18 01 16

Il existe en fait une double volon­té de bon­heur, une dia­lec­tique du bon­heur. Une figure hym­nique et une figure élé­giaque du bon­heur. L’une : l’i­nouï, ce qui n’a encore jamais exis­té, le som­met de la féli­ci­té. L’autre : l’é­ter­nel retour, l’é­ter­nelle res­tau­ra­tion du pre­mier bon­heur, du bon­heur ori­gi­nel. Cette idée élé­giaque du bon­heur, qu’on pour­rait éga­le­ment qua­li­fier d’é­léa­tique, est celle qui, pour Proust, trans­forme l’exis­tence en forêt enchan­tée du sou­ve­nir. C’est à elle qu’il a sacri­fié, non seule­ment amis et socié­té dans sa vie, mais aus­si intrigue, uni­té de la per­sonne, cours du récit, jeu de l’i­ma­gi­na­tion dans son oeuvre. Un de ses lec­teurs – et pas le pire, puis­qu’il s’a­git de Max Unold – a pris pré­texte du carac­tère « ennuyeux » de celle-ci pour la com­pa­rer à des « his­toires de contrô­leurs de tram­way » et a trou­vé cette for­mule : « [Proust] a réus­si à rendre inté­res­santes des his­toires de contrô­leurs de tram­way. Il dit : « Figurez-vous, cher lec­teur, qu’­hier, en trem­pant ma made­leine dans mon thé, je me suis sou­ve­nir que, pen­dant mon enfance, je vivais à la cam­pagne » – il raconte cela sur quatre-vingts pages et c’est si pas­sion­nant qu’on ne croit plus être l’au­di­teur, mais le rêveur éveillé lui-même. »

« L’image prous­tienne »
Œuvres
vol. 2
Folio
p. 139
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