18 06 17

Certes, il pour­ra sem­bler étrange que nous refu­sions d’ac­cor­der à l’en­fant la « per­son­na­li­té » puisque c’est là la garan­tie essen­tielle que l’on peut reven­di­quer et qu’il peut reven­di­quer pour lui. Mais il ne s’a­git pas de cela. Nous enten­dons avec « per­sonne » cette déter­mi­na­tion abs­traite et arti­fi­cielle de l’in­di­vi­du qui est beau­coup plus la marque de sa ser­vi­tude que de sa libé­ra­tion, au sens où toutes les formes de res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle pro­gres­sive débouchent sur la requête de prise en charge des formes, soit d’as­ser­vis­se­ment, soit de déri­va­tion. Un lycée aux lycéens, ce n’est tout de même pas, tout le monde s’en rend compte, un idéal appro­prié à une libé­ra­tion de l’en­fant !
[…] Or, il y a une façon de récla­mer ou de pro­mou­voir l’au­to­no­mie de l’en­fant qui ne fait que recon­duire l’en­semble des illu­sions que les adultes, en ce qui les concerne, com­mencent à recon­naître comme telles, et dont ils ont tant de mal à se débar­ras­ser : illu­sions huma­nistes de l’au­to­no­mie de la per­sonne, alors que de plus en plus le pou­voir de déci­sion leur échappe ; de la pro­prié­té per­son­nelle du corps, alors que nous souf­frons de l’é­tau, comme disait Reich, des cui­rasses cor­po­relles ; de la défense contre l’é­tran­ger, alors que c’est le défaut de com­mu­ni­ca­tion qui nous carac­té­rise.
La per­son­na­li­sa­tion est le corol­laire de la pri­va­ti­sa­tion, toutes deux étant une dépos­ses­sion de l’en­fance. Dans des direc­tions concou­rantes, bien qu’en appa­rence oppo­sées, on per­son­na­lise à tour de bras, soit qu’on veuille accé­lé­rer l’ac­cès de l’en­fance à la res­pon­sa­bi­li­té, soit qu’on veuille la conser­ver dans une irres­pon­sa­bi­li­té quiète, qu’on parle le lan­gage poli­tique d’une révo­lu­tion de jeunes déjà mûrs, ou celui d’une péda­go­gie atten­tive aux moindres « envies ». En affir­mant, sans cri­tique de l’illu­sion per­son­na­liste, le droit des enfants à l’au­to­no­mie, on ne fait que céder à l’illu­sion d’ob­te­nir enfin, avec eux et grâce à eux, cette socié­té libé­rale et réci­proque qui est la grande uto­pie des états modernes et sert de cou­ver­ture à leur des­po­tisme réel. Utopie libé­rale, parce qu’elle feint de s’ap­puyer sur des per­sonnes libres qui n’au­raient qu’à s’ex­pri­mer pour s’en­tendre ; des­po­tique, parce que la « véri­té » de ce monde de per­sonnes n’est que la réper­cus­sion de la dis­ci­pline qui les a for­mées. Famille pro­gres­sistes, per­mis­sive, socié­tés d’en­fants qui seraient viables dans leur auto­no­mie interne, relèvent d’un même pos­tu­lat : celui de l’en­fant-per­sonne capable de dési­rer spon­ta­né­ment ou d’in­ven­ter les modèles d’or­ga­ni­sa­tion que les adultes n’ont jamais pu faire fonc­tion­ner pour eux-mêmes.

Co-ire. Album sys­té­ma­tique de l’en­fance
Recherches n° 22
Cerfi 1977
autonomie deligny désir/envie enfance humanisme libéralisme libre-arbitre personnalisme personnalité personne reich responsabilité utopie