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Musil, L’homme sans qualités

[Ulrich] n’était pas phi­lo­sophe. Les phi­lo­sophes sont des vio­lents qui, faute d’armée à leur dis­po­si­tion, se sou­mettent le monde en l’enfermant dans un sys­tème. Probablement est-ce aus­si la rai­son pour laquelle les époques de tyran­nie ont vu naître de grandes figures phi­lo­so­phiques, alors que les époques de démo­cra­tie et de civi­li­sa­tion avan­cée ne réus­sissent pas à pro­duire une seule phi­lo­so­phie convain­cante, du moins dans la mesure où l’on en peut juger par les regrets que l’on entend com­mu­né­ment expri­mer sur ce point. C’est pour­quoi la phi­lo­so­phie au détail est pra­ti­quée aujourd’hui en si ter­ri­fiante abon­dance qu’il n’est plus guère que les maga­sins où l’on puisse rece­voir quelque chose sans concep­tion du monde par-des­sus le mar­ché, alors qu’il règne à l’égard de la phi­lo­so­phie en gros une méfiance mar­quée. On la tient même car­ré­ment pour impos­sible. Ulrich lui-même n’était nul­le­ment exempt de ce pré­ju­gé, et ses expé­riences scien­ti­fiques le ren­daient un peu moqueur à l’égard des méta­phy­siques. C’était cela qui com­man­dait son atti­tude, de sorte que, per­pé­tuel­le­ment requis de réflé­chir par ce qu’il voyait, il était tou­jours rete­nu par une cer­taine crainte de pen­ser trop. Mais un autre élé­ment déter­mi­nait son atti­tude : il y avait quelque chose, dans la nature d’Ulrich, qui agis­sait d’une manière dis­traite, para­ly­sante, désar­mante, contre la sys­té­ma­ti­sa­tion logique, contre la volon­té uni­voque, contre les pous­sées trop net­te­ment orien­tées de l’ambition, et ce quelque chose se rat­ta­chait aus­si à ce mot d’essayisme choi­si naguère, bien que cela contînt pré­ci­sé­ment les élé­ments qu’il avait exclus peu à peu, avec un soin incons­cient, de cette notion. La tra­duc­tion du mot fran­çais « essai » par le mot alle­mand Versuch, telle qu’on l’admet géné­ra­le­ment, ne res­pecte pas suf­fi­sam­ment l’allusion essen­tielle au modèle lit­té­raire ; un essai n’est pas l’expression pro­vi­soire ou acces­soire d’une convic­tion qu’une meilleure occa­sion per­met­trait d’élever au rang de véri­té, mais qui pour­rait tout aus­si bien se révé­ler erreur (à cette espèce n’appartiennent que les articles et trai­tés dont les doctes nous favo­risent comme des « déchets de leur ate­lier ») ; un essai est la forme unique et inal­té­rable qu’une pen­sée déci­sive fait prendre à la vie inté­rieure d’un homme. Rien n’est plus étran­ger à l’essai que l’irresponsabilité et l’inachèvement des ins­pi­ra­tions qui relèvent de la sub­jec­ti­vi­té ; pour­tant les notions de « véri­té » et d’« erreur », d’« intel­li­gence » ou de « sot­tise » ne sont pas appli­cables à ces pen­sées sou­mises à des lois non moins strictes qu’apparemment sub­tiles et inef­fables. Assez nom­breux furent ces essayistes-là, ces maîtres du flot­te­ment inté­rieur de la vie ; il n’y aurait aucun inté­rêt à les nom­mer ; leur domaine se situe entre la reli­gion et le savoir, entre l’exemple et la doc­trine, entre l’amor intel­lec­tua­lis et le poème ; ce sont des saints avec ou sans reli­gion et par­fois aus­si, sim­ple­ment, des hommes éga­rés dans telle ou telle aven­ture.

