05 12 17

Il va de soi que l’on peut non seule­ment cor­ri­ger une oeuvre ou inté­ger divers frag­ments d’oeuvres péri­mées dans une nou­velle, mais encore chan­ger le sens de ces frag­ments et tru­quer de toutes les manières que l’on juge­ra bonnes ce que les imbé­ciles s’obs­tinent à nom­mer des cita­tions.
De tels pro­cé­dés paro­diques ont été sou­vent employés pour obte­nir des effets comiques. Mais le comique met en scène une contra­dic­tion à un état don­né, posé comme exis­tant. En la cir­cons­tance, l’é­tat de choses lit­té­raire nous par­rais­sant presque aus­si étran­ger que l’âge du renne, la contra­dic­tion ne nous fait pas rire. Il faut donc conce­voir un stade paro­dique-sérieux où l’ac­cu­mu­la­tion d’élé­ments détour­nés, loin de vou­loir sus­ci­ter l’in­di­gna­tion ou le rire en se réfé­rant à la notion d’une oeuvre ori­gi­nale, mais mar­quant au contraire notre indif­fé­rence pour un ori­gi­nal vidé de sens et oublié, s’emploierait à rendre un cer­tain sublime.
On sait que Lautréamont s’est avan­cé si loin dans cette voie qu’il se trouve encore par­tiel­le­ment incom­pris par ses admi­ra­teurs les plus affi­chés. Malgré l’é­vi­dence du pro­cé­dé appli­qué dans « Poésies », par­ti­cu­liè­re­ment sur la base de la morale de Pascal et Vauvenargues, au lan­gage théo­rique – dans lequel Lautréamont veut faire abou­tir les rai­son­ne­ments, par concen­tra­tions suc­ces­sives, à la seule maxime – on s’est éton­né des révé­la­tions d’un nom­mé Viroux, voi­ci trois ou quatre ans, qui empê­chaient désor­mais les plus bor­nés de ne pas recon­naître dans « les Chants de Maldoror » un vaste détour­ne­ment, de Buffon et d’ou­vrages d’his­toire natu­relle entre autres. Que les pro­sa­teurs du « Figaro », comme ce Viroux lui-même, aient pu y voir une occa­sion de dimi­nuer Lautréamont, et que d’autres aient cru devoir le défendre en fai­sant l’é­loge de son inso­lence, voi­là qui ne témoigne que de la débi­li­té intel­lec­tuelle de vieillards des deux camps, en lutte cour­toise. Un mot d’ordre comme « le Plagiat est n’e­ces­saire, le pro­grès l’im­plique » est encore aus­si mal com­pris, et pour les mêmes rai­sons, que la phrase fameuse sur la poé­sie qui « doit être faite par tous ».
L’oeuvre de Lautréamont – que son appa­ri­tion extrê­me­ment pré­ma­tu­rée fait encore échap­per en grande par­tie à une cri­tique exacte – mis à part, les ten­dances au détour­ne­ment que peut recon­naître une étude de l’ex­pres­sion contem­po­raine sont pour la plu­part incons­cientes ou occa­sion­nelles ; et, plus que dans la pro­duc­tion esthé­tique finis­sante, c’est dans l’in­dus­trie publi­ci­taire qu’il fau­dra en cher­cher les plus beaux exemples.

« Mode d’emploi du détour­ne­ment »
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