17 07 24

Musil, L’homme sans qualités

À l’âge où l’on aime encore à se regar­der dans la glace et où l’on accorde encore de l’importance aux pro­blèmes du tailleur et du coif­feur, il arrive aus­si que l’on se décrive un lieu où l’on aime­rait pas­ser sa vie, ou du moins un lieu où il serait « chic » de séjour­ner quand bien même on pres­sen­ti­rait qu’on ne s’y plai­rait guère per­son­nel­le­ment.

Parmi ces idées fixes sociales est appa­rue, depuis long­temps déjà, une espèce de ville hyper-amé­ri­caine, où tout marche et s’arrête au chro­no­mètre. L’air et la terre ne sont plus qu’une immense four­mi­lière sillon­née d’artères en étages. Les trans­ports, de sur­face, aériens et sou­ter­rains, les dépla­ce­ments humains par pneu­ma­tique, les files d’automobiles foncent dans l’horizontale tan­dis que dans la ver­ti­cale des ascen­seurs ultra-rapides pompent les masses humaines d’un palier de cir­cu­la­tion à l’autre ; aux points de jonc­tion, l’on saute d’un trans­port dans l’autre ; leur rythme qui, entre deux vitesses ton­nantes, fait une pause, une syn­cope, un petit gouffre de vingt secondes, vous aspire et vous enlève sans que vous ayez le temps de réflé­chir, et dans les inter­valles de ce rythme géné­ral, on échange hâti­ve­ment quelques mots. Les ques­tions et les réponses s’emboîtent les unes dans les autres comme les pièces d’une machine, cha­cun n’a devant soi que des tâches bien défi­nies, les pro­fes­sions sont grou­pées par quar­tiers, on mange tout en se dépla­çant, les plai­sirs sont concen­trés dans d’autres sec­teurs, et ailleurs encore se dressent les tours où l’on retrouve son épouse, sa famille, son gra­mo­phone et son âme. La ten­sion et la détente, l’activité et l’amour ont tous leurs moments dis­tincts, cal­cu­lés sur la base de minu­tieuses expé­riences de labo­ra­toire. Si une dif­fi­cul­té se pré­sente dans l’une ou l’autre de ces acti­vi­tés, rien de plus simple : on l’abandonne ; ou bien on en trou­ve­ra une autre, ou bien, à l’occasion, on décou­vri­ra une meilleure issue ; et si on passe à côté, un autre sau­ra bien la voir ; dans tout cela, aucune perte, alors que rien n’écorne l’énergie com­mune autant que la pré­ten­tion d’avoir une mis­sion per­son­nelle et le refus de s’écarter de son but. Dans une com­mu­nau­té constam­ment irri­guée d’énergie, tous les che­mins mènent à un but esti­mable, pour­vu que l’on n’hésite ni ne réflé­chisse trop long­temps. Les buts sont à courte dis­tance ; mais la vie aus­si est courte ; on lui prend ain­si le maxi­mum de résul­tats, et il n’en faut pas plus à l’homme pour être heu­reux, car l’âme est for­mée par ce qu’elle atteint, alors que ce qu’elle pour­suit sans y atteindre la déforme ; pour le bon­heur, ce qui compte n’est pas ce que l’on veut ; mais d’atteindre ce que l’on veut. D’ailleurs, la zoo­lo­gie enseigne que la som­ma­tion d’individus dimi­nués peut par­fai­te­ment don­ner un total génial.