D’ailleurs, rien n’est plus révé­la­teur que l’expérience invo­lon­taire de ces ten­ta­tives, éru­dites et rai­son­nables, pour expli­quer l’œuvre de ces grands essayistes, pour trans­for­mer leur sens de la vie, tel qu’ils l’exposent, en une théo­rie de la vie, et pour trou­ver un « conte­nu » à ce mou­ve­ment d’esprits émus ; de tout cela, il ne reste guère plus alors que la déli­cate archi­tec­ture de cou­leurs d’une méduse après qu’on l’a tirée de l’eau et dépo­sée sur le sable. Dans la rai­son des non-ins­pi­rés, la doc­trine des ins­pi­rés tombe en pous­sière, contra­dic­tions et non-sens ; pour­tant, il ne faut pas dire qu’elle est déli­cate et inca­pable de vivre, ou alors il fau­drait dire aus­si d’un élé­phant qu’il est déli­cat, puisqu’il ne peut sub­sis­ter dans un espace pri­vé d’air et qui ne répond pas aux exi­gences de sa nature. Il serait tout à fait déplo­rable que ces des­crip­tions évoquent un mys­tère, ou ne fût-ce qu’une musique où dominent les notes de la harpe et le sou­pir des glis­san­di. C’est le contraire qui est vrai, et la ques­tion fon­da­men­tale, Ulrich ne se la posait pas seule­ment sous la forme de pres­sen­ti­ments, mais aus­si, tout à fait pro­saï­que­ment, sous la forme sui­vante : un homme qui cherche la véri­té se fait savant ; un homme qui veut lais­ser sa sub­jec­ti­vi­té s’épanouir devient, peut-être, écri­vain ; mais que doit faire un homme qui cherche quelque chose situé entre deux ?

De ce qui est ain­si « entre deux », toute sen­tence morale nous peut don­ner un exemple, même la plus simple et la plus connue, comme : Tu ne tue­ras point. On voit au pre­mier coup d’œil que ce n’est là ni une véri­té, ni une consta­ta­tion sub­jec­tive. On sait qu’à bien des égards, nous nous y confor­mons stric­te­ment, mais que, à d’autres égards, cer­taines excep­tions sont admises, très nom­breuses même, et pour­tant pré­ci­sé­ment défi­nies. Mais il existe un très grand nombre de cas d’une troi­sième espèce, par exemple dans nos rêve­ries, nos dési­rs, dans les pièces de théâtre ou dans le plai­sir que l’on prend à lire les nou­velles des jour­naux ; nous y errons de la manière la moins régle­men­tée qui soit entre la répul­sion et l’attirance. On nomme par­fois exi­gence ce qui n’est ni une véri­té ni une consta­ta­tion pure­ment sub­jec­tive. On a rat­ta­ché cette exi­gence aux dogmes de la reli­gion et de la loi, on lui a don­né le carac­tère d’une véri­té déri­vée, mais les roman­ciers, en nous en pré­sen­tant les excep­tions, depuis le sacri­fice d’Abraham jusqu’à la der­nière vamp meur­trière de son amant, la réduisent de nou­veau en pure sub­jec­ti­vi­té. Ainsi donc, ou bien on s’accroche aux pieux, ou bien on se laisse bal­lot­ter par la lame entre deux ; mais dans quel sen­ti­ment ? Le sen­ti­ment qu’éprouve l’être humain pour ce pré­cepte du Décalogue est un mélange d’obéissance bor­née (y com­pris la « saine nature » qui se hérisse à la seule idée d’un tel acte, mais qui le com­met­tra néan­moins pour peu qu’elle ait été légè­re­ment détra­quée par l’alcool ou la pas­sion), et un bar­bo­te­ment incons­cient dans une houle de pos­sibles. N’y a‑t‑il vrai­ment pas d’autre manière de com­prendre ce com­man­de­ment ? Ulrich sen­tait qu’un homme qui dési­re­rait de toute son âme un cer­tain acte, ne sau­rait ain­si ni s’il doit le com­mettre, ni s’il doit s’en abs­te­nir. Pourtant, il pres­sen­tait qu’on devait pou­voir, de tout son être, le com­mettre ou non. Ni les ins­pi­ra­tions ni les inter­dic­tions ne lui plai­saient. Le rat­ta­che­ment de toutes choses à une loi supé­rieure ou inté­rieure à l’homme éveillait son esprit cri­tique. Davantage même : à ses yeux, c’était déva­luer un ins­tant de cer­ti­tude que de vou­loir à tout prix lui don­ner une généa­lo­gie. Dans tout cela, son cœur res­tait muet, et sa tête seule par­lait ; il devi­nait qu’il devait y avoir un moyen de faire coïn­ci­der sa déci­sion et son bon­heur. Il pour­rait être heu­reux parce qu’il ne tue­rait pas, ou parce qu’il tue­rait, mais jamais il ne pour­rait être l’exécuteur indif­fé­rent d’un ordre qu’on lui aurait don­né. Ce qu’il éprou­vait à ce moment-là, ce n’était pas de rece­voir un ordre, mais d’entrer dans un ordre ; il com­pre­nait que dans cet ordre neuf, tout était déjà déci­dé, et les sens apai­sés comme par le lait mater­nel. Ce qui lui souf­flait cela, ce n’était plus la pen­sée, ce n’était pas non plus le sen­ti­ment à sa manière habi­tuelle, frag­men­taire ; c’était une « com­pré­hen­sion totale ». Et puis, de nou­veau, ce n’était plus qu’une nou­velle appor­tée de très loin par le vent : elle ne lui sem­blait ni vraie ni fausse, ni rai­son­nable ni dérai­son­nable, elle le sai­sis­sait, comme si quelque légère et bien­heu­reuse exa­gé­ra­tion était entrée dou­ce­ment dans son cœur.

