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Je devais pour­suivre ailleurs ma pré­pa­ra­tion au pro­jet : dans la mathé­ma­tique, dans la poé­sie, dans une grande sévé­ri­té d’existence. L’austérité par­fois éré­mi­tique qui se mon­trait néces­saire était comme fonc­tion­nel­le­ment impo­sée par une recherche simul­ta­née de voies dans les deux direc­tions, duales et anta­go­nistes en appa­rence, de la mathé­ma­tique et de la poé­sie. En ces années, je vivais sous la contrainte : contrainte d’apprentissage du cal­cul, des formes poé­tiques, de leur mise en pra­tique simul­ta­née. Mais aus­si contraintes de la vie même : la règle de Paul Klee, « nul­la dies sine linea », pas de jour sans avan­cer d’une ligne, sus­ci­tait simul­ta­né­ment de sévères exi­gences d’horaires, où se jouait sans cesse ma pas­sion du dénom­bre­ment. La sou­plesse men­tale indis­pen­sable pour les sauts per­pé­tuels de la lec­ture à l’absorption des concepts de la théo­rie des caté­go­ries ou de l’algèbre com­mu­ta­tive, l’effort d’immersion dans les langues loin­taines des tra­di­tions poé­tiques vou­lues par le pro­jet, n’étaient pas ima­gi­nables sans une rigi­di­té conco­mi­tante de l’emploi de mon temps. Je me suis fait un devoir de soli­tude. De loin en loin je reve­nais à l’imagination du pro­jet.
Je vivais dans un sys­tème de règles. Les règles de l’écriture poé­tique, les règles de la démons­tra­tion mathé­ma­tique, les règles de vie consti­tuaient trois sys­tèmes qui se res­sem­blaient pour moi, qui avaient des che­mins paral­lèles. Chaque règle, chaque acte selon les règles, était pen­sé comme pré­pa­ra­toire.

Le grand incen­die de Londres
chap. 5 : Rêve, déci­sion, « pro­jet »
Seuil 1989
p. 160