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Tu diras donc que, bien que toute la pro­non­cia­tion de ces paroles s’é­tende sur une cer­taine durée de temps, elles sont cepen­dant pro­non­cées pour l’ins­tant ultime [pro ulti­mo ins­tan­ti] auquel elles sont pro­non­cées, et c’est au der­nier ins­tant de la pro­non­cia­tion que se trouve pour la pre­mière fois le corps du Christ sous l’es­pèce du pain. Imaginons que la pro­non­cia­tion de ces paroles « Ceci est mon corps » s’ef­fec­tue sans aucune durée de temps, dans un même ins­tant iden­tique en nature et dans le temps. Ne serait-ce pas le cas, alors, que, une fois que le mot ceci a été pro­non­cé, tout a été dit ? Il est au contraire néces­saire de poser cela. Or, si tout a été dit, c’est que la trans­sub­stan­tia­tion est alors réa­li­sée. Par consé­quent, selon cette hypo­thèse, dès que ceci a été pro­non­cé, la trans­sub­stan­tia­tion est réa­li­sée. Et donc, tou­jours selon cette hypo­thèse, ceci désigne non le pain, mais le corps du Christ. De la même façon, même si les paroles ne sont pas pro­non­cées dans le même ins­tant [in eodem ins­tan­ti], elles le sont cepen­dant pour le même ins­tant [pro eodem ins­tan­ti], et c’est donc comme si elles étaient pro­non­cées de manière simul­ta­née. Par consé­quent, ceci désigne le corps du Christ. Et, si l’on tire la consé­quence que le corps du Christ aurait été alors pré­sent dès que le pro­nom ceci a été pro­non­cé, et sans que les autres paroles de la for­mules ne le soient, je réponds que ce n’est pas le cas, parce que ceci et les autres paroles, même si elles ne sont pas dites de manière simul­ta­née et dans le même ins­tant, le sont pour­tant pour le même ins­tant : dans cet ins­tant, c’est comme si l’on avait toutes les paroles, tout comme lorsque je dis « Je bois », cette phrase n’est pas vraie au moment où elle est pro­non­cée, elle est dite pour un autre moment.

« dins­tinc­tio 8 »
In IV Sententiarum [1241–1245]
cité par Irène Rosier-Catach, La parole effi­cace. Signe, rituel, sacré, Seuil, 2004, p. 403 linguisitque performatif philosophie médiévale sacrement théologie