Pas plus qu’on ne peut faire des par­ties authen­tiques d’un essai une seule véri­té, on ne peut tirer d’un tel état une convic­tion ; du moins pas sans devoir aus­si­tôt l’abandonner, comme un amant doit sor­tir de son amour pour le décrire. L’émotion sans limites qui ébran­lait par­fois Ulrich sans le faire agir pour autant, contre­di­sait son besoin d’activité, son désir de limite et de forme. Sans doute est-il juste et natu­rel que l’on veuille savoir avant de lais­ser la parole au sen­ti­ment. Sans le vou­loir, il s’imaginait que ce qu’il dési­rait trou­ver un jour, bien que ce ne dût pas être « la » véri­té, ne lui céde­rait rien sous le rap­port de la sta­bi­li­té ; mais dans son cas par­ti­cu­lier, cette attente le fai­sait res­sem­bler à un homme qui, dans le temps même où il se pro­cure tout un équi­pe­ment, perd peu à peu le goût de s’en ser­vir. À quelque moment qu’on lui eût deman­dé, lorsqu’il tra­vaillait à ses trai­tés mathé­ma­tiques ou logi­co-mathé­ma­tiques ou s’occupait de sciences natu­relles, quel but il avait pré­sent à l’esprit, il eût tou­jours répon­du qu’un seul pro­blème méri­tait réel­le­ment qu’on y pen­sât, celui de la vie juste. Mais quand on élève une pré­ten­tion très long­temps sans que rien ne se passe, le cer­veau s’endort exac­te­ment comme s’endort le bras qui doit tenir quelque chose en l’air pen­dant des heures ; et nos pen­sées ne peuvent pas plus res­ter per­pé­tuel­le­ment debout que les sol­dats à la parade, en été ; quand elles doivent trop attendre, elles perdent connais­sance et s’écroulent. Comme Ulrich avait ache­vé l’esquisse de sa phi­lo­so­phie aux envi­rons de sa vingt-sixième année, arri­vé dans sa trente-deuxième, il ne la trou­vait plus tout à fait sin­cère. Il n’avait pas conti­nué à déve­lop­per ses pen­sées, et, à part un vague sen­ti­ment de ten­sion pareil à celui que l’on éprouve quand on attend quelque chose les yeux fer­més, on ne lui avait pas vu beau­coup d’émotions per­son­nelles depuis les jours des pre­mières trem­blantes décou­vertes. Néanmoins, c’était pro­ba­ble­ment un mou­ve­ment sou­ter­rain de ce genre qui le frei­nait dans son tra­vail scien­ti­fique et l’empêchait d’y consa­crer toute sa force de volon­té. Cela créa en lui un curieux schisme. On ne doit pas oublier que l’attitude exacte est, au fond, plus reli­gieuse que l’attitude esthé­tique ; car elle se sou­met­trait à « Lui » pour peu qu’Il dai­gnât se mon­trer à elle dans les condi­tions qu’elle exige pour recon­naître Son carac­tère de fait, alors que nos beaux esprits, s’il se mani­fes­tait, trou­ve­raient seule­ment que Son talent n’est pas suf­fi­sam­ment ori­gi­nal, Sa vision du monde pas suf­fi­sam­ment intel­li­gible pour qu’ils puissent Le pla­cer au même niveau que cer­taines per­son­na­li­tés douées d’un génie réel­le­ment divin. Ulrich n’aurait donc pu s’abandonner à de vagues pres­sen­ti­ments aus­si faci­le­ment qu’un quel­conque bel esprit ; mais il ne pou­vait pas davan­tage se dis­si­mu­ler qu’en vivant pen­dant des années dans l’exactitude pure il avait sim­ple­ment vécu contre lui-même et il sou­hai­tait que quelque chose d’imprévu lui arri­vât ; lorsqu’il se déci­da à ce qu’il appe­lait un peu railleu­se­ment son « congé de la vie », il ne pos­sé­dait rien dans l’une comme dans l’autre direc­tion qui lui don­nât la paix du cœur.

