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Saïd, L’Orientalisme

L’orientaliste peut imi­ter l’Orient sans que la réci­proque soit vraie. Ce qu’il dit de l’Orient doit donc se com­prendre comme une des­crip­tion dans un échange à sens unique : tan­dis qu’ils parlent et agissent, lui observe et prend note. Son pou­voir consiste à avoir exis­té au milieu d’eux comme un locu­teur indi­gène, pour­rait-on dire, et aus­si comme un écri­vain secret. Et ce qu’il écrit est des­ti­né à être un savoir utile non pour eux, mais pour l’Europe et ses dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions de dif­fu­sion. Car il y a une chose que la prose de Lane ne nous laisse jamais oublier : que le moi, le pro­nom de la pre­mière per­sonne qui se déplace en Egypte à tra­vers les cou­tumes, les rituels, les fêtes, l’enfance, l’âge adulte et les rites funé­raires, est, en réa­li­té, à la fois un dégui­se­ment orien­tal et un pro­cé­dé orien­ta­liste des­ti­né à cap­ter et trans­mettre des infor­ma­tions de valeur, qui ne seraient pas acces­sibles autre­ment. Comme nar­ra­teur, Lane est à la fois objet mon­tré et mon­treur, il gagne de deux côtés du même coup, fai­sant preuve de deux sortes d’appétit : un appé­tit orien­tal qui le pousse à nouer des cama­ra­de­ries (du moins à ce qu’il semble), et un appé­tit occi­den­tal pour acqué­rir des connais­sances utiles et qui fassent auto­ri­té.

The Orientalist can imi­tate the Orient without the oppo­site being true. What he says about the Orient is the­re­fore to be unders­tood as des­crip­tion obtai­ned in a one-way exchange : as they spoke and beha­ved, he obser­ved and wrote down. His power was to have exis­ted among­st them as a native spea­ker, as it were, and also as a secret wri­ter. And what he wrote was inten­ded as use­ful know­ledge, not for them, but for Europe and its various dis­se­mi­na­tive ins­ti­tu­tions. For that is one thing that Lane’s prose never lets us for­get : that ego, the first-per­son pro­noun moving through Egyptian cus­toms, rituals, fes­ti­vals, infan­cy, adul­thood, and burial rites, is in rea­li­ty both an Oriental mas­que­rade and an Orientalist device for cap­tu­ring and conveying valuable, other­wise inac­ces­sible infor­ma­tion. As nar­ra­tor, Lane is both exhi­bit and exhi­bi­tor, win­ning two confi­dences at once, dis­playing two appe­tites for expe­rience : the Oriental one for enga­ging com­pa­nion­ship (or so it seems) and the Western one for autho­ri­ta­tive, use­ful know­ledge.

 

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« Pèlerins et pèle­ri­nages, anglais et fran­çais » L’Orientalisme [1978]
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chap. 2  : « L’orientalisme struc­tu­ré et restruc­tu­ré »
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trad.  Catherine Malamoud
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p. 284–285