18 01 16

L’ennui est une étoffe grise et chaude recou­verte, à l’in­té­rieur, d’une dou­blure de soie aux cou­leurs vives et cha­toyantes. Quand nous rêvons, nous nous rou­lons dans cette étoffe. Nous nous sen­tons chez nous dans les ara­besques de sa dou­blure. Mais, enve­lop­pé dans son étoffe grise, le dor­meur a l’air de s’en­nuyer. La plu­part du temps, lors­qu’il se réveille et veut racon­ter le conte­nu de son rêve, il com­mu­nique cet ennui. Qui est capable de retour­ner d’un geste la dou­blure du temps ? Pourtant, racon­ter ses rêves ne signi­fie rien d’autre. On ne peut par­ler autre­ment des pas­sages, ces archi­tec­tures dans les­quelles nous revi­vons en rêve la vie de nos parents et grands-parents tout comme l’embryon dans le ventre de la mère répète la phy­lo­ge­nèse. Dans les pas­sages, l’exis­tence s’é­coule sans accen­tua­tion par­ti­cu­lière, comme les épi­sodes dans les rêves. C’est la flâ­ne­rie qui donne son rythme à cette som­no­lence. En 1839, une mode des tor­tues avait enva­hi Paris. On peut faci­le­ment ima­gi­ner que les élé­gants eurent moins de mal à imi­ter le rythme de ces créa­tures dans les pas­sages que sur les bou­le­vards. L’ennui est tou­jours la face externe des évé­ne­ments incons­cients. C’est pour­quoi les grands dan­dys l’ont trou­vé si dis­tin­gué.

Rêves
trad. Christophe David
Gallimard 2009
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