Peut-être pour­rait-on allé­guer à sa décharge que, dans cer­taines années, la vie passe incroya­ble­ment vite. Mais le jour où l’on doit com­men­cer à vivre sa der­nière volon­té pré­cède de beau­coup celui où l’on devra en léguer le res­tant, et ne peut être dif­fé­ré. Ce fait était deve­nu pour Ulrich d’une mena­çante clar­té depuis qu’une moi­tié d’année ou presque s’était écou­lée sans que rien chan­geât. Tandis qu’il se lais­sait por­ter de-ci de-là au sein de la petite acti­vi­té stu­pide dont il s’était char­gé, par­lant, aimant à trop par­ler, vivant avec l’obstination déses­pé­rée d’un pêcheur qui plonge ses filets dans un fleuve vide, tan­dis qu’il ne fai­sait rien qui cor­res­pon­dît à la per­sonne que mal­gré tout il repré­sen­tait, et qu’intentionnellement il ne fai­sait rien, il atten­dait. Il atten­dait der­rière sa per­sonne, dans la mesure où ce terme défi­nit la par­tie de l’homme qui se laisse for­mer par le monde exté­rieur et le cours de la vie, et son tran­quille déses­poir, endi­gué der­rière, mon­tait chaque jour un peu plus haut. Il tra­ver­sait la pire cala­mi­té de sa vie et se mépri­sait pour ses omis­sions. Les grandes épreuves sont-elles le pri­vi­lège des grandes natures ? Il eût aimé le croire, mais ce n’est pas exact, car les ner­veux les plus com­muns ont aus­si leurs crises. Dans ce pro­fond ébran­le­ment, il ne lui res­tait donc plus rien que ce noyau inébran­lable que pos­sèdent tous les héros et tous les cri­mi­nels : ce n’est pas du cou­rage, ce n’est pas de la volon­té, ce n’est pas de l’assurance, ce n’est que le pou­voir tenace de s’accrocher à soi-même, pou­voir qu’il est aus­si dif­fi­cile d’extirper de soi que la vie du corps d’un chat, même quand il est déjà com­plè­te­ment déchi­que­té par les chiens.

Si l’on veut se repré­sen­ter com­ment vit un tel homme lorsqu’il se retrouve seul, tout ce qu’on peut racon­ter est que les vitres illu­mi­nées de ses fenêtres, la nuit, semblent obser­ver sa chambre, et les pen­sées, après usage, se tiennent assises en rond tout autour de la pièce comme les clients dans la salle d’attente d’un avo­cat dont ils ne sont pas satis­faits. Ou peut-être qu’Ulrich, une de ces nuits-là, ouvrit les fenêtres et regar­da les troncs d’arbre, glabres comme des ser­pents, leurs sinuo­si­tés étran­ge­ment noires et polies entre la couche de neige de leurs cimes et celle du sol, et res­sen­tit brus­que­ment le désir de des­cendre, tel qu’il était, en pyja­ma dans le jar­din ; il vou­lait sen­tir le froid dans ses che­veux. Lorsqu’il fut en bas, il étei­gnit la lumière pour ne pas se trou­ver devant la porte éclai­rée ; son bureau seul fai­sait avan­cer dans l’ombre une toi­ture de lumière. Une allée menait à la grille du por­tail qui don­nait sur la rue, une autre la croi­sait, obs­cu­ré­ment visible. Ulrich s’avança lon­gue­ment sur celle-ci. Alors, l’obscurité qui s’élevait entre les cou­ronnes des arbres lui rap­pe­la sou­dain, fan­tas­ti­que­ment, la sil­houette gigan­tesque de Moosbrugger, et les arbres nus lui appa­rurent curieu­se­ment cor­po­rels ; répu­gnants, mouillés comme des vers, et pour­tant tels qu’on eût vou­lu les étreindre et s’affaisser à leur pied, le visage bai­gné de larmes. Mais il ne le fit pas. La sen­ti­men­ta­li­té de son émo­tion le repous­sa dans le même temps qu’elle l’atteignait. À tra­vers l’écume lai­teuse du brouillard pas­saient à cet ins­tant devant la grille du jar­din des pié­tons attar­dés, et ils l’auraient sans doute pris pour un fou s’ils avaient vu com­ment sa sil­houette, dans son pyja­ma rouge entre les troncs noirs, main­te­nant se déta­chait des arbres. Il reprit l’allée d’un pas ferme et rega­gna sa mai­son, rela­ti­ve­ment satis­fait : car si quelque chose était pour lui en réserve, ce devait être assu­ré­ment d’un tout autre ordre.

