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Se faire des tableaux

Nous appel­le­rons fan­tômes, après le saint doc­teur, toutes les images que l’i­ma­gi­na­tion nous pré­sente, soit qu’elle les ait reçues de l’ex­té­rieur, soit qu’elle les ait fabri­quées à l’aide des maté­riaux qui lui sont venus du dehors. Nous divi­se­rons ces fan­tômes en deux classes. La pre­mière com­pren­dra les images inté­rieures que nous nous for­mons en notre fan­tai­sie des mots et des signes qui, mani­fes­tés à l’ex­té­rieur, for­me­raient une parole exté­rieure : et ces images inté­rieures, nous les appel­le­rons fan­tômes-signes. Nous met­trons dans une seconde classe tous les autres fan­tômes, c’est-à-dire les images inté­rieures qui repré­sentent en notre fan­tai­sie la chose elle-même, non un signe ou un mot qui exprime la chose : et ces autres images inté­rieures, nous les nom­me­rons fan­tômes-tableaux.

J.M.A. Vacant, Études com­pa­rées sur la phi­lo­so­phie de Saint Thomas d’Aquin et sur celle de Duns Scot, Delhomme & Briguet, Paris Lyon, 1891, pp. 168–169

Il est assis, il regarde les pavés, il médite ; tout est tran­quille, on n’entend aucun bruit, les cartes géo­gra­phiques et les tableaux synop­tiques des peuples du globe se tiennent sus­pen­dus à leurs clous, les trois chaises sont encore aux places où on les a lais­sées ; là-haut, dans leurs chambres, les élèves tra­vaillent.

G. Flaubert, L’Éducation sen­ti­men­tale

Napoléon repro­chait à ses géné­raux une ima­gi­na­tion épique, qui « empêche toute action, toute déci­sion, tout cou­rage » ; une ima­gi­na­tion qui « se fait des tableaux ». C’est aus­si dans cette ima­gi­na­tion malade de l’Histoire que réside, pour Barbey d’Aurevilly, « l’infirmité » de Frédéric Moreau, le per­son­nage de L’Éducation sen­ti­men­tale.

Cette infir­mi­té crée le pro­cé­dé de Flaubert, dont la pen­sée ne fonc­tionne jamais non plus que sous la forme de tableaux. Comme il n’a d’idées abso­lu­ment sur rien, et qu’il n’est capable que de décrire, son pro­cé­dé est infi­ni­ment simple. Il cloue et soude des tableaux à d’autres tableaux.

Se faire des tableaux, quand on est plus pau­mé que géné­ral, c’est aus­si, par assué­tude ou par las­si­tude, oublier de tailler un conçu avant d’étaler son per­çu. Léonard de Vinci, qui pen­sait que des peintres étaient de leur pra­tique trop les géné­raux et pas assez les ingé­nieurs, a écrit en sub­stance :

C’est vrai que si tu te poses devant un mur plein de taches et que tu t’y absorbes un moment en ima­gi­nant, des fonds et des formes plus ou moins nets y appa­raissent, qui par leur vague rap­pellent tout ce qu’il y a autour (voire des mondes plus loin­tains dans l’espace et le temps), et par leur net des pay­sages connus, moins par­faits que typiques, des reliefs nus, chauves d’antennes, des ter­rains de jeu enfuis du cadastre. En y allant un peu plus fort tu vois aus­si, sur ces pans bario­lés, d’anciennes scènes de com­bat avec leurs répres­seurs et les chiens qui s’affairent au fond sem­blant les imi­ter (comme Dio­gène, dés­œu­vré, sin­geait les armées colo­niales) ; bref un bor­del de faune humaine-non­­hu­­maine naît de ces taches, un bor­del enga­geant par la force des choses. Il en est de ces murs comme du son des cloches, dont chaque tin­te­ment détache, dans le bas­so du mi-silence urbain, des noms fami­liers et ché­ris ; ils indiquent un plan de découpe, c’est sûr, mais ils ne four­nissent pas les frondes.

Sur le mur de Vinci, Breton dit que cha­cun fait com­pa­raître et para­der les fan­tômes les plus pro­bables de son deve­nir. Les fan­tômes n’existent pas.

