05 11 19

Calleja, Un titre simple

À MON ENTERREMENT IL y aura le cer­cueil fer­mé. Puis pour se recueillir, on ouvri­ra le cer­cueil. Alors tout le monde ver­ra que je ne suis pas à l’intérieur. Alors ce qui se pas­se­ra. Tout le monde se regar­de­ra dans les yeux sans com­prendre. Et tout le monde lève­ra la tête. Et tout le monde ver­ra mon corps pendre sur le lustre du pla­fond. Et quand la musique triste arri­ve­ra mon corps se balan­ce­ra. Et tout le monde rigo­le­ra. On rigo­le­ra parce que le corps se balan­ce­ra en rythme. C’est ça qui sera rigo­lo. Ce sera rigo­lo de se rendre compte que, même mort, le corps est mu d’une volon­té. C’est l’étonnement, c’est la décou­verte qui fera rigo­ler. Le jour de mon enter­re­ment de mon corps.

Le jour où tout le monde découvre une révé­la­tion sur le corps après la mort, on a les yeux éton­nés. Parce qu’on a appris une connais­sance. Les obsèques sont un jour éton­nant pour apprendre une connais­sance. On ne s’y atten­dait pas.

On repart chez soi riche d’une chose en plus, dans la tête. On peut écrire un email et racon­ter. C’est alors la com­mu­ni­ca­tion de la connais­sance. Ou sa dif­fu­sion. Ce qui est un peu la même chose. Je serai heu­reux, mort, de contri­buer à la dif­fu­sion d’une connais­sance de la vie après la mort. À savoir que le corps sort du cer­cueil pour dan­ser au pla­fond, au rythme de la musique triste.

Les musiques tristes servent à pleu­rer. Sauf si on pleu­rait déjà avant. Auquel cas elles ne servent à rien. Les musiques tristes rebon­dissent sur les murs, c’est pour­quoi elles visent. C’est pour­quoi elles touchent juste, droit dans la tripe. Et c’est pour ça qu’on les pleure. À cause de la tripe.

Touché droit dans la tripe, on ne peut plus pen­ser. On ne peut que pleu­rer. Les pleurs coulent, de haut en bas, c’est leur mou­ve­ment. La tripe vibre, en elle-même, sur elle-même, c’est son mou­ve­ment. C’est plus pré­ci­sé­ment sa vibra­tion.

Mais. Si l’on n’est pas dans une obsèque, il peut y avoir des moments où les pleurs et la pen­sée peuvent coha­bi­ter. C’est alors une com­po­si­tion. Deux élé­ments qui se com­posent donnent un troi­sième élé­ment. C’est leur spé­ci­fi­ci­té. Il faut don­ner un exemple.

Par exemple on n’est pas dans une obsèque. On est ailleurs. On est dans la chambre. On met une musique triste. Comme à l’obsèque mais là on est dans la chambre. On pleure la musique. Puis dans le pleur une pen­sée vient. C’est un exemple de com­po­si­tion. La musique la larme et la pen­sée. Puis la pen­sée peut don­ner un désir, ou un besoin. Par exemple le désir, ou le besoin, de faire un des­sin. Alors l’exemple de la com­po­si­tion se gran­dit du des­sin. De la musique la larme la pen­sée et le des­sin. Sans par­ler du désir, ni du besoin. Il y a des com­po­si­tions qui durent très long­temps ensemble, plu­sieurs jours sans se défaire, et ça fait alors un grand des­sin. Carrément une fresque.

La pen­sée vient d’un pleur, dans l’exemple. Elle vient en géné­ral d’un choc, d’une alté­ra­tion. Par exemple on voit une scène vio­lente dans la rue. Automatiquement après on a une pen­sée. Dans l’exemple c’est une pen­sée poli­tique. On ne choi­sit jamais le choc. On ne choi­sit pas non plus les pen­sées qu’on pense, après le choc. On est alté­ré. On ne prend pas part au pro­ces­sus d’altération. On le subit. Une fois qu’il a eu lieu, on devient le résul­tat du pro­ces­sus d’altération. On ne choi­sit pas le des­sin qu’on a fait. On ne choi­sit pas de des­si­ner. C’est le désir qui est venu du pleur qui a fait des­si­ner. Ça marche comme ça.

Rigoler le jour de l’enterrement d’un corps est dépla­cé. En géné­ral on s’en tient aux règles. Il y a beau­coup d’exemples qui vont dans ce sens. C’est le sens des règles com­munes. Là-des­sus, il n’y a pas grand-chose à dire.

Le jour de l’enterrement d’un corps, on tombe rare­ment amou­reux. Ce n’est pas une règle com­mune, c’est un fait. On pour­rait tom­ber amou­reux le jour de l’obsèque de l’enterrement d’un corps, mais c’est si rare. Aller vite faire l’amour dans les toi­lettes le jour de l’obsèque de l’enterrement d’un corps, c’est si rare. Déjà que l’amour est rare en géné­ral, alors dans cet exemple encore plus.

Un jour j’avais un ami il tra­vaillait dans un hôpi­tal. Un jour il m’a dit que les gens qui tra­vaillaient dans les hôpi­taux fai­saient beau­coup l’amour entre eux, dans les toi­lettes. Sur le lieu même de leur tra­vail. Il m’a dit que c’était à cause de la mort. C’est la pré­sence de la mort dans l’hôpital qui accroît le désir, ou le besoin, d’aller faire l’amour avec un col­lègue de tra­vail dans les toi­lettes. Aussi vien­dra un jour où les gens qui pleurent à l’obsèque de l’enterrement d’un mort seront pris du désir de sexe, à cause de la pré­sence de la mort. Et ils iront vite dans les toi­lettes.

Oui. Il vien­dra un jour où on rigo­le­ra, pen­dant les obsèques de l’enterrement d’un mort, quand le mort dan­se­ra sus­pen­du au lustre du pla­fond. Oui. Il vien­dra un jour où les com­po­si­tions d’élé­ments dure­ront si long­temps que ça fera un des­sin sans début ni fin. Oui. Il vien­dra un jour où les gens qui pleurent pen­dant l’obsèque de l’en­ter­re­ment d’un mort iront faire l’amour dans les toi­lettes. C’est ça que je vou­lais dire. Oui.