(du conte ; rem. 182)
2255. Que le conte dit vrai – Le conte dit toujours vrai. Ce que dit le conte est vrai parce que le conte le dit. Certains disent que le conte dit vrai parce que ce que dit le conte est vrai. D’autres que le conte ne dit pas le vrai parce que le vrai n’est pas un conte. Mais en réalité ce que dit le conte est vrai de ce que le conte dit que ce que dit le conte est vrai. Voilà pourquoi le conte dit vrai.
2256. ’gril’ emprunte au conte (vu dans la perspective de la rem. 2255) une « position » de vérité. Plus spécifiquement : ’le grand incendie de londres’ dit le vrai parce que ce que je raconte est vrai. Et ce que je raconte est vrai parce que ’le grand incendie de londres’ dit que ce que je dis est vrai. Cette manière de faire est assez efficace. (Mais parmi les quelques personnes qui me connaissent un peu (ou me rencontrent) et qui ont lu les branches publiées, il y a toujours une certaine méfiance à cet égard, en même temps qu’une grande crédulité (à d’autres moments)).
2257. Ce que dit le conte est arrivé pendant que le disait le conte. C’est même arrivé pendant que le conte disait ce que disait le conte. Voilà pourquoi c’est si vrai.
2258. Dans le conte il y a deux contes : le conte que dit le conte et le conte de ce que dit le conte. Cela fait d’ailleurs beaucoup plus de deux contes.
2259. Tout conte, un conte, est aussi le conte.
2260. Le conte n’est pas la poésie.
2261. Un poème peut être un conte.
2262. Le conte a affaire à la vérité.
2263. La poésie n’a pas affaire à la vérité.
2264. Le vrai du conte est dans le conte. Dans quel conte ? eh bien, dans le conte, et dans le conte que rapporte le conte. Aussi le vrai du conte est-il le vrai du vrai.
2265. Le conte dit la redondance de la vérité.
2266. « Je dis la vérité » est un énoncé beaucoup plus paradoxal que celui du « menteur ».
2267. Quand le conte mentira, et il mentira un jour puisqu’il dit vrai, le conte sera fini.
2268. Dans tout conte il y a ce qu’il y a dans un conte, ce qui fait qu’un conte est un conte. On peut le définir comme étant ce qu’il y a dans ce conte-là et comme ce conte-là est un conte, il y a tout ça dans ce conte. Voilà ce qu’il y a dans un conte.
2269. Quand on dit le conte – Quand on dit un conte il faut dire le conte de façon à ce qu’il semble que c’est le conte qui dit le conte. Et c’est normal après tout puisque c’est bien le conte qui dit le conte.
2270. Attention – Attention ! un conte parfois demande de l’attention.
2271. Un conte donne parfois de fausses indications. Dans ce cas le conte dit que le conte donne là de fausses indications. Parfois.
2272. (du conte) Anticipations – Mais n’anticipons pas.
2273. Pour dire le conte : réclamez un verre de vin. S’il n’y a pas de vin, ou si vous ne buvez pas de vin, ne dites pas le conte. À moins que vous n’ayez envie de dire quand même le conte.
2274. Pour qui conte le conte ? Le conte conte pour vous ? Qui ça vous ? Ceux pour qui conte le conte. Si le conte conte pour vous, c’est que c’est vous.
2275. Le conte conte pour ceux qui ont plus ou moins de vingt ans, plus ou moins de soixante, qui ont dix-sept ans ou plus, trente et un ans ou moins, quarante et un ans ou plus, quatorze ans ou moins. C’est toujours le même conte. Mais ce ne sont pas les mêmes gens.
2276. Un poème n’est jamais deux fois le même.
2277. Un poème n’est pas le même pour deux personnes différentes.
2278. On n’entend jamais deux fois le même poème.
2279. Le conte est toujours le même.
2280. Ceux pour qui conte le conte, s’ils écoutent le conte, qu’ils en soient remerciés. Les remerciements sont dans le conte. Pour les entendre, il faut l’écouter.
2281. Il y eut un temps où le conte était partout. Tous y avaient accès. Où est ce temps ?
2282. Que le conte sait ce qu’il dit. Le conte sait ce qu’il dit. Non pas tant qu’en disant le conte, le conteur sache ce qu’il dit. Mais plutôt de ce que le savoir du conte se dit tout entier quand on le dit.