Il n’est pas du tout sûr que les choses doivent évo­luer ain­si, mais ces ima­gi­na­tions font par­tie des rêves de voyage dans les­quels se reflète l’impression de mou­ve­ment inces­sant qui nous entraîne. Ils sont super­fi­ciels, brefs et agi­tés. Dieu sait ce qui réel­le­ment se pro­dui­ra. On serait ten­té de croire que nous avons à chaque minute le com­men­ce­ment en main, et que nous devrions tirer des plans pour l’humanité. Si la chi­mère de la vitesse nous déplaît, créons-en une autre, par exemple très lente, un bon­heur mys­té­rieux comme le ser­pent de mer, flot­tant comme des voiles, et ce pro­fond regard de vache dont les Grecs déjà s’engouèrent ! Mais il n’en va nul­le­ment ain­si. C’est la chose qui nous a en main. Jour et nuit, on voyage en elle, et l’on en fait bien d’autres : on s’y rase, on y mange, on y aime, on y lit des livres, on y exerce sa pro­fes­sion comme si les quatre murs étaient immo­biles, mais l’inquiétant, c’est que les murs bougent sans qu’on s’en aper­çoive et qu’ils pro­jettent leurs rails en avant d’eux-mêmes comme de longs fils qui se recourbent en tâton­nant, sans qu’on sache jamais où ils vont. Et par-des­sus le mar­ché, on vou­drait encore, si pos­sible, être l’une des forces qui déter­minent le train du temps ! Voilà un rôle bien équi­voque, et il arrive que le pay­sage, si l’on regarde au-dehors après un inter­valle suf­fi­sant, ait chan­gé ; ce qui file devant nos yeux file parce qu’il n’en peut être autre­ment ; mais, si rési­gné que l’on soit, on ne peut faire qu’un sen­ti­ment désa­gréable ne prenne de plus en plus de force, comme si l’on avait dépas­sé le but ou que l’on se fût trom­pé de voie. Un beau jour, en tem­pête, un besoin vous enva­hit : des­cendre ! sau­ter du train ! Nostalgie d’être arrê­té, de ne pas se déve­lop­per, de res­ter immo­bile ou de reve­nir au point qui pré­cé­dait le mau­vais embran­che­ment ! Et dans le bon vieux temps, quand l’empire d’Autriche exis­tait encore, il n’y avait alors qu’à quit­ter le train du temps, à prendre place dans un train tout court, et à ren­trer dans sa patrie.

Là, en Cacanie, dans cet État depuis lors dis­pa­ru et res­té incom­pris qui fut sur tant de points, sans qu’on lui en rende jus­tice, exem­plaire, il y avait aus­si du « dyna­misme », mais point de trop. Chaque fois qu’on repen­sait à ce pays de l’étranger, venait flot­ter devant vos yeux le sou­ve­nir de ses routes larges, blanches, pros­pères, datant de l’époque de la marche à pied et des malles-postes, qui le sillon­naient en tous sens, fleuves d’ordre, clairs rubans de cou­til mili­taire, bras admi­nis­tra­tifs, cou­leur de papier tim­bré, étrei­gnant les pro­vinces… Et quelles pro­vinces ! Il y avait les gla­ciers et la mer, le Karst et les champs de blé bohêmes, les nuits au bord de l’Adriatique, gré­sillantes de l’activité des grillons, et les vil­lages slo­vaques où la fumée sor­tait des che­mi­nées comme d’un nez retrous­sé, où les mai­sons étaient tapies entre deux col­lines comme si la terre avait entrou­vert ses lèvres afin d’y réchauf­fer son enfant. Naturellement, il y avait aus­si des auto­mo­biles sur ces routes ; mais pas trop. Ici aus­si, l’on pré­pa­rait la conquête de l’air ; mais point trop inten­si­ve­ment. De loin en loin, point trop sou­vent, l’on envoyait un bateau en Amérique du Sud ou dans l’Extrême-Orient. On n’avait nulle ambi­tion éco­no­mique, nul rêve d’hégémonie ; on était ins­tal­lé au centre de l’Europe, au croi­se­ment des vieux axes du monde ; les mots de colo­nie et d’outre-mer ne ren­daient encore qu’un son loin­tain et comme trop neuf. On déployait quelque luxe ; mais en se gar­dant d’y mettre le raf­fi­ne­ment des Français. On pra­ti­quait les sports ; mais avec moins d’extravagance que les Anglo-Saxons. On dépen­sait pour l’armée des sommes consi­dé­rables ; juste assez cepen­dant pour être sûr de res­ter l’avant-dernière des Grandes puis­sances. La capi­tale elle-même était un rien plus petite que les plus grandes métro­poles du monde, et pour­tant consi­dé­ra­ble­ment plus grande que ne le sont de simples « grandes villes ». Et ce pays était admi­nis­tré d’une manière éclai­rée, à peine sen­sible, tous les angles pru­dem­ment arron­dis, par la meilleure bureau­cra­tie d’Europe, à qui l’on ne pou­vait repro­cher qu’une seule faute : qu’elle vît dans le génie et les ini­tia­tives géniales des par­ti­cu­liers, s’ils n’en avaient pas reçu le pri­vi­lège de par leur haute nais­sance ou quelque mis­sion offi­cielle, une atti­tude imper­ti­nente et une sorte d’usurpation. Mais y a‑t-il per­sonne qui aime voir des incom­pé­tents se mêler de ses affaires ? Et puis au moins, en Cacanie, on se bor­nait à tenir les génies pour des pal­to­quets : jamais on n’eût, comme ailleurs, tenu le pal­to­quet pour un génie.

