Après le repas, mon amie, celle qui a suggéré le tattoo dans tes rêves, m’invite à son bureau où elle m’offre de te googler pour moi. Elle pourra voir si Internet révèle quel pronom tu préfères, comme je n’arrive pas à te le demander, et ce, malgré ou à cause du fait que nous passions chaque moment disponible au lit et que nous parlions déjà d’emménager ensemble. En attendant, je suis devenue une pro du contournement des pronoms. La clef, c’est d’entraîner son oreille à ne pas craindre d’entendre répéter encore et encore le prénom de l’autre. Il faut apprendre à s’abriter dans les culs-de-sac grammaticaux, à assumer une orgie de spécificité. Il faut apprendre à consentir à une instance au-delà du Deux, précisément au moment où on essaie de se représenter une vie de couple, nuptiale, même. Les noces, c’est le contraire d’un couple. Il n’y a plus de machines binaires : question-réponse, masculin-féminin, homme-animal, etc. Ça pourrait être ça, un entretien, simplement le tracé d’un devenir. (Gilles Deleuze & Claire Parnet)
Aussi expert qu’on puisse devenir de ce genre de conversation, à ce jour, c’est encore quasi impossible pour moi de réserver des billets d’avion ou de négocier avec le département des ressources humaines en notre nom sans éclats de honte ou de confusion. Ce n’est pas vraiment ma honte ou ma confusion, c’est plutôt comme si j’avais honte pour (ou tout simplement que j’étais énervée par) la personne en face de moi qui ne cesse de faire de mauvaises présomptions et qui doit être corrigée, mais qui ne peut pas l’être parce que les mots ne suffisent pas.
Comment les mots peuvent-ils ne pas suffire ?
Malade d’amour sur le plancher du bureau de mon amie, je lui jette un coup d’œil alors qu’elle fait défiler une avalanche d’informations en cristaux liquides que je ne veux pas voir. Je veux le toi que personne ne peut voir, le toi si proche que la troisième personne du singulier ne s’applique pas. « Regarde, une citation de John Waters qui dit “Elle est magnifique.” Alors peut-être que tu devrais utiliser “elle”. Je veux dire, c’est John Waters. » Ça fait des années. Toujours sur le plancher, je lève les yeux au ciel. Les choses peuvent avoir changé.
Pour ton buddy movie butch, By Hook or By Crook, toi et ta coscénariste, Silas Howard, avez décidé que les personnages butchs s’appelleraient « il » et « lui » entre eux, mais que dans le monde extérieur des épiceries et des figures d’autorité, les gens les appelleraient « elles ». Le propos n’était pas que tout deviendrait clair comme de l’eau de roche dans un monde extérieur éduqué correctement à utiliser les pronoms préférés des personnages. Si les gens à l’épicerie appelaient les personnages « ils », ce serait quand même une autre sorte de « il ». Les mots changent suivant qui les utilise ; on ne s’en sort pas. La solution n’est pas d’introduire simplement de nouveaux mots (boi, cisgenré, andro-fag) et puis d’entreprendre de réifier leur signification (même s’il y aurait clairement là de la puissance et du pragmatisme). Il faut également s’éveiller à la multitude des usages possibles, des contextes possibles, des ailes avec lesquels chaque mot s’envole. Comme quand tu murmures : T’es qu’un trou, tu me laisses te remplir. Comme quand je dis mari.
After lunch, my friend who suggested the HARD TO GET tattoo invites me to her office, where she offers to Google you on my behalf. She’s going to see if the Internet reveals a preferred pronoun for you, since despite or due to the fact that we’re spending every free moment in bed together and already talking about moving in, I can’t bring myself to ask. Instead I’ve become a quick study in pronoun avoidance. The key is training your ear not to mind hearing a person’s name over and over again. You must learn to take cover in grammatical cul-de-sacs, relax into an orgy of specificity. You must learn to tolerate an instance beyond the Two, precisely at the moment of attempting to represent a partnership—a nuptial, even. Nuptials are the opposite of a couple. There are no longer binary machines : question-answer, masculine-feminine, man-animal, etc. This could be what a conversation is—simply the outline of a becoming.
Expert as one may become at such a conversation, to this day it remains almost impossible for me to make an airline reservation or negotiate with my human resources department on our behalf without flashes of shame or befuddlement. It’s not really my shame or befuddlement—it’s more like I’m ashamed for (or simply pissed at) the person who keeps making all the wrong presumptions and has to be corrected, but who can’t be corrected because the words are not good enough.
How can the words not be good enough ?
Lovesick on the floor of my friend’s office, I squint up at her as she scrolls through an onslaught of bright information I don’t want to see. I want the you no one else can see, the you so close the third person never need apply. “Look, here’s a quote from John Waters, saying, ‘She’s very handsome.’ So maybe you should use ‘she.’ I mean, it’s John Waters.” That was years ago, I roll my eyes from the floor. Things might have changed.
When making your butch-buddy film, By Hook or By Crook, you and your cowriter, Silas Howard, decided that the butch characters would call each other “he” and “him,” but in the outer world of grocery stores and authority figures, people would call them “she” and “her.” The point wasn’t that if the outer world were schooled appropriately re : the characters’ preferred pronouns, everything would be right as rain. Because if the outsiders called the characters “he,” it would be a different kind of he. Words change depending on who speaks them ; there is no cure. The answer isn’t just to introduce new words (boi, cisgendered, andro-fag) and then set out to reify their meanings (though obviously there is power and pragmatism here). One must also become alert to the multitude of possible uses, possible contexts, the wings with which each word can fly. Like when you whisper, You’re just a hole, letting me fill you up. Like when I say husband.