La langue officielle allemande a tout fait pour souligner que tous ces registres vivifiants, les uns comme les autres, s’enracinaient dans la « non-Allemagne » ou la « délinquance » si souvent invoquées. Ce qui revenait à une expulsion officielle. La possibilité d’une parole publique à soi s’est faite dès le départ depuis cet exil imposé. On ne pouvait accéder à la vivacité et à une raison politique qu’à partir des innombrables positions du « pays dénommé Étranger ». L’écriture publique a commencé par une forme de transgression : sur tracts. Sur les tracts, je lisais les mots à « moi » qui passaient. Une langue écrite était venue à moi par les airs, encore lisible le lendemain, défendable, sans raison d’en rougir, à la différence des tentatives poétiques antérieures ou de la scientificité hésitante des bagages de séminaire.
Ma première citoyenneté allemande fut donc une citoyenneté universitaire non-universitaire, parce que le tout se développa dans l’université et n’aurait pu se déployer ailleurs, dans une université en plein épanouissement, en pleine ouverture (du côté estudiantin), à la fin des années 1960. Dans une conférence des années 1980, l’historien berlinois des religions Klaus Heinrich a qualifié les actions des étudiants de l’époque de « dernière déclaration d’amour d’une génération d’étudiants à l’institution universitaire ». C’est beau et ça vise juste. Infiniment grand et principalement désintéressé était l’espoir de pouvoir transformer l’université en un bout de pays où vivre. Tant de candeur pour un monde meilleur…
25 08 25