18 06 17

S’il n’y a pas de « cohé­rence » ni d’ « inco­hé­rence » dans l’activité pul­sion­nelle — mais que l’on puisse en par­ler, c’est grâce à cette autre force pul­sion­nelle qu’est aus­si l’intellect. Il y a désor­mais une cohé­rence de l’impulsion et du sup­pôt dont le sup­pôt admet qu’il est lui-même la fin, en tant qu’il subit la contrainte de cette impul­sion. Et il y a, d’autre part, une cohé­rence entre le sup­pôt et cette autre impul­sion qu’est l’intel­lect, en tant qu’elle assure la cohé­rence du sup­pôt en tant que sup­pôt. Entre sa propre cohé­rence ain­si assu­rée et la cohé­rence de l’impulsion avec le sup­pôt, il y a une totale dis­cor­dance. Tantôt l’impulsion n’existe, semble-t-il, que parce que la répul­sion intel­lec­tuelle s’exerce à tra­vers le sup­pôt pour conser­ver le sup­pôt, tan­tôt cette répul­sion se retourne contre l’intellect qui dénonce cette impul­sion. L’intellect n’est donc rien que l’envers de toute autre impul­sion, l’envers de toute cohé­rence entre l’impulsion et le sup­pôt, donc inco­hé­rence par rap­port à la cohé­rence du sup­pôt avec lui-même. Mais parce que l’intellect est l’envers de l’impulsion, il est, comme répul­sion, la pen­sée de cette impul­sion même, cette pen­sée qui, par rap­port à celle-ci, consti­tue le sup­pôt en dehors de cette cohé­rence avec l’impulsion en tant que fin. Le sup­pôt, à chaque fois qu’il pense cette impul­sion, fait de sa répul­sion cette impul­sion pen­sée comme à l’égard de toute force pul­sion­nelle. Mais cette cohé­rence du sup­pôt avec lui-même n’est contrai­gnante que parce qu’elle répond à sa conser­va­tion : l’intellect appa­raît de la sorte comme moyen, en tant qu’il assure l’iden­ti­té dans la cohé­rence, en tant que fin. De là que la condi­tion impul­sion­nelle et répul­sion­nelle rend cette iden­ti­té intel­lec­tuelle fra­gile, dès qu’une cohé­rence peut s’établir entre le sup­pôt et une impul­sion autre comme fin. Car si cette cohé­rence est res­sen­tie plus contrai­gnante pour le sup­pôt que celle de son intel­lect (soit que ce der­nier reste sans force, soit que, au contraire, il se conçoive plei­ne­ment comme répul­sion) le sup­pôt rejette ce tuteur qui ne le conserve que dans un état sté­rile : tan­dis qu’il est à l’aise dans le mou­ve­ment pul­sion­nel — si fan­tas­tique que soit la cohé­rence qu’il croit y trou­ver. Toutefois, s’il se sent à l’aise face au phan­tasme qui en résulte, il veut à son tour l’exprimer et ne le peut qu’en fonc­tion de l’intellect : il lui faut en par­ler comme d’une idée et admettre qu’elle serait valable aus­si pour un autre intel­lect. Le phan­tasme, au fond de la « fausse » idée, ne la rend fausse que parce qu’il doit emprun­ter la voie de sa propre répul­sion — soit l’intellect — pour qu’il soit seule­ment pen­sable par un autre intel­lect.
Comment, en effet, la cohé­rence du sup­pôt avec une impul­sion déter­mi­née — dès lors que cette cohé­rence en quelque sorte adul­tère à l’égard de l’intellect met en cause le sup­pôt en tant que sup­pôt — peut-elle se trans­mettre en tant qu’idée à un autre intel­lect ? Idée veut dire que l’intellect la conçoive — la recons­truise — avant même de la juger vraie ou fausse. Ne faut-il pas que, jus­te­ment alors au moment de sa trans­mis­sion, elle réveille l’autre intel­lect en tant que pul­sion (adhé­sion) ou répul­sion (néga­tion, désap­pro­ba­tion) — et remette aus­si­tôt en branle ce qui, dans l’autre, consti­tue sa cohé­rence en tant que sup­pôt ? Ne faut-il pas qu’elle ramène sa propre orga­ni­sa­tion au niveau de la résis­tance ou de la non-résis­tance ?

Nietzsche et le cercle vicieux
Mercure de France 1969
adhésion cohérence corps/tête identité impulsion maintien de fonctionnalité pulsion répulsion résistance sujet suppôt