Une manière d’utiliser des systèmes imposés constitue la résistance à la loi historique d’un état de fait et à ses légitimations dogmatiques. Une pratique de l’ordre bâti par d’autres en redistribue l’espace ; elle y crée au moins du jeu, pour des manœuvres entre forces inégales et pour des repères utopiques. Là se manifesterait l’opacité de la culture « populaire » – la roche noire qui s’oppose à l’assimilation. Ce qui s’y appelle « sagesse » (sabedoria) se définit comme un stratagème (trampolinagem, qu’un jeu de mots associe à l’acrobatie du saltimbanque et à son art de sauter sur le tremplin, trampolim) et comme « fourberie » (trapaçaria, ruse et tromperie dans la manière d’utiliser ou de piper les termes des contrats sociaux). Mille façon de jouer/déjouer le jeu de l’autre, c’est-à-dire l’espace institué par d’autres, caractérisent l’activité, subtile, tenace, résistante, de groupes qui, faute d’avoir un propre, doivent se débrouiller dans un réseau de forces et de représentations établies. Il faut « faire avec ». Dans ces stratagèmes de combattants, il y a un art des coups, un plaisir à tourner les règles d’un espace contraignant. Dextérité tactique et jubilatoire d’une technicité. Scapin et Figaro n’en sont que des échos littéraires. Comme celle de conducteur dans les rues de Rome ou de Naples, une maestria qui a ses connaisseurs et son esthétique s’exerce dans le labyrinthe des pouvoirs, recrée sans cesse de l’opacité et de l’ambiguïté – coins d’ombres et de ruses – dans l’univers de la transparence technocratique, s’y perd et s’y trouve sans avoir à prendre en charge la gestion d’une totalité. Même le champ du malheur est refaçonné par cette combinaison du manipuler et du jouir.
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Certeau, L’invention du quotidien
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t. 1 : « arts de faire »
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p. 35–36