Sur cette Cacanie main­te­nant englou­tie, que de choses curieuses seraient à dire ! Elle était, par exemple, kai­ser­lich-köni­glich (impé­riale-royale) et aus­si bien kai­ser­lich und köni­glich (impé­riale et royale) ; il n’était chose ni per­sonne qui ne fût affec­tée là-bas de l’un de ces deux sigles, k. k. ou k. u. k. ; il n’en fal­lait pas moins dis­po­ser d’une science secrète pour pou­voir déci­der à coup sûr quelles ins­ti­tu­tions et quels hommes pou­vaient être dits k. k., et quels autres k. u. k. Elle s’appelait, par écrit, Monarchie aus­tro-hon­groise, et se fai­sait appe­ler, ora­le­ment, l’Autriche : nom qu’elle avait offi­ciel­le­ment et solen­nel­le­ment abju­ré, mais conser­vait dans les affaires de cœur, comme pour prou­ver que les sen­ti­ments ont autant d’importance que le droit public, et que les pres­crip­tions n’ont rien à voir avec le véri­table sérieux de la vie. La Constitution était libé­rale, mais le régime clé­ri­cal. Le régime était clé­ri­cal, mais les habi­tants libres pen­seurs. Tous les bour­geois étaient égaux devant la loi, mais jus­te­ment, tous n’étaient pas bour­geois.

Le Parlement fai­sait de sa liber­té un usage si impé­tueux qu’on pré­fé­rait d’ordinaire le tenir fer­mé ; mais l’on avait aus­si une loi d’exception qui per­met­tait de se pas­ser du Parlement ; et chaque fois que l’État tout entier se pré­pa­rait à jouir des bien­faits de l’absolutisme, la Couronne décré­tait qu’on allait recom­men­cer à vivre sous le régime par­le­men­taire. Parmi nombre de sin­gu­la­ri­tés du même ordre, il faut citer aus­si les dis­sen­sions natio­nales qui atti­raient sur elles, à juste titre, l’attention de toute l’Europe, et que les his­to­riens d’aujourd’hui défi­gurent. Ces dis­sen­sions étaient si vio­lentes que la machine de l’État s’enrayait plu­sieurs fois par année à cause d’elles ; mais dans ces inter­valles et ces repos de l’État, cha­cun s’en tirait à mer­veille, et l’on fai­sait comme si de rien n’était. D’ailleurs, il n’y avait rien eu de réel. Il y avait sim­ple­ment que cette aver­sion de tout homme pour les efforts de son pro­chain dans laquelle nous com­mu­nions tous aujourd’hui, s’était fait jour très tôt dans cet État pour atteindre à une sorte de céré­mo­nial subli­mé qui eût pu avoir de grandes consé­quences si son évo­lu­tion n’avait pas été pré­ma­tu­ré­ment inter­rom­pue par une catas­trophe.