Er war kein Philosoph. Philosophen sind Gewalttäter, die keine Armee zur Verfügung haben und sich deshalb die Welt in der Weise unter­wer­fen, daß sie sie in ein System sper­ren. Wahrscheinlich ist das auch der Grund dafür, daß es in den Zeiten der Tyrannis große phi­lo­so­phische Naturen gege­ben hat, wäh­rend es in den Zeiten der fort­ges­chrit­te­nen Zivilisation und Demokratie nicht gelingt, eine über­zeu­gende Philosophie her­vor­zu­brin­gen, wenig­stens soweit sich das nach dem Bedauern beur­tei­len läßt, das man all­ge­mein darü­ber äußern hört. Darum wird heute in kur­zen Stücken erschre­ckend viel phi­lo­so­phiert, so daß es gerade nur noch die Kaufläden gibt, wo man ohne Weltanschauung etwas bekommt, wäh­rend gegen große Stücke Philosophie ein aus­ges­pro­chenes Mißtrauen herr­scht. Man hält sie ein­fach für unmö­glich, und auch Ulrich war kei­nes­wegs frei davon, ja er dachte nach sei­nen wis­sen­schaft­li­chen Erfahrungen etwas spöt­tisch über sie. Das gab die Richtung für sein Verhalten, so daß er immer wie­der von dem, was er sah, zum Nachdenken auf­ge­for­dert wurde und doch mit einer gewis­sen Scheu vor zuviel Denken behaf­tet war. Aber was sein Verhalten schließ­lich ent­schied, war noch etwas anderes. Es gab etwas in Ulrichs Wesen, das in einer zers­treu­ten, läh­men­den, ent­waff­nen­den Weise gegen das logische Ordnen, gegen den ein­deu­ti­gen Willen, gegen die bes­timmt gerich­te­ten Antriebe des Ehrgeizes wirkte, und auch das hing mit dem sei­ner­zeit von ihm gewähl­ten Namen Essayismus zusam­men, wenn es auch gerade die Bestandteile enthielt, die er mit der Zeit und mit unbe­wuß­ter Sorgfalt aus die­sem Begriff aus­ges­chal­tet hatte. Die Übersetzung des Wortes Essay als Versuch, wie sie gege­ben wor­den ist, enthält nur unge­nau die wesent­lichste Anspielung auf das lite­ra­rische Vorbild ; denn ein Essay ist nicht der vor- oder nebenläu­fige Ausdruck einer Überzeugung, die bei bes­se­rer Gelegenheit zur Wahrheit erho­ben, eben­so­gut aber auch als Irrtum erkannt wer­den könnte (von sol­cher Art sind bloß die Aufsätze und Abhandlungen, die gelehrte Personen als »Abfälle ihrer Werkstätte« zum bes­ten geben); son­dern ein Essay ist die ein­ma­lige und unabän­der­liche Gestalt, die das innere Leben eines Menschen in einem ent­schei­den­den Gedanken annimmt. Nichts ist dem frem­der als die Unverantwortlichkeit und Halbfertigkeit der Einfälle, die man Subjektivität nennt, aber auch wahr und falsch, klug und unk­lug sind keine Begriffe, die sich auf solche Gedanken anwen­den las­sen, die den­noch Gesetzen unters­tehn, die nicht weni­ger streng sind, als sie zart und unauss­pre­chlich erschei­nen. Es hat nicht wenige sol­cher Essayisten und Meister des inner­lich schwe­ben­den Lebens gege­ben, aber es würde kei­nen Zweck haben, sie zu nen­nen ; ihr Reich liegt zwi­schen Religion und Wissen, zwi­schen Beispiel und Lehre, zwi­schen amor intel­lec­tua­lis und Gedicht, sie sind Heilige mit und ohne Religion, und manch­mal sind sie auch ein­fach Männer, die sich in einem Abenteuer verirrt haben.

