Une tradition populaire met en garde contre l’idée de raconter ses rêves le matin, à jeun. Dans cet état, en effet, l’homme éveillé est encore sous l’emprise du rêve. Car la toilette ne rappelle à la lumière que la surface du corps et ses fonctions motrices visibles, alors que, dans les couches inférieures, pendant que nous faisons notre toilette, la pénombre grise du rêve persiste et se renforce même dans l’isolement de la première heure de veille. Celui qui appréhende d’entrer en contact avec le jour, peu importe que ce soit par peur des hommes ou parce qu’il veut se…
Texte de Benjamin sur le poreux napolitain dans les Denkbilder Seine Privatexistenz ist die barocke Ausmündung gesteigerter Öffentlichkeit. « Son existence privée est l’estuaire baroque d’une vie publique intensifiée. » Suit la comparaison avec le village hottentot : Ausgeteilt, porös und durchsetzt ist das Privatleben. Was Neapel von allen Großstädten unterscheidet, das hat es mit dem Hottentottenkral gemein : jede private Haltung und Verrichtung wird durchflutet von Strömen des Gemeinschaftslebens. Existieren, für den Nordeuropäer die privateste Angelegenheit, ist hier wie im Hottentottenkral Kollektivsache. (“Distribuée, poreuse et mêlée est la vie privée. Ce qui différencie Naples de toutes les grandes villes a à voir avec…
Grade die schwächsten Leistungen der Kunst beziehen sich auf das unmittelbare Gefühl des Lebens, die stärksten aber, ihrer Wahrheit nach, auf eine dem Mythischen verwandte Sphäre : das Gedichtete. Das Leben ist allgemein das Gedichtete der Gedichte — so ließe sich sagen ; doch je unverwandelter der Dichter die Lebenseinheit zur Kunsteinheit überzuführen sucht, desto mehr erweist er sich als Stümper . Diese Stümperei als »unmittelbares Lebensgefühl«, »Herzenswärme«, als »Gemüt« verteidigt, ja gefordert zu finden, sind wir gewohnt. Trad 1 : Les plus faibles productions de l’art renvoient au sentiment immédiat de la vie, tandis que les plus fortes, selon leur vérité, à…
Moins un homme est prisonnier des liens de son destin, moins il est déterminé par le plus proche, qu’il s’agisse de circonstances ou d’hommes, peu importe. Un homme libre sous ce rapport fait sien tout ce qui lui est proche ; c’est même lui qui le détermine. En revanche, la détermination de sa vie – considérée en terme de destin –, c’est du lointain qu’elle lui vient. Il n’agit pas « en regardant derrière lui » pour voir ce qui arrive, comme s’il allait être rattrapé, mais « en regardant autour de lui » vers le lointain auquel il s’adapte. C’est pourquoi le projet d’interroger…
L’ennui est une étoffe grise et chaude recouverte, à l’intérieur, d’une doublure de soie aux couleurs vives et chatoyantes. Quand nous rêvons, nous nous roulons dans cette étoffe. Nous nous sentons chez nous dans les arabesques de sa doublure. Mais, enveloppé dans son étoffe grise, le dormeur a l’air de s’ennuyer. La plupart du temps, lorsqu’il se réveille et veut raconter le contenu de son rêve, il communique cet ennui. Qui est capable de retourner d’un geste la doublure du temps ? Pourtant, raconter ses rêves ne signifie rien d’autre. On ne peut parler autrement des passages, ces architectures dans lesquelles…
Toute opération salutaire que produit un écrit, et même toute opération qui n’est pas dans sa nature profonde dévastatrice, est fondée sur son mystère (celui du mot, celui du langage). Si variées que soient les formes selon lesquelles le langage peut se montrer efficace, il ne l’est pas en communiquant des contenus, mais en produisant au jour de la manière la plus limpide sa dignité et sa substance. Et si je fais ici abstraction d’autres formes d’efficacité que la poésie et la prophétie, je reviens toujours à cette idée qu’éliminer l’indicible de notre langage jusqu’à le rendre pur comme un…
