Quand Perceval revient au château du Graal, la bouche pleine d’interrogations, il ouvre une à une les portes, fermées depuis les siècles, il guérit les rois du Graal, les Rois-Pécheurs, les Rois Blessés. Il ouvre la porte de la dernière chambre : dans l’obscurité, il découvre le sphinx, et le sphinx lui dit : « Quelle est la réponse ? » « Non, répond Perceval, quelle est la question ? »
Il y a ceci de commun à l’énigme du poème de Guillaume IX et à celle de l’image muette du cortège du Graal dans le « roman » de Chrétien de Troyes, qu’aucune question n’est posée. Guillaume IX dit : voilà le néant, le « néant pur » que vous allez entendre ; le Roi-Pécheur montre le Graal qui passe, porté par la jeune fille. C’est à celui qui voit, c’est à celui qui entend de poser la question, à laquelle, une fois posée, il n’y aura qu’une réponse possible, la bonne. Mais pour poser la question qui convient à ce qui est montré, il faut, déjà, savoir. n fa ut être dans l’état de celui qui peut savoir. Il faut, si on est auditeur de Guillaume IX ou Aimeric de Peguilhan, être de ceux à qui Cavalcanti adressera sa chanson « doctrinale », donna me pregha… De ceux qui « entendent », qui « hanno intendimento ». Il faut, si on est un auditeur, un lecteur de Chrétien de Troyes, être, comme Perceval doit le devenir, en « état » de savoir. Alors, alors seulement, la question se posera d’elle-même et aura d’elle-même sa réponse.
On voit que la situation de Perceval est un renversement de celle d’Œdipe. Il ne faut pas résoudre les énigmes, répondre aux questions posées par les sphinx. L’énigme doit rester hors question, autant que hors réponse, sous peine de catastrophe. Dans le Roman du Graal, la catastrophe a eu lieu avant, et le monde reste dans le désastre jusqu’à ce que Perceval soit en mesure de poser la question. On pourrait dire que le renversement de Chrétien de Troyes, et d’autant plus si on admet, ce que je crois vraisemblable, que l’énigme a le même « nœud », l’inceste, dans les deux cas, consiste à transformer l’énigme en mystère, en mystères : le et les mystères du Graal. On a alors quelque chose qui satisfait à ces quelques axiomes :
(i) L’énigme épuise les mystères.
(ii) Chaque mystère s’approche de l’énigme.
(iii) Le Système des mystères a pour limite l’énigme.
(iv) Un mystère peut être élucidé, pas une énigme.
On remarquera aussi que la Graal-fiction ci-dessus a elle-même un mystère, dont la « solution par allusion » est Gertrude Stein.
L’énigme du néant reste énigme. Cela ne tient pas seulement aux intentions fort éloignées de Guillaume IX ou Peguilhan et Chrétien de Troyes, mais à la nature même des deux formes : canso et roman. Si le « roman » est monstration, il est vrai qu’on ne montre pas le « nien »· Le néant ne peut que rester énigme.