30 09 14

À la base d’une ver­tu est le pou­voir que nous avons d’en bri­ser la chaîne. L’enseignement tra­di­tion­nel a mécon­nu ce res­sort secret de la morale : l’idée de la morale en est affa­die. Du côté de la ver­tu, la vie morale a l’aspect d’un confor­misme peu­reux ; de l’autre, le dédain de la fadeur est tenu pour immo­ra­li­té. L’enseignement tra­di­tion­nel exige en vain une rigueur de sur­face, faite de for­ma­lisme logique : il tourne le dos à l’esprit de la rigueur. Nietzsche dénon­çant la morale ensei­gnée pen­sait ne pas sur­vivre à un crime qu’il aurait com­mis. S’il y a morale authen­tique, son exis­tence est tou­jours en jeu. La véri­table haine du men­songe admet, non sans une hor­reur sur­mon­tée, le risque pris dans un men­songe don­né. L’indifférence devant le risque en est l’apparente légè­re­té. C’est l’envers de l’érotisme admet­tant la condam­na­tion sans laquelle il serait fade. L’idée d’intangibles lois retire de la force à une véri­té morale à laquelle nous devons adhé­rer sans nous enchaî­ner. Nous véné­rons, dans l’excès éro­tique, la règle que nous vio­lons. Un jeu d’oppositions rebon­dis­santes est à la base d’un mou­ve­ment alter­né de fidé­li­té et de révolte, qui est l’essence de l’homme. En dehors de ce jeu, nous étouf­fons dans la logique des lois.

La lit­té­ra­ture et le mal [1957]
Gallimard Folio 2013
p. 102