Il va de soi que l’on peut non seulement corriger une oeuvre ou intéger divers fragments d’oeuvres périmées dans une nouvelle, mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières que l’on jugera bonnes ce que les imbéciles s’obstinent à nommer des citations.
De tels procédés parodiques ont été souvent employés pour obtenir des effets comiques. Mais le comique met en scène une contradiction à un état donné, posé comme existant. En la circonstance, l’état de choses littéraire nous parraissant presque aussi étranger que l’âge du renne, la contradiction ne nous fait pas rire. Il faut donc concevoir un stade parodique-sérieux où l’accumulation d’éléments détournés, loin de vouloir susciter l’indignation ou le rire en se référant à la notion d’une oeuvre originale, mais marquant au contraire notre indifférence pour un original vidé de sens et oublié, s’emploierait à rendre un certain sublime.
On sait que Lautréamont s’est avancé si loin dans cette voie qu’il se trouve encore partiellement incompris par ses admirateurs les plus affichés. Malgré l’évidence du procédé appliqué dans « Poésies », particulièrement sur la base de la morale de Pascal et Vauvenargues, au langage théorique – dans lequel Lautréamont veut faire aboutir les raisonnements, par concentrations successives, à la seule maxime – on s’est étonné des révélations d’un nommé Viroux, voici trois ou quatre ans, qui empêchaient désormais les plus bornés de ne pas reconnaître dans « les Chants de Maldoror » un vaste détournement, de Buffon et d’ouvrages d’histoire naturelle entre autres. Que les prosateurs du « Figaro », comme ce Viroux lui-même, aient pu y voir une occasion de diminuer Lautréamont, et que d’autres aient cru devoir le défendre en faisant l’éloge de son insolence, voilà qui ne témoigne que de la débilité intellectuelle de vieillards des deux camps, en lutte courtoise. Un mot d’ordre comme « le Plagiat est n’ecessaire, le progrès l’implique » est encore aussi mal compris, et pour les mêmes raisons, que la phrase fameuse sur la poésie qui « doit être faite par tous ».
L’oeuvre de Lautréamont – que son apparition extrêmement prématurée fait encore échapper en grande partie à une critique exacte – mis à part, les tendances au détournement que peut reconnaître une étude de l’expression contemporaine sont pour la plupart inconscientes ou occasionnelles ; et, plus que dans la production esthétique finissante, c’est dans l’industrie publicitaire qu’il faudra en chercher les plus beaux exemples.
05 12 17