Tu diras donc que, bien que toute la prononciation de ces paroles s’étende sur une certaine durée de temps, elles sont cependant prononcées pour l’instant ultime [pro ultimo instanti] auquel elles sont prononcées, et c’est au dernier instant de la prononciation que se trouve pour la première fois le corps du Christ sous l’espèce du pain. Imaginons que la prononciation de ces paroles « Ceci est mon corps » s’effectue sans aucune durée de temps, dans un même instant identique en nature et dans le temps. Ne serait-ce pas le cas, alors, que, une fois que le mot ceci a été prononcé, tout a été dit ? Il est au contraire nécessaire de poser cela. Or, si tout a été dit, c’est que la transsubstantiation est alors réalisée. Par conséquent, selon cette hypothèse, dès que ceci a été prononcé, la transsubstantiation est réalisée. Et donc, toujours selon cette hypothèse, ceci désigne non le pain, mais le corps du Christ. De la même façon, même si les paroles ne sont pas prononcées dans le même instant [in eodem instanti], elles le sont cependant pour le même instant [pro eodem instanti], et c’est donc comme si elles étaient prononcées de manière simultanée. Par conséquent, ceci désigne le corps du Christ. Et, si l’on tire la conséquence que le corps du Christ aurait été alors présent dès que le pronom ceci a été prononcé, et sans que les autres paroles de la formules ne le soient, je réponds que ce n’est pas le cas, parce que ceci et les autres paroles, même si elles ne sont pas dites de manière simultanée et dans le même instant, le sont pourtant pour le même instant : dans cet instant, c’est comme si l’on avait toutes les paroles, tout comme lorsque je dis « Je bois », cette phrase n’est pas vraie au moment où elle est prononcée, elle est dite pour un autre moment.
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Fishacre, In IV Sententiarum
, , cité par Irène Rosier-Catach, La parole efficace. Signe, rituel, sacré, Seuil, 2004, p. 403