1. Il y a une question

Par assué­tude ou par las­si­tude, réflexe épique, l’hypothèse para­noïaque inclu­sive arrive tôt ou tard qu’au-dessus de tout ce bor­del flotte une ques­tion qui flotte. Qu’à tout moment plane une ques­tion qui plane au-des­sus

de toute vue, digne de l’être ou pas,
de toute prise de parole, asser­men­tée ou pas,

au-des­sus

de tout geste et de toute atti­tude
de tout plan végé­tal, pan humain ou plant ani­mal
de tout pan de conscience, typique et sin­gu­lier,

au-des­sus

de tout état patho­lo­gique banal, spé­cial,
de tout fait de guerre, tout plan de cam­pagne à tous les points de vue,
de toute pro­prié­té,
tout chan­tier d’in­ten­tion,
toute for­ma­tion, mobile ou sèche, toute couche,
tout enduit, toute dis­pute concer­tée et toute alga­rade,
toute confi­gu­ra­tion des poings
dans les empoi­gnades
et des paumes
dans les empal­mades,
toutes décla­ra­tions
sub­stan­tielles,
imma­té­rielles ou pas,
tout ce qui parais­sant com­pa­raît, parade.

Soit cette ques­tion qui nous accom­pagne à tout moment T, accom­pagne en l’espèce de nous toute forme FFFFFF et tout fond ffffff depuis que les formes et les fonds ont été jetés plus ou moins négli­gem­ment dans le monde sur les Pentes de la Création, depuis que les contextes et les évé­ne­ments ont été jetés ici-bas avec plus ou moins de pro­jet, depuis que les phé­no­mènes, moins par­faits que typiques, accom­plissent leur exis­tence déva­lante avec plus ou moins de prin­cipes d’existence et de déva­le­ment, dépla­çant pour eux-mêmes ici vers le bas un peu plus chaque jour, minute, seconde, quan­tum tem­po­rel imper­cep­tible hors la ques­tion.

1. entendre “paye ta chatte” 10. une feuille morte
2. le bruit qu’au­rait cette tôle 11. la témé­ri­té
3. pen­ser au pain 12. relire l’his­toire une der­nière fois
4. un mau­vais exemple 13. le style
5. man­ger une fri­ture 14. “avant de par­tir n’ou­blie pas”
6. la pen­sée que ça va aller 15. chan­ger
7. repoi­vrer 16. “l’a­mour est fort comme la mort,”
8. tenir en place 17. “dur comme l’en­fer !”
9. dire “chien” 18. …

Soit la ques­tion qui nous concerne tou-te‑s, un nous grand-inclu­sif constant et ver­sa­tile, un bâti des­ti­nal en kit par­ti­cu­liè­re­ment violent à sa nature (à sa nature de nous plus qu’à la nôtre à nous), un cor­pus inclu­sif aux occur­rences ténues (

inten­tion, men­tisme, réso­lu­tion, ten­dance.

), un corps social au ges­tuaire jamais éman­ci­pé de la chaîne de com­mande d’une norme mys­té­rieuse

atteindre, mou­voir, tour­ner, faire
tour­ner, appli­quer une pres­sion, sai­sir, pla­cer,
relâ­cher, dépla­cer les yeux et les foca­li­ser,
mar­cher sur la lune, se déhan­cher, pen­cher et se rele­ver,
poser avec suc­cès l’un ou l’autre genou à terre
voire les deux, faire des ton­neaux pour finir,

) et leurs per­ver­sions tuées au stade du vel­léi­taire (

foca­li­ser les ton­neaux
appli­quer les yeux
se rele­ver le genou
désen­ga­ger mar­cher
désen­ga­ger la lune
voire les deux

).

Soit cette ques­tion qui se pose, est posée à nous à chaque ins­tant T, à cha­cun et cha­cautre en nous à chaque ins­tant T, cette ques­tion qui bour­donne envi­ron­ne­men­tale au-des­sus et autour de nous et qui n’attend pas de réponse for­melle mais qui prend pour réponse les coor­don­nées de nous tou-te‑s à un ins­tant T qui est tout ins­tant T des exis­tences de cha­cun et cha­cautre, l’instant constant où la petite et la grande aiguilles se croisent per­pen­di­cu­lai­re­ment, signa­lant un temps mort infi­ni dans le jeu tré­pi­dant des kai­roi. Soit cette ques­tion posée à cha­cun et cha­cautre en nous à tout ins­tant T du jeu tré­pi­dant, à cha­cun et cha­cautre en nous en tant que jetons de nous, jetons jamais là que pour faire-le-nombre ou le-compte, exem­plaires exem­plaires de la com­mu­nau­té-une-et-indi­vi­sible-quand-on-regarde-de-loin.