Ce n’était pas seule­ment, en effet, que l’aversion pour le conci­toyen se fût éle­vée là-bas au niveau d’un sen­ti­ment de com­mu­nau­té, mais encore que la méfiance envers soi-même, envers son propre des­tin, y avait pris le carac­tère d’une pro­fonde assu­rance. En ce pays (et par­fois jusqu’au plus haut point de pas­sion, et jusque dans ses extrêmes consé­quences), on agis­sait tou­jours autre­ment qu’on ne pen­sait, ou on pen­sait autre­ment qu’on n’agissait. Des obser­va­teurs mal infor­més ont pris cela pour du charme, ou même pour une fai­blesse de ce qu’ils croyaient être le carac­tère autri­chien. C’était faux ; il est tou­jours faux de vou­loir expli­quer les phé­no­mènes d’un pays à tra­vers le carac­tère de ses habi­tants. Car l’habitant d’un pays a tou­jours au moins neuf carac­tères : un carac­tère pro­fes­sion­nel, un carac­tère de classe, un carac­tère sexuel, un carac­tère natio­nal, un carac­tère poli­tique, un carac­tère géo­gra­phique, un carac­tère conscient, un incons­cient, et peut-être même encore, un carac­tère pri­vé ; il les réunit dans sa per­sonne, mais s’en trouve dis­so­cié, et n’est plus fina­le­ment qu’un petit val­lon creu­sé par cette mul­ti­tude de cours d’eau, val­lon dans lequel ils viennent s’écouler pour en res­sor­tir ensuite et rem­plir d’autres val­lons avec d’autres ruis­se­lets. C’est pour­quoi tout habi­tant de la terre pos­sède encore un dixième carac­tère, qui n’est rien d’autre que l’imagination pas­sive d’espaces non encore rem­plis ; ce carac­tère donne à l’homme toutes les liber­tés, sauf une : celle de prendre au sérieux ce que font ses autres carac­tères (neuf pour le moins), et ce qui leur arrive ; donc, en d’autres termes, la seule liber­té, pré­ci­sé­ment, qui pour­rait rem­plir cet espace. Cet espace, dont il faut avouer qu’il n’est pas facile à décrire, sera colo­ré et for­mé autre­ment en Italie qu’en Angleterre, parce que tout ce qui se détache sur son fond pos­sède une autre forme et une autre cou­leur ; et pour­tant, il reste le même, ici comme ailleurs, c’est-à-dire pré­ci­sé­ment un espace invi­sible et vide dans lequel la réa­li­té se dresse comme une petite ville de jeu de construc­tion aban­don­née par l’imagination.

Dans la mesure où le fait peut deve­nir visible à tous les yeux, voi­là ce qui s’était pas­sé en Cacanie, voi­là en quoi la Cacanie, sans que le monde le sût encore, s’affirmait l’État le plus avan­cé ; c’était un État qui ne sub­sis­tait plus que par la force de l’habitude, on y jouis­sait d’une liber­té pure­ment néga­tive, dans la conscience conti­nuelle des rai­sons insuf­fi­santes de sa propre exis­tence et bai­gné par la grande vision de ce qui ne s’est point pas­sé, ou point irré­vo­ca­ble­ment du moins, comme par l’haleine des Océans dont l’humanité est sor­tie.

Es ist pas­siert, disait-on là-bas, quand d’autres gens croyaient ailleurs que Dieu sait quoi avait eu lieu ; c’était un terme sin­gu­lier, qui n’apparaît nulle part ailleurs, ni en alle­mand ni dans une autre langue, et dans le souffle duquel les faits et les coups du sort deve­naient aus­si légers que des pen­sées, ou du duvet. Oui, mal­gré tout ce qui parle en sens contraire, la Cacanie était peut-être, après tout, un pays pour génies ; et sans doute fut-ce aus­si sa ruine.

