De quoi s’occupe en somme toute la philosophie moderne ? Depuis Descartes — et cela plutôt par défi contre lui qu’en s’appuyant sur ses affirmations — tous les philosophes commettent un attentat contre le vieux concept de l’âme, sous l’apparence d’une critique de la conception du sujet et de l’attribut, c’est-à-dire un attentat contre le postulat de la doctrine chrétienne. La philosophie moderne, en tant que théorie sceptique de la connaissance, est, soit d’une façon ouverte, soit d’une façon occulte, nettement anti-chrétienne, bien que, soit dit pour des oreilles plus subtiles, nullement anti-religieuse. Jadis, on croyait à l’ « âme », comme on croyait à la grammaire et au sujet grammatical. On disait : « Je », condition, — « pense » attribut, conditionné. Penser est une activité, à laquelle il faut supposer un sujet comme cause. On tenta alors, avec une âpreté et une ruse admirables, de sortir de ce réseau ; on se demanda si ce n’était pas peut-être le contraire qui était vrai : « pense » condition, « je » conditionné. « Je » ne serait donc qu’une synthèse créée par la pensée même. Au fond, Kant voulait démontrer qu’en partant du sujet le sujet ne pouvait être démontré, et l’objet non plus. La possibilité d’une existence apparente du sujet universel, donc de l’ « âme », ne paraissait pas lui avoir toujours été étrangère, cette pensée qui, comme philosophie des Vedanta, a déjà eu sur la terre une puissance formidable.
18 06 17
Nietzsche, Par delà le bien et le mal. Prélude d’une philosophie de l’avenir
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Par delà le bien et le mal. Prélude d’une philosophie de l’avenir [Jenseits von Gut und Böse. Vorspiel einer Philosophie der Zukunft (1886)]
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trad.
Henri Albert
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