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Dans un ordre plus par­ti­cu­lier, quand à Paris des étu­diants antillais se ren­contrent, deux pos­si­bi­li­tés s’offrent à eux :

  • ou sou­te­nir le monde blanc, c’est-à-dire le véri­table monde, et, le fran­çais alors employé, il leur demeure pos­sible d’envisager quelques pro­blèmes et de tendre dans leurs conclu­sions à un cer­tain degré d’universalisme ;
  • ou reje­ter l’Europe, « Yo », et se rejoindre par le patois, en s’installant bien confor­ta­ble­ment dans ce que nous appel­le­rons l’umwelt mar­ti­ni­quais ; nous vou­lons dire par là — et cela s’adresse sur­tout à nos frères antillais — que lorsqu’un de nos cama­rades, à Paris ou dans quelque autre ville de Facultés, s’essaie à consi­dé­rer sérieu­se­ment un pro­blème, on l’accuse de faire l’important, et le meilleur moyen de le désar­mer est de s’infléchir vers le monde antillais en bran­dis­sant le créole. Il faut trou­ver là une des rai­sons pour les­quelles tant d’amitiés s’écroulent après quelque temps de vie euro­péenne.
    Notre pro­pos étant la désa­lié­na­tion des Noirs, nous vou­drions qu’ils sentent que chaque fois qu’il y a incom­pré­hen­sion entre eux en face du Blanc, il y a absence de dis­cer­ne­ment.

Un Sénégalais apprend le créole afin de se faire pas­ser pour antillais : je dis qu’il y a alié­na­tion.
Les Antillais qui le savent mul­ti­plient leurs raille­ries je dis qu’il y a absence de dis­cer­ne­ment.

Peau noire, masques blancs [1952]
Seuil 2015
p. 34–35