In dem Alter, wo man noch alle Schneider- und Barbierangelegenheiten wich­tig nimmt und gerne in den Spiegel blickt, stellt man sich oft auch einen Ort vor, wo man sein Leben zubrin­gen möchte, oder wenig­stens einen Ort, wo es Stil hat, zu ver­wei­len, selbst wenn man fühlt, daß man für seine Person nicht gerade gern dort wäre. Eine solche soziale Zwangsvorstellung ist nun schon seit lan­gem eine Art übe­ra­me­ri­ka­nische Stadt, wo alles mit der Stoppuhr in der Hand eilt oder stil­l­steht. Luft und Erde bil­den einen Ameisenbau, von den Stockwerken der Verkehrsstraßen dur­ch­zo­gen. Luftzüge, Erdzüge, Untererdzüge, Rohrpostmenschensendungen, Kraftwagenketten rasen hori­zon­tal, Schnellaufzüge pum­pen ver­ti­kal Menschenmassen von einer Verkehrsebene in die andre ; man springt an den Knotenpunkten von einem Bewegungsapparat in den andern, wird von deren Rhythmus, der zwi­schen zwei los­don­nern­den Geschwindigkeiten eine Synkope, eine Pause, eine kleine Kluft von zwan­zig Sekunden macht, ohne Überlegung ange­saugt und hinein­ge­ris­sen, spricht has­tig in den Intervallen dieses all­ge­mei­nen Rhythmus mitei­nan­der ein paar Worte. Fragen und Antworten klin­ken inei­nan­der wie Maschinenglieder, jeder Mensch hat nur ganz bes­timmte Aufgaben, die Berufe sind an bes­timm­ten Orten in Gruppen zusam­men­ge­zo­gen, man ißt wäh­rend der Bewegung, die Vergnügungen sind in andern Stadtteilen zusam­men­ge­zo­gen, und wie­der anders­wo ste­hen die Türme, wo man Frau, Familie, Grammophon und Seele fin­det. Spannung und Abspannung, Tätigkeit und Liebe wer­den zeit­lich genau getrennt und nach gründ­li­cher Laboratoriumserfahrung aus­ge­wo­gen. Stößt man bei irgen­dei­ner die­ser Tätigkeiten auf Schwierigkeit, so läßt man die Sache ein­fach ste­hen ; denn man fin­det eine andre Sache oder gele­gent­lich einen bes­se­ren Weg, oder ein andrer fin­det den Weg, den man ver­fehlt hat ; das scha­det gar nichts, wäh­rend durch nichts so viel von der gemein­sa­men Kraft ver­schleu­dert wird wie durch die Anmaßung, daß man beru­fen sei, ein bes­timmtes persön­liches Ziel nicht locker zu las­sen. In einem von Kräften dur­ch­flos­se­nen Gemeinwesen führt jeder Weg an ein gutes Ziel, wenn man nicht zu lange zau­dert und über­legt. Die Ziele sind kurz ges­teckt ; aber auch das Leben ist kurz, man gewinnt ihm so ein Maximum des Erreichens ab, und mehr braucht der Mensch nicht zu sei­nem Glück, denn was man erreicht, formt die Seele, wäh­rend das, was man ohne Erfüllung will, sie nur ver­biegt ; für das Glück kommt es sehr wenig auf das an, was man will, son­dern nur darauf, daß man es erreicht. Außerdem lehrt die Zoologie, daß aus einer Summe von redu­zier­ten Individuen sehr wohl ein geniales Ganzes bes­te­hen kann.

