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et quo­niam cum de deo meo cogi­tare vel­lem, cogi­tare nisi moles cor­po­rum non nove­ram – neque enim vide­ba­tur mihi esse quic­quam, quod tale non esset – ea maxi­ma et prope sola cau­sa erat inevi­ta­bi­lis erro­ris mei. Hinc enim et mali sub­stan­tiam quan­dam cre­de­bam esse talem, et habere suam molem, tetram et defor­mem sivi cras­sam, quam ter­ram dice­bant, sive tenuem atque sub­ti­lem, sicu­ti est aeris cor­pus : quam mali­gnam men­tem per illam ter­ram repen­tem ima­gi­nan­tur. et quia deum bonum nul­lam malam natu­ram creasse qua­lis­cumque me pie­tas cre­dere coge­bat, consti­tue­bam ex adver­so sibi duas moles, utramque infi­ni­tam, sed malam angus­tius, bonam gran­dius. […] et magis plus mihi vide­bar, si te, deus meus, cui confi­ten­tur ex me mise­ra­tiones tuae, vel ex cete­ris par­ti­bus infi­ni­tum cre­de­rem, quam­vis ex una, qua tibi moles mali oppo­ne­ba­tur, coge­rer fini­tum fate­ri, quam si ex omni­bus par­ti­bus in cor­po­ris huma­ni for­ma te opi­nar fini­ri. et melius mihi vide­bar cre­dere nul­lum malum te creasse – quod mihi nes­cien­ti non solum ali­qua sub­stan­tia, sed etiam cor­po­rea vide­ba­tur, quia et men­tem cogi­tare non nove­ram nisi eam sub­tile cor­pus esse, quod tamen per loci spa­tia dif­fun­de­re­tur – quam cre­dere abs te esse qua­lem puta­bam natu­ram mali. ipsum quoque sal­va­to­rem nos­trum, uni­ge­ni­tum tuum, tam­quam de mas­sa luci­dis­si­mae molis tuae por­rec­tum ad nos­tram salu­tem ita puta­bam, ut aliud de illo non cre­de­rem nisi quod pos­sem vani­tate ima­gi­na­ri. talem itaque natu­ram eius nas­ci non posse de Maria vir­gine arbi­tra­bar, nisi car­ni concer­ne­re­tur. concer­ni autem et non coin­qui­na­ri non vide­bam, quod mihi tale figu­ra­bam. metue­bam itaque cre­dere incar­na­tum, ne cre­dere coge­rer ex carne inqui­na­tum.

Mais si je vou­lais me repré­sen­ter mon Dieu, je ne savais me repré­sen­ter qu’une masse phy­sique. Je m’i­ma­gi­nais que rien ne pou­vait exis­ter sinon en cet état : cause majeure et presque unique de mon inévi­table erreur. Car de là, j’ai cru que le mal était une sorte de sub­stance du même ordre. Avec sa propre masse répu­gnante et informe, appe­lée terre quand elle est épaisse, ou ténue et sub­tile comme un corps aérien, un esprit malin qu’on ima­gine ram­per sur la terre. Et parce qu’un sem­blant de pié­té me for­çait à croire qu’un Dieu bon n’a créé aucune nature mau­vaise, j’op­po­sais deux masses face à face, toutes les deux infi­nies, la mau­vaise plus étroite, et la bonne plus vaste. […] Mais la masse de mal oppo­sée à toi me for­çait à t’a­vouer fini. Je pré­fé­rais donc croire que tu n’a­vais créé aucun mal – qui pour moi, dans mon igno­rance, était non seule­ment sub­stance mais sub­stance cor­po­relle puisque je ne savais conce­voir un esprit autre­ment que sous la forme d’un corps sub­til qui se dila­tait dans l’es­pace d’un lieu – plu­tôt que de croire que la nature du mal, selon ma concep­tion, venait de toi. Notre sau­veur lui-même, ton unique fils engen­dré, je me le repré­sen­tais comme extrait du bloc de ta masse lumi­neuse pour nous sau­ver. Ce que j’en croyais se limi­tait à ma vaine ima­gi­na­tion. Impossible de conce­voir qu’une nature comme la sienne puisse naître de Marie, vierge, sans être inex­tri­ca­ble­ment liée à la chair. Et je ne voyais pas, selon l’i­mage que je m’en fai­sais, com­ment y être lié sans être conta­mi­né. J’avais peur en croyant à une nais­sance char­nelle d’a­voir à croire à une conta­mi­na­tion par la chair.

Les Aveux [Confessiones (397–402)]
t. 5
chap. 20
trad. Frédéric Boyer
P.O.L 2009
p. 151–152