On sait main­te­nant, à force d’en faire l’hypothèse, qu’il y a cette ques­tion et on sent bien main­te­nant que la seule réponse à la ques­tion bom­bi­neuse est l’ensemble des coor­don­nées de cha­cun et cha­cautre à tout moment sur les Pentes de la Création selon des cri­tères de sin­gu­la­ri­té et de géné­ri­ci­té, de typi­ci­té et de bana­li­té, cri­tères qui dis­cré­tisent à fond et à Forme, gra­nulent le nous, menacent la com­pa­ci­té du ges­tuaire et de l’attitudier.

Il est clair main­te­nant qu’il y a une ques­tion qui par­court, comme sur une molette axiale, l’ensemble des Pentes de la Création, et de là repère, enre­gistre et trans­met les coor­don­nées exclu­sives et pré­cises de cha­cun et cha­cautre. Il est clair main­te­nant que ce qui nous plane au-des­sus, et jusque tout autour, est une ques­tion, unique, et que cette ques­tion pro­cède d’une tête de lec­ture, et qu’en cette tête nous lit cette ques­tion et que cette ques­tion nous indexe, nous tient en joue dans la dési­gna­tion et nous demande de dire ; et ain­si nous sommes lus, au sens de pous­sés à dire au doigt et à l’œil.

Nous acqué­rons main­te­nant la cer­ti­tude qu’il y a une ques­tion posée en per­ma­nence par une sorte de drone en sur­vol au-des­sus des Pentes et qui scanne, vrom­bit sa ques­tion comme un drone, à la drone mais angé­li­que­ment. Il y a un drone angé­lique à l’affût tout autour au-des­sus de toute confi­gu­ra­tion de la matière ani­mée comme inani­mée et au-des­sus de

tous gestes, leurs esquisses,
tous mots, leurs anti­dotes,
toutes pro­prié­tés, leurs changes,
toutes formes, leurs contre­formes.

Il y a un drone-gar­dien, un ange-maton, une ins­tance de vou­loir-du-bien en sur­vol et sur­veille, un super­vi­seur des échanges qui nous offre une pause hors la chaîne, une pause-café pour nous par­ler, nous entre­te­nir-de-nos-pro­jets dans son bureau qui n’est pas un bureau phy­sique mais le lieu sans local et sans coor­don­nées d’où la ques­tion bien­veille, se pose posé­ment à nous pour-son-bien (à nous). Il y a une menace pré­ve­nante en sta­tion, en fac­tion, un agent de sécu­ri­té pro­vi­den­tiel, un employé du wel­fare state qui a des manières de war­rior ou un agent du war­fare state qui a des manières de wel­lior — on ne sait pas, on ne peut pas savoir, l’agence est en tout lieu à tout moment, c’est une pana­gence ubi­quiste et sans tain qui fait de l’intérim pour l’Être ou l’État, la Présence ou le Ministère de Dieu, ou la Corée, ou le Texas, ou la Poésie de la Pensée de l’Être de l’Agence du Monde.

La ques­tion qui plane est : QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ?

2. La question contrariante

Il y a une femme sin­gu­lière en bana­li­té, typique en sin­gu­la­ri­té, banale en son genre et d’un genre sin­gu­lier, qui porte un nom en alle­mand.

Gertrude celle qui est forte avec la lance
Stein pierre
Gertrude Stein celle qui est forte avec la lance pierre

Celle qui est forte avec la lance pierre a posé une ques­tion, une série de ques­tions plu­tôt mais résu­mable en une ques­tion qui vise le drone pas pour notre ou son bien mais pour explo­rer la car­lingue de la ques­tion adul­ten­fan­tine en sur­vol. Celle qui est forte avec la lance pierre a posé en la pro­pul­sant une ques­tion déci­sive d’ingénierie d’enfant, en un sens plus radi­ca­le­ment enfan­tine que celle de la dif­fé­rence ou de l’intrus (qui est une ques­tion

d’a­dulte aux enfants
de vigile aux men­diants

un jeu d’au­to­route flan­qué de sa solu­tion).

La ques­tion de celle qui est forte avec la lance pierre est :

QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UNE DIFFÉRENCE
ET PAS DE DIFFÉRENCE
(DU TOUT) ?