Nichts ist übri­gens bezeich­nen­der als die unfrei­willige Erfahrung, die man mit gelehr­ten und vernünf­ti­gen Versuchen macht, solche große Essayisten aus­zu­le­gen, die Lebenslehre, so wie sie ist, in ein Lebenswissen umzu­wan­deln und der Bewegung der Bewegten einen »Inhalt« abzu­ge­win­nen ; es bleibt von allem ungefähr so viel übrig wie von dem zar­ten Farbenleib einer Meduse, nach­dem man sie aus dem Wasser geho­ben und in Sand gelegt hat. Die Lehre der Ergriffenen zerfällt in der Vernunft der Unergriffenen zu Staub, Widerspruch und Unsinn, und doch darf man sie nicht eigent­lich zart und leben­sun­bestän­dig nen­nen, da man sonst auch einen Elefanten zu zart nen­nen müßte, um in einem luft­lee­ren, sei­nen Lebensbedürfnissen nicht ents­pre­chen­den Raum aus­zu­dauern. Es wäre sehr zu bek­la­gen, wenn diese Beschreibungen den Eindruck eines Geheimnisses her­vor­rie­fen oder auch nur den einer Musik, in der die Harfenklänge und seuf­ze­rhaf­ten Glissandi über­wie­gen. Das Gegenteil ist wahr, und die ihnen zugrunde Hegende Frage stellte sich Ulrich dur­chaus nicht nur als Ahnung dar, son­dern auch ganz nüch­tern in der fol­gen­den Form : Ein Mann, der die Wahrheit will, wird Gelehrter ; ein Mann, der seine Subjektivität spie­len las­sen will, wird viel­leicht Schriftsteller ; was aber soll ein Mann tun, der etwas will, das daz­wi­schen liegt ? Solche Beispiele, die »daz­wi­schen« lie­gen, lie­fert aber jeder mora­lische Satz, etwa gleich der bekannte und ein­fache : Du soll­st nicht töten. Man sieht auf den ers­ten Blick, daß er weder eine Wahrheit ist noch eine Subjektivität. Man weiß, daß wir uns in man­cher Hinsicht streng an ihn hal­ten, in ande­rer Hinsicht sind gewisse und sehr zahl­reiche, jedoch genau begrenzte Ausnahmen zuge­las­sen, aber in einer sehr großen Zahl von Fällen drit­ter Art, so in der Phantasie, in den Wünschen, in den Theaterstücken oder beim Genuß der Zeitungsnachrichten, schwei­fen wir ganz unge­re­gelt zwi­schen Abscheu und Verlockung. Man nennt etwas, das weder eine Wahrheit noch eine Subjektivität ist, zuwei­len eine Forderung. Man hat diese Forderung an den Dogmen der Religion und an denen des Gesetzes befes­tigt und ihr dadurch den Charakter einer abge­lei­te­ten Wahrheit gege­ben, aber die Romanschriftsteller erzäh­len uns von den Ausnahmen, ange­fan­gen beim Opfer Abrahams bis zur jüng­sten schö­nen Frau, die ihren Geliebten nie­der­ges­chos­sen hat, und lösen es wie­der in Subjektivität auf. Man kann sich also ent­we­der an den Pflöcken fes­thal­ten oder zwi­schen ihnen von der brei­ten Welle hin und her tra­gen las­sen ; aber mit wel­chem Gefühl!? Das Gefühl des Menschen für die­sen Satz ist ein Gemisch von ver­na­gel­tem Gehorchen (ein­schließ­lich der »gesun­den Natur«, die sich sträubt, an so etwas auch nur zu den­ken, aber, durch Alkohol oder Leidenschaft nur ein wenig von ihrem Platz verrückt, es sofort tut) und gedan­ken­lo­sem Plätschern in einer Woge voll Möglichkeiten. Soll die­ser Satz wirk­lich nur so vers­tan­den wer­den ? Ulrich fühlte, daß ein Mann, der etwas mit gan­zer Seele tun möchte, auf diese Weise weder weiß, ob er es tun, noch ob er es unter­las­sen soll. Und ihm ahnte doch, daß man es aus dem gan­zen Wesen heraus tun oder las­sen könnte. Ein Einfall oder ein Verbot sag­ten ihm gar nichts. Die Anknüpfung an ein Gesetz nach oben oder innen erregte die Kritik seines Verstandes, ja mehr als das, es lag auch eine Entwertung in die­sem Bedürfnis, den sei­ner selbst gewis­sen Augenblick durch eine Abstammung zu nobi­li­tie­ren. Bei alle­dem blieb seine Brust stumm, und nur sein Kopf sprach ; aber er fühlte, daß in einer ande­ren Weise seine Entscheidung übe­rein­fal­len könnte mit sei­nem Glück. Er könnte glü­ck­lich sein, weil er nicht tötet, oder glü­ck­lich sein, weil er tötet, aber er könnte nie­mals der gleichgül­tige Eintreiber einer an ihn ges­tell­ten Forderung sein. Das, was er in die­sem Augenblick emp­fand, war kein Gebot, es war ein Gebiet, das er betre­ten hatte. Er begriff, daß alles darin schon ent­schie­den sei und den Sinn besänf­tigt wie Muttermilch. Aber es war kein Denken mehr, was ihm das sagte, und auch kein Fühlen in der gewöhn­li­chen, wie in Stücke gebro­che­nen Weise ; es war ein »ganz Begreifen« und doch auch wie­der nur so, wie wenn der Wind eine Botschaft fern herü­ber­trägt, und sie kam ihm weder wahr noch falsch, weder vernünf­tig noch wider­vernünf­tig vor, son­dern ergriff ihn, als wäre ihm eine leise selige Übertreibung in die Brust gefal­len.

