La convalescence est le signal d’une nouvelle offensive du « corps » — du corps repensé — contre le « moi Nietzsche qui pense » : ainsi se prépare une nouvelle rechute : pour Nietzsche, jusqu’à la rechute finale, ces rechutes à chaque fois s’annoncent par une nouvelle investigation et un nouvel investissement du monde impulsionnel, et à chaque fois la maladie en est le prix de plus en plus élevé. A chaque fois, le corps se libère un peu plus de son propre suppôt, et ce suppôt à chaque fois s’affaiblit davantage : donc le cerveau voit de plus en plus se rapprocher les frontières qui le séparent des forces somatiques, à mesure que le réveil du moi dans le cerveau s’effectue plus lentement : mais quand il s’effectue, ce sont les forces qui, nombreuses, s’emparent du mécanisme fonctionnel : le moi se décompose dans une lucidité plus grande et plus brève : l’équilibre des fonctions se renverse : le moi sommeille dans les paroles, dans la fixité des signes : les forces veillent d’autant plus qu’elles se taisent davantage : la mémoire se détache enfin du moi cérébral, mémoire qui ne se désigne plus que selon ses motifs les plus éloignés.
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Restituer la pensée aux forces « corporantes » (aux impulsions) revenait à exproprier le suppôt, le moi : c’est pourtant grâce à son cerveau que Nietzsche effectue cette restitution et cette expropriation : il exerce ainsi sa lucidité à pénétrer les ténèbres : mais comment rester lucide si l’on détruit le foyer de la lucidité, soit le moi ? Que sera cette conscience sans suppôt ? Comment subsistera la mémoire si elle doit se ramener à toutes choses qui ne sont plus le moi : se souvenir sans plus être un tel qui se souvient de tout sauf de lui-même ?
18 06 17