On peut ajus­ter la ques­tion en quatre c’est-à-dire :

Qu’est-ce qui fait acti­ve­ment la dif­fé­rence
dans la dif­fé­rence ?
Qu’est-ce qui agit au sein de la dif­fé­rence ?
Qu’est-ce qui manque quand une absence de dif­fé­rence
est consta­tée ?
Qu’est-ce qui fait défaut dans la res­sem­blance ?
Sous quelle focale, dans quelle lunette,
y a‑t-il ou pas de dif­fé­rence ?
Que gagne-t-on une fois la dif­fé­rence per­çue ?
À par­tir de quel degré de dis­so­lu­tion de la dif­fé­rence
s’au­to­rise-t-on à se relâ­cher ?
Quand cesse-t-on de modu­ler notre atti­tude
en fonc­tion de la ques­tion du drone ?

 

3. Les associations : ce qu’on peut en dire

Des gens se réunissent en asso­cia­tions. L’association est un grand prin­cipe de l’activité humaine. L’association réunit des gens, se réunit régu­liè­re­ment. L’association est un mode remar­quable de l’activité humaine col­lec­tive. L’association décide d’un nous et l’organise. L’association asso­cie (l’assemblée assemble, le comi­té com­met, le congrès congresse, l’agence agence). On peut se réunir en assem­blée, en comi­té ou en congrès, mais per­sonne ne se réunit en agence. Les gens qui se réunissent en asso­cia­tion sont

par­fois des agents ; par­fois des patients.

Les asso­ciés en asso­cia­tion ne s’associent pas pour faire socié­té à pro­pre­ment par­ler mais pour

faire des hypo­thèses para­noïaques-inclu­sives,
don­ner à leurs ques­tions une dimen­sion épique,
un niveau de rumi­na­tion col­lec­tif,
l’épaisseur d’une couche,
un plan,

ou par

las­si­tude,
assué­tude.

Se réunir en asso­cia­tion donne

plus d’agence et
plus de patience

devant les ques­tions.

Se réunir en asso­cia­tion rend plus fort avec la lance pierre devant la ques­tion. Un‑e réuni‑e en asso­cia­tion va s’ingénier, échan­ger ses vues et chan­ger ses pro­prié­tés, va conce­voir. À l’origine du fait anthro­po­lo­gique remar­quable de la réunion en asso­cia­tions se trouvent les sen­ti­ments

de par­ta­ger une res­sem­blance déci­sive ;
de contras­ter ensemble sur le même mode.

(La typo­lo­gie des asso­cia­tions est post-ite. Elle n’est pas spé­cia­le­ment labile, elle est spé­cia­le­ment stable, on peut com­bi­ner les pré­di­cats qui four­nissent le patron des types.)

L E S A V A I S – T U ?
1. On peut libre­ment s’associer, s’assembler, congres­ser, com­mettre, c’est la loi.
1.1. Il est inter­dit de se réunir dans cer­tains immeubles.
1.2. Il est inter­dit de s’associer quand on est en pri­son.

Une asso­cia­tion de type nous-autres par­mi les plus auto­ri­sées de son point de vue et les moins fon­dées du point de vue d’associations concur­rentes est celle de gens qui font inclu­si­ve­ment l’hypothèse qu’existe une espèce de lapin nom­mée « lapin tête de lion ». Cette hypo­thèse est étayée par :
– l’existence de lapins en géné­ral ;
– l’existence de lapins en par­ti­cu­lier, ayant pour spé­ci­fi­ci­té d’être plus den­sé­ment poi­lus au niveau du cou — spé­ci­fi­ci­té rap­pe­lant une cri­nière, et visuel­le­ment plu­tôt une cri­nière de lion que de che­val.

Ayant acquis, en la posant col­lec­ti­ve­ment, la cer­ti­tude que leur hypo­thèse est fon­dée, ils élèvent des lapins qu’ils appellent « tête de lion ».

Cette nomi­na­tion ne passe tou­te­fois pas les bornes de l’association ; la com­mu­nau­té adhé­rant à cette conven­tion demeure numé­ri­que­ment faible. « Lapin tête de lion » n’est pas un nom recon­nu offi­ciel­le­ment par les asso­cia­tions d’éleveurs, qui sont des asso­cia­tions de type nous-mêmes qui ont des prin­cipes d’universalisme et des ambi­tions hégé­mo­niques, une léga­li­té d’axiomes et des condi­tions géné­rales d’admission ain­si que des clauses.

4. Le critère crinière : ce qu’on doit en dire

« Lapin tête de lion » n’est pas le nom d’un type de lapin, est le nom d’un lapin banal et sin­gu­lier mais pas dans son genre, le nom d’un lapin géné­rique mais par sous­trac­tion des dif­fé­rences intras­pé­ci­fiques, ou peut-être le nom d’un lapin d’un type mais d’un autre, de celui qu’aucune ou toute cri­nière ne vient mar­quer déci­si­ve­ment.