Und so wenig man aus den ech­ten Teilen eines Essays eine Wahrheit machen kann, ver­mag man aus einem sol­chen Zustand eine Überzeugung zu gewin­nen ; wenig­stens nicht, ohne ihn auf­zu­ge­ben, so wie ein Liebender die Liebe ver­las­sen muß, um sie zu bes­chrei­ben. Die gren­zen­lose Rührung, die ihn zuwei­len untä­tig bewegte, widers­prach dem Tätigkeitstrieb Ulrichs, der auf Grenzen und Formen drang. Nun ist es ja wahr­schein­lich rich­tig und natür­lich, erst wis­sen zu wol­len, ehe man das Gefühl spre­chen läßt, und unwillkür­lich stellte er sich vor, was er dereinst fin­den wollte, werde, wenn es auch nicht Wahrheit sei, die­ser doch an Festigkeit nichts nach­ge­ben ; aber in sei­nem beson­de­ren Fall ähnelte er dadurch einem Mann, der sich ein Rüstzeug zusam­mens­tellt, indes ihm darü­ber die Absicht ers­tirbt. Wann immer man ihn bei der Abfassung mathe­ma­ti­scher und mathe­ma­tisch-logi­scher Abhandlungen oder bei der Beschäftigung mit den Naturwissenschaften gefragt hätte, welches Ziel ihm vor­sch­webe, so würde er geant­wor­tet haben, daß nur eine Frage das Denken wirk­lich lohne, und das sei die des rech­ten Lebens. Aber wenn man eine Forderung lange Zeit erhebt, ohne daß mit ihr etwas ges­chieht, schläft das Gehirn genau so ein, wie der Arm ein­schläft, wenn er lange Zeit etwas hochhält, und unsere Gedanken kön­nen eben­so­we­nig dauernd ste­hen blei­ben wie Soldaten im Sommer auf einer Parade ; wenn sie zu lange war­ten müs­sen, fal­len sie ein­fach ohnmäch­tig um. Da Ulrich ungefähr in sei­nem sech­sundz­wan­zig­sten Jahr den Entwurf sei­ner Lebensauffassung abges­chlos­sen hatte, kam sie ihm in sei­nem zweiund­dreißig­sten Jahr nicht mehr ganz aufrich­tig vor. Er hatte seine Gedanken nicht wei­ter­ge­bil­det, und abge­se­hen von einem unge­wis­sen und span­nen­den Gefühl, wie man es bei ges­chlos­se­nen Augen hat, wenn man etwas erwar­tet, zeigte sich in ihm auch nicht viel von persön­li­cher Bewegung, seit die Tage der zit­tern­den ers­ten Erkenntnisse vor­bei waren. Wahrscheinlich war es trotz­dem eine unte­rir­dische Bewegung von sol­cher Art, was ihn mit der Zeit in der wis­sen­schaft­li­chen Arbeit ver­lang­samte und daran hin­derte, in sie sei­nen gan­zen Willen zu set­zen. Er geriet durch sie in einen eigentüm­li­chen Zwiespalt. Man darf nicht ver­ges­sen, daß die exakte Geistesverfassung im Grunde gott­gläu­bi­ger ist als die schön­geis­tige ; denn sie unterwürfe sich »Ihm«, sobald er geruht, sich ihr unter den Bedingungen zu zei­gen, die sie für die Anerkennung sei­ner Tatsächlichkeit vor­schreibt, woge­gen unsere schö­nen Geister, wenn Er sich äußerte, nur fän­den, daß sein Talent nicht urs­prün­glich und sein Weltbild nicht verständ­lich genug seien, um ihn auf eine Stufe mit wirk­lich gott­be­gna­de­ten Begabungen zu stel­len. So leicht wie irgend­wer von die­ser Gattung konnte sich Ulrich also nicht unbes­timm­ten Ahnungen hin­ge­ben, aber ande­rer­seits konnte er sich eben­so­we­nig verheh­len, daß er in lau­ter Exaktheit jah­re­lang bloß gegen sich selbst gelebt habe, und er wün­schte, daß etwas Unvorhergesehenes mit ihm ges­che­hen möge, denn als er das tat, was er etwas spöt­tisch sei­nen »Urlaub vom Leben« nannte, besaß er in der einen wie in der ande­ren Richtung nichts, was ihm Frieden gab.