Il existe en fait une double volonté de bonheur, une dialectique du bonheur. Une figure hymnique et une figure élégiaque du bonheur. L’une : l’inouï, ce qui n’a encore jamais existé, le sommet de la félicité. L’autre : l’éternel retour, l’éternelle restauration du premier bonheur, du bonheur originel. Cette idée élégiaque du bonheur, qu’on pourrait également qualifier d’éléatique, est celle qui, pour Proust, transforme l’existence en forêt enchantée du souvenir. C’est à elle qu’il a sacrifié, non seulement amis et société dans sa vie, mais aussi intrigue, unité de la personne, cours du récit, jeu de l’imagination dans son oeuvre. Un de…
À la fin de Matière et mémoire, Bergson développe l’idée selon laquelle la perception serait une fonction du temps. Si nous vivions, peut-on dire, selon un autre rythme, plus serein, il n’y aurait plus rien de « permanent » pour nous ; tout adviendrait sous nos yeux, tout viendrait nous frapper. C’est précisément ce qui se passe dans le rêve. Pour comprendre ce que sont, au fond, les passages, nous les enfouissons dans la plus profonde couche du rêve et nous en parlons comme s’ils étaient venus nous frapper. Un collectionneur considère les choses de la même façon. Les choses viennent frapper le collectionneur.…
Structure dialectique du réveil : souvenir et réveil sont très étroitement apparentés. Le réveil, en effet, est la révolution copernicienne, dialectique de la remémoration. C’est un renversement éminemment élaboré qui transforme le monde du rêveur en monde de veille. Les Chinois ont trouvé, avec leurs contes et leurs nouvelles, l’expression la plus radicale du schématisme dialectique qui est à la base de ce processus physiologique. La nouvelle méthode dialectique de la science historique apprend à transformer intellectuellement ce qui a déjà eu lieu avec la rapidité et l’intensité du rêve, afin de faire l’expérience, sous la forme d’un monde éveillé, du…
Les idées nous marquent souvent moins par ce qu’elles disent qu’à cause de l’instant où elles nous viennent. Une idée qui s’ajuste à la cohue de toutes les autres (c’est ainsi la plupart du temps lorsque nous sommes hésitants et que nous cherchons, pesant le pour et le contre, à prendre une décision) ne nous marque pas autant que celle qui nous vient, dans l’isolement, lorsque nous ne sommes absolument pas disposés à penser et qui a donc pris le chemin le plus secret à travers les chambres obscures, à travers le coeur et les reins, le diaphragme et le…
Le réveil est la forme exemplaire du souvenir : c’est la forme importance, capitale, dans laquelle nous parvenons à nous souvenir de ce qu’il y a de plus récent (de plus proche). Lorsqu’il déplace expérimentalement les meubles, Proust vise la même chose que Bloch sous le nom d” »obscurité de l’instant vécu ». Walter Benjamin Rêves Christophe David G 2009 fr…
Nous construisons le réveil théoriquement, ce qui veut dire que nous reproduisons, au niveau du langage, le stratagème qui, au niveau physiologique, est l’élément décisif du réveil. Le réveil opère par la ruse. C’est par la ruse, non sans elle, que nous nous arrachons au domaine du rêve. Walter Benjamin Rêves Christophe David Gallimard 2009 fr…
En cas que vous… J’espère vivement que ma venue à Paris va approcher le jour où nous allons faire connaissance J’espère, Monsieur, d’avoir bientôt de vos nouvelles. Peut-être vous savez dès à présent vers quel temps vous serez à Paris ? Pas plus tard qu’à Cannes j’ai demandé dans une pharmacie « l’aérophagyl » qui, d’un coup, a mis fin à mon état détestable. Mille fois merci ! Il me paraissait quelquefois que l’esprit capricieux et tourmenté du conteur allait trop en avant des événements dont le charme bizarre et lugubre aurait, par-ci, par-là, un relief plus puissant encore en se détachant d’un fond…