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La cri­tique qui se laisse anni­hi­ler par sa pré­ca­ri­té se repro­dui­sant, face aux dimen­sions défi­ni­tives de l’affrontement, pré­fère se liqui­der : elle se contente désor­mais d’énoncer ce mini­mum que tout indi­vi­du radi­cal connaît comme la condi­tion d’insuffisance que com­bat son désir de sai­sir sa véri­té : « le dépas­se­ment de la poli­tique ne laisse pas der­rière lui un vide mais le déve­lop­pe­ment pra­tique de la cri­tique qui est entiè­re­ment à décou­vrir. » La révo­lu­tion est alors « ce dont on ne sau­rait par­ler » : fait brut par excel­lence, sco­to­mi­sa­tion par­faite de ce qui, inex­pri­mable, ne pour­ra man­quer de se révé­ler mys­ti­que­ment aux néo-adven­tistes de la vraie foi : au-delà des acci­dents de l’histoire, au-delà même de cet atome d’énergie où la patience de la « pen­sée qui se pense », achar­née à com­battre la com­pré­hen­sion du néga­tif, inves­tit son pou­voir de le com­prendre comme l’anticipation, non ter­ro­ri­sée, de l’affirmation d’une dimen­sion qui l’outrepasse. Plus d’autre issue pour la cri­tique ter­ro­ri­sée que de se replier sur elle-même ! Chaque « objet » échaude sa crainte pho­bique de quoi que ce soit qui la mesure ou est, lorsqu’il lui par­vient, cor­rom­pu par le défaut d’être adve­nu. La police cri­tique refoule à la fron­tière pas­sion et espèce, exha­la­tions impures d’un évé­ne­ment qui, une fois dépas­sé le rêve d’une chose, ne res­semble plus en rien à la chose vue en rêve. Seule sa propre haleine lui est encore res­pi­rable, et elle ne se risque plus à par­ler que d’elle-même.

« Ce qu’on ne peut pas taire »
Apocalypse et révo­lu­tion [Puzz, n°20, juin-août 1975]
trad. Lucien Laugier
La Tempête 2020
p. 237–238 § 9