Le cri­tère géné­tique « cri­nière » a été consi­dé­ré instable par les asso­cia­tions d’éleveurs de lapins, et suc­ces­si­ve­ment mal fixé et mal adhé­rent par les asso­cia­tions d’éleveurs de la géné­tique. « Crinière », comme cri­tère, a été pris en compte dans la consi­dé­ra­tion ; il a ren­du son ver­dict : c’est un cri­tère dur à la fixa­tion (beau­coup plus pour sûr que ceux de lapi­ni­té et de léo­ni­té).

Y a‑t-il une force majeure de la fixa­tion ? Existe-t-il des cas où le cri­tère « cri­nière » va ou où on le fait aller, parce que qu’il aille se jus­ti­fie­rait qu’il y va d’un cas spé­ci­fiant de cri­nière ? Oui ; non ; si on veut. Le cri­tère « cri­nière » est inva­ria­ble­ment inadhé­rent n’est pas une hypo­thèse, c’est une thèse ; il n’y a besoin ni de le savoir ni d’y croire. Le cri­tère « cri­nière » est constant dans sa vola­ti­li­té, c’est-à-dire qu’il est vola­tile même quand on ne le consi­dère pas.

L’élément d’instabilité concer­nant le cri­tère « cri­nière » vient de ce que c’est un cri­tère for­mel : c’est d’une équi­for­mi­té per­çue, d’une image épique de la res­sem­blance, qu’on s’autorise pour éta­blir l’existence d’un jeton du monde nom­mé « cri­nière ». Or l’association des éle­veurs de la géné­tique a mon­tré sou­vent, à de sys­té­ma­tiques occa­sions, que la « res­sem­blance » — terme idiot — n’était pas un cri­tère admis­sible pour juger d’une proxi­mi­té fai­sant paren­tèle ou genre ou espèce ou classe. Il y faut plus qu’une cor­res­pon­dance tabel­laire qui peut tou­jours bien dire ce qu’elle veut ; il y faut une iso­mor­phie fon­cière, une ligne claire de déhis­cence, un hori­zon de déploi large et net. « Regarde le lapin on dirait un lion » est une sidé­ra­tion qui fait un lion symp­tôme, un fauve mirage, un fan­tôme d’un degré de pro­ba­bi­li­té que l’imaginaire appri­voise et prise, prise parce qu’il l’apprivoise.

5. Maintenant on sait ce qu’on peut et doit dire

On peut conclure en affir­mant des choses en guise de conclu­sion :

  1. Une res­sem­blance est un chan­tier de consi­dé­ra­tion.
  2. Le plan de découpe est au géné­ral sub­jec­tif.
  3. Une dif­fé­rence est une coupe sug­gé­rée.
    1. Elle est moins par­faite que typique.
  4. Le cri­tère « cri­nière » est sans digni­té hors la vue.
    1. La cri­nière elle-même laisse à sidé­rer.
    2. Il n’y a pas de spé­cia­tion par la cri­nière.
    3. La dif­fé­rence que fait la cri­nière est intras­pé­cique.
    4. L’indifférence de la cri­nière est trans-spé­cique.
  5. « On bague­naude dans sa tête, on se cha­touille pour se faire rire, on se fait des tableaux, dont on est le spec­ta­teur, des tableaux avec des » ani­maux à cri­nière, sans avoir en vue ni de les réunir ni de les dis­tin­guer. Les tableaux sont par­fois géné­raux, par­fois géniaux — par­fois la vision, la ligne d’horizon, la cri­té­rio­lo­gie et le poil sont vrai­ment admi­rables.

 

Contemplation inverse

 

Le Mur de Vinci est
une pre­mière chose à voir,
un must see et un yet to be seen
une Sehenswürdigkeit
(un digne-d’être-vu)
et une Schaustelle
(un chan­tier de contem­pla­tion)
ses fis­sures sont des échap­pées fla­grantes
les contours de ses taches des plans d’é­va­sion pour jog­gueurs.

Devant le pan — sauf peut-être au mitard ou en qua­ran­taine — on peut faire ses gammes ima­gi­na­toires sans les tableaux qui vont avec ; c’est un exer­cice de mys­tique
contem­pla­tive
inverse :
à force de se voir en chef de chan­tier devant les murs, on réa­lise
que c’est nous le fan­tôme
astreint,
par addi­tion des ce-qu’on-peut-et-doit-dire,
à se consi­dé­rer de plus en plus pro­bable.