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L’usage doit donc être ana­ly­sé pour lui-même. Les modèles ne manquent pas, sur­tout en ce qui concerne la langue, ter­rain pri­vi­lé­gié pour le repé­rage des for­ma­li­tés propres à ces pra­tiques. Giblert Ryle, repre­nant la dis­tinc­tion saus­su­rienne entre la « langue » et (un sys­tème) et la « parole » (un acte), com­pa­rait la pre­mière à un capi­tal et la seconde aux opé­ra­tions qu’il per­met : d’un côté, un stock ; de l’autre, de affaires et des usages. Dans le cas de la consom­ma­tion, on pour­rait presque dire que la pro­duc­tion four­nit le capi­tal et que les uti­li­sa­teurs, comme des loca­taires, acquièrent le droit de faire des opé­ra­tions sur ce fonds sans en être les pro­prié­taires. Mais la com­pa­rai­son vaut seule­ment pour le rap­port entre un savoir de la langue et des « actes de parole » (speech acts). À ce seul titre, on a déjà une série de ques­tions et de caté­go­ries qui ont per­mis, sur­tout depuis Bar-Hillel, d’ouvrir dans l’étude du lan­gage (semio­sis ou semio­tic) une sec­tion par­ti­cu­lière (dite prag­ma­tics) consa­crée à l’usage ou aux indexi­cal expres­sions, c’est-à-dire « aux mots et aux phrases dont la réfé­rence ne peut être déter­mi­née sans connaître le contexte de l’usage ».
L’énonciation sup­pose […] : 1, une effec­tua­tion du sys­tème lin­guis­tique par un dire qui en actue des pos­si­bi­li­tés (la langue n’est réelle que dans l’acte de par­ler) ; 2. une appro­pria­tion de la langue par le locu­teur qui la parle ; 3. l’implantation d’un inter­lo­cu­teur (réel ou fic­tif), et donc la consti­tu­tion d’un contrat rela­tion­nel ou d’une allo­cu­tion (on parle à quelqu’un) ; 4. l’instauration d’un pré­sent par l’acte du « je » qui parle, et conjoin­te­ment, puisque « le pré­sent est pro­pre­ment la source du temps », l’organisation d’une tem­po­ra­li­té (le pré­sent crée un avant et un après) et l’existence d’un « main­te­nant » qui est pré­sence au monde.
Ces élé­ments (réa­li­ser, s’approprier, s’inscrire dans des rela­tions, se situer dans le temps) font de l’énonciation, et secon­dai­re­ment de l’usage, un nœud de cir­cons­tances, une nodo­si­té indé­ta­chable du « contexte » dont abs­trai­te­ment on la dis­tingue. Indissociable de l’ins­tant pré­sent, de cir­cons­tances par­ti­cu­lières et d’un faire (pro­duire de la langue et modi­fier la dyna­mique d’une rela­tion), l’acte de dire est un usage de de la langue et une opé­ra­tion sur elle. On peut ten­ter d’en appli­quer le modèle sur beau­coup d’opérations non lin­guis­tiques, en pre­nant pour hypo­thèse que tous ces usages relèvent de la consom­ma­tion.

L’invention du quo­ti­dien
t. 1 « arts de faire »
Folio essai 1990
p. 55–56
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