À MON ENTERREMENT IL y aura le cercueil fermé. Puis pour se recueillir, on ouvrira le cercueil. Alors tout le monde verra que je ne suis pas à l’intérieur. Alors ce qui se passera. Tout le monde se regardera dans les yeux sans comprendre. Et tout le monde lèvera la tête. Et tout le monde verra mon corps pendre sur le lustre du plafond. Et quand la musique triste arrivera mon corps se balancera. Et tout le monde rigolera. On rigolera parce que le corps se balancera en rythme. C’est ça qui sera rigolo. Ce sera rigolo de se rendre compte que, même mort, le corps est mu d’une volonté. C’est l’étonnement, c’est la découverte qui fera rigoler. Le jour de mon enterrement de mon corps.
Le jour où tout le monde découvre une révélation sur le corps après la mort, on a les yeux étonnés. Parce qu’on a appris une connaissance. Les obsèques sont un jour étonnant pour apprendre une connaissance. On ne s’y attendait pas.
On repart chez soi riche d’une chose en plus, dans la tête. On peut écrire un email et raconter. C’est alors la communication de la connaissance. Ou sa diffusion. Ce qui est un peu la même chose. Je serai heureux, mort, de contribuer à la diffusion d’une connaissance de la vie après la mort. À savoir que le corps sort du cercueil pour danser au plafond, au rythme de la musique triste.
Les musiques tristes servent à pleurer. Sauf si on pleurait déjà avant. Auquel cas elles ne servent à rien. Les musiques tristes rebondissent sur les murs, c’est pourquoi elles visent. C’est pourquoi elles touchent juste, droit dans la tripe. Et c’est pour ça qu’on les pleure. À cause de la tripe.
Touché droit dans la tripe, on ne peut plus penser. On ne peut que pleurer. Les pleurs coulent, de haut en bas, c’est leur mouvement. La tripe vibre, en elle-même, sur elle-même, c’est son mouvement. C’est plus précisément sa vibration.
Mais. Si l’on n’est pas dans une obsèque, il peut y avoir des moments où les pleurs et la pensée peuvent cohabiter. C’est alors une composition. Deux éléments qui se composent donnent un troisième élément. C’est leur spécificité. Il faut donner un exemple.
Par exemple on n’est pas dans une obsèque. On est ailleurs. On est dans la chambre. On met une musique triste. Comme à l’obsèque mais là on est dans la chambre. On pleure la musique. Puis dans le pleur une pensée vient. C’est un exemple de composition. La musique la larme et la pensée. Puis la pensée peut donner un désir, ou un besoin. Par exemple le désir, ou le besoin, de faire un dessin. Alors l’exemple de la composition se grandit du dessin. De la musique la larme la pensée et le dessin. Sans parler du désir, ni du besoin. Il y a des compositions qui durent très longtemps ensemble, plusieurs jours sans se défaire, et ça fait alors un grand dessin. Carrément une fresque.
La pensée vient d’un pleur, dans l’exemple. Elle vient en général d’un choc, d’une altération. Par exemple on voit une scène violente dans la rue. Automatiquement après on a une pensée. Dans l’exemple c’est une pensée politique. On ne choisit jamais le choc. On ne choisit pas non plus les pensées qu’on pense, après le choc. On est altéré. On ne prend pas part au processus d’altération. On le subit. Une fois qu’il a eu lieu, on devient le résultat du processus d’altération. On ne choisit pas le dessin qu’on a fait. On ne choisit pas de dessiner. C’est le désir qui est venu du pleur qui a fait dessiner. Ça marche comme ça.
Rigoler le jour de l’enterrement d’un corps est déplacé. En général on s’en tient aux règles. Il y a beaucoup d’exemples qui vont dans ce sens. C’est le sens des règles communes. Là-dessus, il n’y a pas grand-chose à dire.
Le jour de l’enterrement d’un corps, on tombe rarement amoureux. Ce n’est pas une règle commune, c’est un fait. On pourrait tomber amoureux le jour de l’obsèque de l’enterrement d’un corps, mais c’est si rare. Aller vite faire l’amour dans les toilettes le jour de l’obsèque de l’enterrement d’un corps, c’est si rare. Déjà que l’amour est rare en général, alors dans cet exemple encore plus.
Un jour j’avais un ami il travaillait dans un hôpital. Un jour il m’a dit que les gens qui travaillaient dans les hôpitaux faisaient beaucoup l’amour entre eux, dans les toilettes. Sur le lieu même de leur travail. Il m’a dit que c’était à cause de la mort. C’est la présence de la mort dans l’hôpital qui accroît le désir, ou le besoin, d’aller faire l’amour avec un collègue de travail dans les toilettes. Aussi viendra un jour où les gens qui pleurent à l’obsèque de l’enterrement d’un mort seront pris du désir de sexe, à cause de la présence de la mort. Et ils iront vite dans les toilettes.
Oui. Il viendra un jour où on rigolera, pendant les obsèques de l’enterrement d’un mort, quand le mort dansera suspendu au lustre du plafond. Oui. Il viendra un jour où les compositions d’éléments dureront si longtemps que ça fera un dessin sans début ni fin. Oui. Il viendra un jour où les gens qui pleurent pendant l’obsèque de l’enterrement d’un mort iront faire l’amour dans les toilettes. C’est ça que je voulais dire. Oui.