Es ist gar nicht sicher, daß es so kom­men muß, aber solche Vorstellungen gehö­ren zu den Reiseträumen, in denen sich das Gefühl der rast­lo­sen Bewegung spie­gelt, die uns mit sich führt. Sie sind ober­flä­chlich, unru­hig und kurz. Weiß Gott, was wirk­lich wer­den wird. Man sollte mei­nen, daß wir in jeder Minute den Anfang in der Hand haben und einen Plan für uns alle machen müß­ten. Wenn uns die Sache mit den Geschwindigkeiten nicht gefällt, so machen wir doch eine andre ! Zum Beispiel eine ganz lang­same, mit einem schleie­rig wal­len­den, meer­sch­ne­cken­haft geheim­nis­vol­len Glück und dem tie­fen Kuhblick, von dem schon die Griechen ges­chwärmt haben. Aber so ist es ganz und gar nicht. Die Sache hat uns in der Hand. Man fährt Tag und Nacht in ihr und tut auch noch alles andre darin ; man rasiert sich, man ißt, man liebt, man liest Bücher, man übt sei­nen Beruf aus, als ob die vier Wände stil­l­stün­den, und das Unheimliche ist bloß, daß die Wände fah­ren, ohne daß man es merkt, und ihre Schienen voraus­wer­fen, wie lange, tas­tend gekrümmte Fäden, ohne daß man weiß wohin. Und über­dies will man ja womö­glich selbst noch zu den Kräften gehö­ren, die den Zug der Zeit bes­tim­men. Das ist eine sehr unk­lare Rolle, und es kommt vor, wenn man nach län­ge­rer Pause hinaus­sieht, daß sich die Landschaft geän­dert hat ; was da vor­bei­fliegt, fliegt vor­bei, weil es nicht anders sein kann, aber bei aller Ergebenheit gewinnt ein unan­ge­nehmes Gefühl immer mehr Gewalt, als ob man über das Ziel hinaus­ge­fah­ren oder auf eine falsche Strecke gera­ten wäre. Und eines Tages ist das stür­mische Bedürfnis da : Aussteigen ! Abspringen ! Ein Heimweh nach Aufgehaltenwerden, Nichtsichentwickeln, Steckenbleiben, Zurückkehren zu einem Punkt, der vor der fal­schen Abzweigung liegt ! Und in der guten alten Zeit, als es das Kaisertum Österreich noch gab, konnte man in einem sol­chen Falle den Zug der Zeit ver­las­sen, sich in einen gewöhn­li­chen Zug einer gewöhn­li­chen Eisenbahn set­zen und in die Heimat zurück­fah­ren.

Dort, in Kakanien, die­sem sei­ther unter­ge­gan­ge­nen, unvers­tan­de­nen Staat, der in so vie­lem ohne Anerkennung vor­bild­lich gewe­sen ist, gab es auch Tempo, aber nicht zuviel Tempo. So oft man in der Fremde an dieses Land dachte, schwebte vor den Augen die Erinnerung an die weißen, brei­ten, wohl­ha­ben­den Straßen aus der Zeit der Fußmärsche und Extraposten, die es nach allen Richtungen wie Flüsse der Ordnung, wie Bänder aus hei­lem Soldatenzwillich dur­ch­zo­gen und die Länder mit dem papier­weißen Arm der Verwaltung umschlan­gen. Und was für Länder ! Gletscher und Meer, Karst und böh­mische Kornfelder gab es dort, Nächte an der Adria, zir­pend von Grillenunruhe, und slo­wa­kische Dörfer, wo der Rauch aus den Kaminen wie aus auf­gestülp­ten Nasenlöchern stieg und das Dorf zwi­schen zwei klei­nen Hügeln kauerte, als hätte die Erde ein wenig die Lippen geöff­net, um ihr Kind daz­wi­schen zu wär­men. Natürlich roll­ten auf die­sen Straßen auch Automobile ; aber nicht zuviel Automobile ! Man berei­tete die Eroberung der Luft vor, auch hier ; aber nicht zu inten­siv. Man ließ hie und da ein Schiff nach Südamerika oder Ostasien fah­ren ; aber nicht zu oft. Man hatte kei­nen Weltwirtschafts- und Weltmachtehrgeiz ; man saß im Mittelpunkt Europas, wo die alten Weltachsen sich schnei­den ; die Worte Kolonie und Übersee hörte man an wie etwas noch gänz­lich Unerprobtes und Fernes. Man ent­fal­tete Luxus ; aber bei­leibe nicht so über­fei­nert wie die Franzosen. Man trieb Sport ; aber nicht so när­risch wie die Angelsachsen. Man gab Unsummen für das Heer aus ; aber doch nur gerade so viel, daß man sicher die zweit­schwächste der Großmächte blieb. Auch die Hauptstadt war um einiges klei­ner als alle andern größ­ten Städte der Welt, aber doch um ein Erkleckliches größer, als es bloß Großstädte sind. Und ver­wal­tet wurde dieses Land in einer auf­geklär­ten, wenig fühl­ba­ren, alle Spitzen vor­sich­tig bes­ch­nei­den­den Weise von der bes­ten Bürokratie Europas, der man nur einen Fehler nach­sa­gen konnte : sie emp­fand Genie und geniale Unternehmungssucht an Privatpersonen, die nicht durch hohe Geburt oder einen Staatsauftrag dazu pri­vi­le­giert waren, als vor­lautes Benehmen und Anmaßung. Aber wer ließe sich gerne von Unbefugten drein­re­den ! Und in Kakanien wurde über­dies immer nur ein Genie für einen Lümmel gehal­ten, aber nie­mals, wie es anders­wo vor­kam, schon der Lümmel für ein Genie.

