23 11 18

Quintane, Un œil en moins

Donc, des phrases simples. Pour une rai­son simple : c’est qu’un ter­rain, c’est quand on parle, et que l’idée qu’on se fait de la parole, c’est que c’est moins com­pli­qué que l’écrit, et du coup quand on la retrans­crit, et qu’on s’aperçoit qu’entre les répé­ti­tions, les digres­sions et les hési­ta­tions, c’est incom­pré­hen­sible, on te net­toie tout ça, on éclair­cit, on puri­fie, pour abou­tir à des phrases, je disais, simples, sym­pa­thiques – au fond, oui, c’est ça, sym­pa­thiques. Des phrases qu’on se ver­rait bien dire soi-même, illi­co, la lec­ture « silen­cieuse » se dou­blant d’une lec­ture à voix haute in pet­to (on s’entend lire ce qu’on lit), alors quelque chose de la dis­tance de l’écrit, son côté tou­jours un peu pierre tom­bale, dis­pa­raî­trait, fon­drait dans la sym­pa­thie de l’oral, les sou­ve­nirs sco­laires mau­vais, l’effort au déchif­fre­ment, toutes les fois où on a buté parce que c’était dif­fi­cile, envo­lés dans la flui­di­té d’un rap­port cool au para­graphe, ou encore mieux, comme les objec­ti­vistes, comme cette poé­sie qui consiste à reta­per des phrases orales déjà écrites en pas­sant à la ligne sou­vent, sauf que les objec­ti­vistes ne reta­paient pas des phrases sym­pa­thiques, au contraire ils reta­paient les phrases de pro­cès hor­ribles, des témoi­gnages plus insou­te­nables les uns que les autres, et comme pour qu’on les lise d’une traite, que rien ne nous échappe, et qu’on n’échappe à rien, ils avaient adop­té cette méthode, qui consiste à res­sai­sir presque telles quelles des phrases ter­ribles, si bien que l’effet, au bout d’un moment, c’est qu’on repose le livre, on ne peut plus conti­nuer ce livre à la fois si facile à lire et insup­por­table, de telle sorte que je me demande si ce n’est pas le seul genre de phrases qu’on peut mora­le­ment récrire telles quelles, parce que sinon à quoi ça sert de récrire des phrases sym­pa­thiques pour les rendre encore plus sym­pa­thiques ? Voulez-vous être dans un livre comme dans des pan­toufles ? Aimeriez-vous pan­tou­fler dans ce bou­quin ? Par ailleurs, on ne peut sans cesse jeter des seaux d’eau gla­cée à la tête du lec­teur, ou du spec­ta­teur. Il faut, d’une cer­taine manière, lui avan­cer ses pan­toufles, avant de lui mettre les pieds dans l’eau gla­cée. Cela, les objec­ti­vistes l’ont par­fai­te­ment com­pris.