Vielleicht könnte man zu sei­ner Entschuldigung anfüh­ren, daß das Leben in gewis­sen Jahren unglau­blich schnell ent­flieht. Aber der Tag, wo man begin­nen muß, sei­nen letz­ten Willen zu leben, ehe man des­sen Rest hin­terläßt, hegt weit voran und läßt sich nicht ver­schie­ben. Das war ihm dro­hend klar gewor­den, seit fast ein halbes Jahr ver­gan­gen war, ohne daß sich etwas änderte. Während er sich in der klei­nen und när­ri­schen Tätigkeit, die er über­nom­men hatte, hin und her bewe­gen ließ, sprach, gerne zuviel sprach, mit der verz­wei­fel­ten Beharrlichkeit eines Fischers lebte, der seine Netze in einen lee­ren Fluß senkt, indes er nichts tat, was der Person ents­prach, die er imme­rhin bedeu­tete, und es mit Absicht nicht tat, war­tete er. Er war­tete hin­ter sei­ner Person, sofern dieses Wort den von Welt und Lebenslauf geform­ten Teil eines Menschen bezeich­net, und seine ruhige, dahin­ter abgedämmte Verzweiflung stieg mit jedem Tag höher. Er befand sich in dem schlimm­sten Notstand seines Lebens und verach­tete sich für seine Unterlassungen. Sind große Prüfungen das Vorrecht großer Naturen ? Er hätte gerne daran geglaubt, aber es ist nicht rich­tig, denn auch die sim­pel­sten nervö­sen Naturen haben ihre Krisen. So blieb ihm eigent­lich nur in der großen Erschütterung jener Rest von Unerschütterlichkeit übrig, den alle Helden und Verbrecher besit­zen, es ist nicht Mut, es ist nicht Wille, es ist keine Zuversicht, son­dern ein­fach ein zähes Festhalten an sich, das sich so schwer aus­trei­ben läßt wie das Leben aus einer Katze, selbst wenn sie von den Hunden schon ganz zer­flei­scht ist.

Will man sich vors­tel­len, wie solch ein Mensch lebt, wenn er allein ist, so kann höchs­tens erzählt wer­den, daß in der Nacht die erhell­ten Fensterscheiben ins Zimmer schauen, und die Gedanken, nach­dem sie gebraucht sind, herum­sit­zen wie die Klienten im Vorzimmer eines Anwalts, mit dem sie nicht zufrie­den sind. Oder viel­leicht, daß Ulrich ein­mal in sol­cher Nacht die Fenster öff­nete und in die schlan­gen­kah­len Baumstämme blickte, deren Windungen zwi­schen den Schneedecken der Wipfel und des Bodens selt­sam schwarz und glatt das­tan­den, und plötz­lich Lust bekam, im Schlafanzug, wie er war, in den Garten hinun­ter­zu­gehn ; er wollte die Kälte in den Haaren füh­len. Als er unten war, schal­tete er das Licht aus, um nicht vor der erleuch­te­ten Türe zu stehn, und nur aus sei­nem Arbeitszimmer ragte ein Lichtdach in den Schatten hinein. Ein Weg führte zum Gittertor, das auf die Straße mün­dete, ein zwei­ter kreuzte ihn dun­kel deut­lich. Ulrich ging lang­sam auf die­sen zu. Und dann erin­nerte ihn die zwi­schen den Baumkronen empor­ra­gende Dunkelheit plötz­lich phan­tas­tisch an die rie­sige Gestalt Moosbruggers, und die nack­ten Bäume kamen ihm merkwür­dig kör­per­lich vor ; häß­lich und naß wie Würmer und trotz­dem so, daß man sie umar­men und mit Tränen im Gesicht an ihnen nie­der­sin­ken mochte. Aber er tat es nicht. Die Sentimentalität der Regung stieß ihn im glei­chen Augenblick zurück, wo sie ihn berührte. Durch den Milchschaum des Nebels kamen vor dem Gitter des Gartens in die­sem Augenblick verspä­tete Fußgänger vor­bei, und er hätte ihnen wohl wie ein Narr erschei­nen kön­nen, wie sich sein Bild, in rotem Schlafanzug zwi­schen schwar­zen Stämmen, nun von die­sen loslöste ; aber er trat fest auf den Weg und ging verhält­nismäßig zufrie­den in sein Haus zurück, denn wenn etwas für ihn auf­be­wahrt war, so mußte es etwas ganz anderes sein.

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t. 1
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chap. 62  : « La terre même, mais Ulrich en par­ti­cu­lier, rend hom­mage à l’utopie de l’essayisme »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 319–325