Toute l’analyse de Cassirer répond au projet de définir le cadre structurant dans lequel évolue la magie. Conformément à un geste typiquement kantien, Cassirer se détourne dans un premiertemps du contenu de la croyance pour diriger son regard vers sa forme. Selon Cassirer, il convient d’abord de découvrir le terrain sur lequel la magie déploie ses opérations, de préciser les fondements de la croyance,avant de s’évertuer à faire l’inventaire ethnographique du phénomène. L’hypothèse fondamentale de Cassirer repose sur l’affirmation d’unerelation étroite entre la magie et la pensée mythique. Plus exactement, la magie n’est qu’un sous-ensemble de la pensée mythique, c’est-à-dire une partie de l’une des dimensions les plus essentielles de l’esprit humain, au même titre que la connaissance, le langage ou l’art.
Le mythe, etde manière corrélative la magie, apparaissent pour Cassirer principalement comme des formes de pensée. Ence sens, une analytique du mythe doit circonscrire en premier lieu les questions à partir desquelles l’intelligibilité des croyances devient possible. Ces questions sont multiples, mais ont la même allure. Quelle est la nature de la relation entre un objet et un sujet au sein de cette pensée ? Comment s’agencent les fonctionsde perception, d’imagination et de synthèse qui permettent à cette pensée de produire des représentations sur un objet ? Quelles sont enfin les catégories particulières propres à la pensée mythique ? En tant qu epensée, le mythe a une visée objective. Il est tendu par la nécessité de désigner un objet comme étant réel. Le mythe n’appartient pas au domaine de l’imagination, mais à celui de l’action. Cette dimension de la pensée mythique est précisément incarnée par la magie. Pour Cassirer, la magie ne se résume pas à un besoin de croire à l’efficacité d’un sortilège. Elle cherche avant tout à posséder une chose au moyen notamment de la connaissance de son nom. La magie est une forme d’action, maiselle n’est pas pour autant une technique à finalité utilitaire. Elle agit sur le monde parce qu’elle est d’abord et vant toute chose une forme de pensée, précise le philosophe. Pour agir, il est nécessaire, à l’évidence, de se forger une représentation de la réalité. Le mythe et la magie construisent une image du réel à partir de catégories structurantes. Ces catégories n’ont pas pour objectif de disséquer des objets, mais de les fusionner et de les rendre indistincts : « Même là où l’intuition empirique des sens semble nous donner les choses pour ainsi dire elles-mêmes séparées et distinctes, le mythe substitue à cette extériorité et cette juxtaposition des choses une forme caractéristique d’imbrication. Le tout et ses parties sont intimement entrelacés et pour ainsi dire attachés l’un à l’autre par le destin. »
Reprenant implicitement la distinction kantienne entre pensée et connaissance, Cassirer montre que le mythe ne procède pas par construction de concepts. Le mythe filtre les propriétés du particulier en les élevant au rang de principes universels d’explication de la réalité. L’universel est par là même immédiatement présent dans le particulier. La pensée mythique est parvenue à forger une catégorie hybride que l’on pourrait désigner sous le terme de « particulier universel ». Plus exactement, le particulier et l’universel ne sont pas deux catégories distinctes au sein de la pensée mythique, l’événement singulier ayant d’emblée une signification qui le relie à un réseau de symboles. En ce sens, la pensée mythique n’élabore pasun objet en cherchant à le déterminer selon des règles de constitution de l’objectivité, elle se laisse envahir et posséder par la présence immanente d’une chose à caractère sacré ou mythique : « Cette pensée n’est pas poussée par la volonté de comprendre l’objet, au sens de l’embrasser par la pensée et de l’incorporer à un complexe de causes et de conséquences : elle est simplement prise par lui. »
01 10 18