[La rhétorique] prétendait faire de la parole ce qui joue sur le vouloir de l’autre, établit des adhésions et des contrats, coordonne ou modifie des pratiques sociales, et donc façonne l’histoire. Elle a été peu à peu rejetée des champs scientifiques. Et ce n’est pas un hasard si elle se retrouve du côté où prospèrent des légendaires, et si Freud la restaure dans les régions exilées et improductives du rêve ou un « parler » inconscient fait retour. Cette division, déjà si marquée au XVIIIe siècle, dans l’opposition croissante entre les techniques (ou les sciences) et l’opéra, ou, plus spécifiquement, dans la distinction linguistique entre la consonne (qui est raison écrite) et la voyelle (qui est souffle, effet singulier du corps), semble avoir finalement reçu son statut et sa légitimité scientifiques avec la coupure que Saussure établit entre « langue » et « parole ». Sous ce mode, la « thèse primordiale » (Hjelmslev) du
Cours de linguistique générale sépare le « social » de l’« individuel, et l’« essentiel » de « ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel ». Elle suppose aussi que « la
langue ne vit que pour gouverner la
parole ». Les corollaires qui spécifient cette thèse (elle-même dépendante du « premier principe » saussurien, à savoir l’arbitraire du signe), et qui opposent le synchronique à l’événementiel, indiquent la tradition que Saussure généralise en l’élevant à la scientificité et qui, par deux siècle d’histoire, a constitué en postulat de la tâche scripturaire la fracture entre l’énoncé (objet scriptible) et l’énonciation (acte de dire). Ceci dit en laissant de côté une autre tradition idéologique, également présente chez Saussure, et qui oppose la « créativité » de la parole au « système de la langue ».
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t. 1 : « « arts de faire » »
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p. 231–232