2283. Ce que le conte dit, vous le savez aussi. Sans doute ne savez-vous pas ce que vous savez tant que le conte ne vous l’a dit. Mais le conte, qui sait tout, et en particulier ce que vous savez vous le dira. Et alors vous le saurez.
2284. L’idée de l’anamnèse est empruntée, involontairement, au conte. Le conte est la première manifestation artistique de la fonction de récit.
2285. Les constructions et élucubrations de l’idée d’anamnèse ont eu besoin de contes.
2286. L’anamnèse (au sens des églises chrétiennes) est une technique, qui s’efforce de copier le conte.
2287. La Bible est encore imbibée de conte.
2288. L’ignorance du conte, elle est où ? Elle n’est pas dans ses silences car les silences sont pleins de savoir. Elle n’est pas quoi qu’on en dise dans vos oreilles, même quand vos oreilles sont pleines de savon. L’ignorance du conte est à sa sagesse comme la chaîne est à la trame dans le bref. Mais elle ne dessine rien.
2289. (Variante dite de l’Odyssée). L’ignorance du conte, elle est où ? Elle n’est pas quoi qu’on en dise dans vos oreilles, même quand vos oreilles sont pleines de cire.
2290. Que le conte dit ce qu’il faut. Si le conte disait plus qu’il ne dit, vous vous diriez : c’était donc ça ! Si le conte disait moins qu’il ne dit, vous n’écouteriez pas le conte. Mais le conte, qui sait ce qu’il fait, n’en dit ni trop ni trop peu. Le conte dit ce qu’il faut.
2291. Le conte répond – Quand on vous dit le conte, vous vous méfiez. Vous vous dites : qu’est-ce que c’est que ce conte qui parle comme si c’était lui qui racontait le conte ? On ne peut pas être le conte et dans le conte. Et le conte répond : ce que vous dites, est-ce vous qui le dites ?
2292. Le conte répond – Certains vous diront : le conte n’est rien. Ce qui compte c’est le conte qui est derrière le conte. Et le conte répond : c’est vrai. Mais le propre du conte, c’est que le conte qui est derrière le conte, c’est le conte.
2293. Le conte répond – C’est bon, dira-t-on, le conte est dit. Mais quand le conte est dit sait-on à la fin des fins ce que le conte a dit ? Et le conte répond : il n’y a qu’une chose certaine. C’est que le conte aura été dit.
2294. À quoi sert le conte ? En effet, à quoi ?
2295. Il y a plein d’énigmes dans le conte. La moindre des énigmes du conte n’est pas l’énigme de ce que sont les énigmes du conte.
2296. Le conte est sans mystère.
2297. Le conte est sans mystères.
2298. Vous qui voulez déchiffrer le conte, posez-vous d’abord la question : pourquoi voulez-vous déchiffrer le conte ?
2299. Le conte n’est pas la poésie.
2300. Le conte répond – Certains vous diront : le conte n’est rien. Ce qui compte c’est ce que dit le conte. Et le conte répond : c’est vrai. Mais le propre du conte, c’est que ce que dit le conte, c’est le compte.
2301. Les mythes sont des contes mal entendus. Les mythologues sont des mal-entendants du conte.
2302. Les théologiens sont des voleurs de conte.
2303. Les philosophes sont des mal-entendants de poésie.
2304. Être est un conte.
2305. Le conte est toujours.
2306. L’enfance désire le conte.
2307. La perte du conte est une perte de désir, d’enfance, d’espoir.
2308. Le conte ne compte pas, mais racompte.
2309. Le vrai du conte n’est pas le vrai du compte.
2310. Le conte n’a pas le temps de compter.
2311. Le conte n’a que le temps de conter.
2312. Le conte a tout le temps de conter.
2313. Le calcul des propositions est né du conte.
2314. À l’âge du conte, les poètes étaient les compteurs.
2315. La pensée a cru au vrai hors du conte.
2316. La logique a cru au vrai dans le compte.
2317. Le conte n’épelle pas, n’énumère pas.
2318. Le conte n’est jamais fantastique, parce qu’il est vrai. Mais il peut être cruel.
2319. Les contraintes oulipiennes peuvent être mises au service du conte.
2320. Le vers est ennemi du conte (rem. 2308).
2321. L’idée de temps est née du conte autant que des changements du monde.
2322. La phrase steinienne approche la langue du conte (rem. 2070 sq.).
2323. Le conte est sans arrêts.
2324. (rem. 2309) Le vrai du conte n’est pas le vrai d’un compte.