Überhaupt, wie vieles Merkwürdige ließe sich über dieses ver­sun­kene Kakanien sagen ! Es war zum Beispiel kai­ser­lich-köni­glich und war kai­ser­lich und köni­glich ; eines der bei­den Zeichen k.k. oder k.u.k. trug dort jede Sache und Person, aber es bedurfte trotz­dem einer Geheimwissenschaft, um immer sicher unter­schei­den zu kön­nen, welche Einrichtungen und Menschen k.k. und welche k.u.k. zu rufen waren. Es nannte sich schrift­lich Österreichisch-Ungarische Monarchie und ließ sich münd­lich Österreich rufen ; mit einem Namen also, den es mit feier­li­chem Staatsschwur abge­legt hatte, aber in allen Gefühlsangelegenheiten bei­be­hielt, zum Zeichen, daß Gefühle eben­so wich­tig sind wie Staatsrecht und Vorschriften nicht den wirk­li­chen Lebensernst bedeu­ten. Es war nach sei­ner Verfassung libe­ral, aber es wurde kle­ri­kal regiert. Es wurde kle­ri­kal regiert, aber man lebte frei­sin­nig. Vor dem Gesetz waren alle Bürger gleich, aber nicht alle waren eben Bürger. Man hatte ein Parlament, welches so gewal­ti­gen Gebrauch von sei­ner Freiheit machte, daß man es gewöhn­lich ges­chlos­sen hielt ; aber man hatte auch einen Notstandsparagraphen, mit des­sen Hilfe man ohne das Parlament aus­kam, und jedes­mal, wenn alles sich schon über den Absolutismus freute, ord­nete die Krone an, daß nun doch wie­der par­la­men­ta­risch regiert wer­den müsse. Solcher Geschehnisse gab es viele in die­sem Staat, und zu ihnen gehör­ten auch jene natio­na­len Kämpfe, die mit Recht die Neugierde Europas auf sich zogen und heute ganz falsch dar­ges­tellt wer­den. Sie waren so hef­tig, daß ihret­we­gen die Staatsmaschine mehr­mals im Jahr stockte und stil­l­stand, aber in den Zwischenzeiten und Staatspausen kam man aus­ge­zeich­net mitei­nan­der aus und tat, als ob nichts gewe­sen wäre. Und es war auch nichts Wirkliches gewe­sen. Es hatte sich bloß die Abneigung jedes Menschen gegen die Bestrebungen jedes andern Menschen, in der wir heute alle einig sind, in die­sem Staat schon früh, und man kann sagen, zu einem subli­mier­ten Zeremoniell aus­ge­bil­det, das noch große Folgen hätte haben kön­nen, wenn seine Entwicklung nicht durch eine Katastrophe vor der Zeit unter­bro­chen wor­den wäre.

