois créées. Elle est la grande hypo­thèse inclu­sive, l’instance du pire-étant-cer­tain. Oui oui, c’est « la nature » – la mienne, la tienne : elle est à nous tou·t·x·s qui savons qu’il n’y a que ses posséd·x·s pour la fuir. Que fuir, c’est étendre le domaine de ses pos­ses­sions. Créer de nou­velles dépen­dances. Diffuser son empire, total et per­ma­nent.
Tout ce qui paraît y com­pa­raît – pour com­pa­rai­son, pour homo­logation. D’ailleurs, si tu te la joues trop long­temps loin de tes stan­dards, loin de ta nature, il y aura tou­jours quelque part quelque chose, per­sonne ou évé­ne­ment, fait, geste, phé­no­mène vicieux ou non-être de vent, pour te rap­pe­ler que ÇA JOUE.
Et tout le monde aura cap­té. Tout le monde com­prend, on s’active, on attend quoi ? On choi­sit son per­so. On consulte son deck, on éva­lue ses stocks. On compte ses forces, ses vies, ses points de magie et d’expérience. On véri­fie la connexion entre volon­té et action. On recharge deux trois wea­pons his­toire de voir venir. Ça joue, c’est tout ! C’est impli­qué. C’est garan­ti. C’est gra­tuit. Ça n’a pas besoin d’être signi­fié. C’est immé­dia­te­ment et en vue sub­jec­tive.
Tu pré­tends avoir mieux à faire ? Tu simules une bles­sure au phy­sique ? Tu invoques un mal à l’âme, une condi­tion par­ti­cu­lière ? Tu chiales au milieu de la cour ? Tu dis pouce, froc aux che­villes, j’avais pas com­pris que ça jouait j’avais pas enten­du le sif­flet venez on recom­mence ? Chacun de ces moves est un moment du game – oui oui, le game, tmtc lequel, celui dont l’unique règle est que, vir­tuel­le­ment à tout ins­tant, ta tête c’est le bal­lon ok ?
D’ailleurs, ça joue­rait plus, tu le sau­rais pas.
Tu consta­te­rais la fin du monde avant la fin du game.

  1. Maurice Roche, Compact, 1966
  2. Quand on ne sait pas pour­quoi on vit, on vit n’importe com­ment, au jour le jour ; on se réjouit de chaque jour­née pas­sée, de chaque nuit venue, et le som­meil finit par englou­tir la ques­tion fas­ti­dieuse de savoir pour­quoi on a vécu cette jour­née et pour­quoi vivra-t-on demain. (Ivan Gontcharov, Oblomov, 1859)
  3. Dans les années 90, dans le nord-est de Paris, nom don­né par les enfants aux crack­heads, parce que, la tête pen­chée vers le sol, et se bais­sant régu­liè­re­ment pour véri­fier la nature – miné­rale ou chi­mique – de cailloux, ils sem­blaient pico­rer à la manière des pigeons ou des poules.
  4. BGE (ancien­ne­ment « Boutiques de Gestion pour l’Emploi », aujourd’hui : « ensemBle pour aGir et Entre­prendre ») est un réseau d’acteurs pri­vés à qui Pôle Emploi délègue depuis 2019 la charge d’« accom­pa­gner » les auto-entre­pre­neurs pas assez entre­pre­nants. « BGE donne à tous ceux qui entre­prennent les moyens de construire leur vie et le monde de demain. »