Denn nicht nur die Abneigung gegen den Mitbürger war dort bis zum Gemeinschaftsgefühl ges­tei­gert, son­dern es nahm auch das Mißtrauen gegen die eigene Person und deren Schicksal den Charakter tie­fer Selbstgewißheit an. Man han­delte in die­sem Land – und mitun­ter bis zu den höchs­ten Graden der Leidenschaft und ihren Folgen immer anders, als man dachte, oder dachte anders, als man han­delte. Unkundige Beobachter haben das für Liebenswürdigkeit oder gar für Schwäche des ihrer Meinung nach öster­rei­chi­schen Charakters gehal­ten. Aber das war falsch ; und es ist immer falsch, die Erscheinungen in einem Land ein­fach mit dem Charakter sei­ner Bewohner zu erklä­ren. Denn ein Landesbewohner hat min­des­tens neun Charaktere, einen Berufs‑, einen National‑, einen Staats‑, einen Klassen‑, einen geo­gra­phi­schen, einen Geschlechts‑, einen bewuß­ten, einen unbe­wuß­ten und viel­leicht auch noch einen pri­va­ten Charakter ; er verei­nigt sie in sich, aber sie lösen ihn auf, und er ist eigent­lich nichts als eine kleine, von die­sen vie­len Rinnsalen aus­ge­wa­schene Mulde, in die sie hinein­si­ckern und aus der sie wie­der aus­tre­ten, um mit andern Bächlein eine andre Mulde zu fül­len. Deshalb hat jeder Erdbewohner auch noch einen zehn­ten Charakter, und die­ser ist nichts als die pas­sive Phantasie unaus­gefüll­ter Räume ; er ges­tat­tet dem Menschen alles, nur nicht das eine : das ernst zu neh­men, was seine min­des­tens neun andern Charaktere tun und was mit ihnen ges­chieht ; also mit andern Worten, gerade das nicht, was ihn ausfül­len sollte. Dieser, wie man zuge­ben muß, schwer zu bes­chrei­bende Raum ist in Italien anders gefärbt und geformt als in England, weil das, was sich von ihm abhebt, andre Farbe und Form hat, und ist doch da und dort der gleiche, eben ein lee­rer, unsicht­ba­rer Raum, in dem die Wirklichkeit darins­teht wie eine von der Phantasie ver­las­sene kleine Steinbaukastenstadt.

Soweit das nun übe­rhaupt allen Augen sicht­bar wer­den kann, war es in Kakanien ges­che­hen, und darin war Kakanien, ohne daß die Welt es schon wußte, der fort­ges­chrit­tenste Staat ; es war der Staat, der sich selbst irgend­wie nur noch mit­machte, man war nega­tiv frei darin, stän­dig im Gefühl der unzu­rei­chen­den Gründe der eige­nen Existenz und von der großen Phantasie des Nichtgeschehenen oder doch nicht unwi­der­ru­flich Geschehenen wie von dem Hauch der Ozeane umspült, denen die Menschheit ents­tieg.

Es ist pas­siert, sagte man dort, wenn andre Leute anders­wo glaub­ten, es sei wun­der was ges­che­hen ; das war ein eige­nar­tiges, nir­gend­wo sonst im Deutschen oder einer andern Sprache vor­kom­mendes Wort, in des­sen Hauch Tatsachen und Schicksalsschläge so leicht wur­den wie Flaumfedern und Gedanken. Ja, es war, trotz vie­lem, was dage­gen spricht, Kakanien viel­leicht doch ein Land für Genies ; und wahr­schein­lich ist es daran auch zugrunde gegan­gen.

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t. 1
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chap. 8  : « La Cacanie »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 38–43