Avant notre rencontre, j’avais consacré ma vie à l’idée de Wittgenstein selon laquelle l’inexpressible est contenu – d’une manière inexpressible ! – dans l’exprimé. Cette idée se voit accorder moins de temps d’antenne que le plus déférent Ce dont on ne peut parler, il faut le taire, mais c’est, je crois, l’idée plus profonde. Le paradoxe qu’elle désigne représente littéralement ce pourquoi j’écris, ou ce pourquoi je me sens capable de continuer à écrire.
Et ce, parce que ça ne nourrit pas, parce que ça n’exalte pas le sentiment d’angoisse qu’on peut ressentir devant l’incapacité à exprimer, à l’aide des mots, ce qui leur échappe. Ça ne rejette pas ce qui est dit au nom de ce qui, par définition, ne peut pas l’être. Pas plus que ça ne se la joue, comme on prétexterait, la gorge nouée : J’te dis pas tout ce que je dirais si les mots suffisaient. Les mots suffisent.
Il est vain de blâmer le filet d’avoir des trous, note mon encyclopédie.
L’objectif est d’avoir et l’église vide avec un plancher de terre battue, mais bien propre, et les vitraux spectaculaires qui brillent sous le toit de la cathédrale. Non, rien que tu puisses dire ne fuckerait l’espace réservé à Dieu. J’ai déjà expliqué ça ailleurs. Mais j’essaie de dire quelque chose de différent maintenant.
J’ai appris très vite que toi, tu avais pour ta part consacré ta vie à la conviction que les mots ne suffisent pas. Pas seulement qu’ils ne suffisent pas, mais qu’ils sont corrosifs pour tout ce qui est bon, tout ce qui est réel, tout ce qui participe au grand flux. Nous nous sommes disputés sans fin à ce propos, pleins de fièvre, sans malice. Une fois qu’une chose est nommée, as-tu dit, nous ne pouvons plus la voir de la même façon. Tout ce qui n’en a pas été dit se fane, se perd, est assassiné. Tu appelais ça la fonction emporte-pièce de nos esprits. Tu disais que tu savais ça non pas à force d’avoir fui le langage, mais parce que tu t’y étais immergé, à l’écran, dans la conversation, sur la scène, dans les livres. Je secondais la position de Thomas Jefferson sur les églises – pour la pléthore, pour les transitions kaléidoscopiques, pour l’excès. J’insistais : les mots font plus que nommer. Je t’ai lu tout haut l’ouverture des Recherches philosophiques. Je criais : Dalle, dalle !
Pendant un certain temps, j’ai cru que j’avais gagné. Tu avais concédé qu’il y avait peut-être un humain correct, un animal humain correct, même si l’animal humain utilisait le langage, même si son utilisation du langage définissait en partie son humanité – même si l’humanité en soi signifiait détruire et brûler toute notre planète bigarrée et précieuse, avec son futur, notre futur.
Mais j’ai changé aussi. Je me suis trouvé un nouveau point de vue sur les choses indicibles, ou au moins sur les choses dont l’essence est oscillation, flux. J’ai admis à nouveau la tristesse de notre extinction inéluctable et l’injustice de l’extinction forcée des autres. J’ai arrêté de répéter avec suffisance : Absolument tout ce qui peut être pensé peut être exprimé clairement, et j’ai recommencé à me demander, est-ce que tout peut être pensé ?
For it doesn’t feed or exalt any angst one may feel about the incapacity to express, in words, that which eludes them. It doesn’t punish what can be said for what, by definition, it cannot be. Nor does it ham it up by miming a constricted throat : Lo, what I would say, were words good enough. Words are good enough.It is idle to fault a net for having holes, my encyclopedia notes.
In this way you can have your empty church with a dirt floor swept clean of dirt and your spectacular stained glass gleaming by the cathedral rafters, both. Because nothing you say can fuck up the space for God.
I’ve explained this elsewhere. But I’m trying to say something different now.
Before long I learned that you had spent a lifetime equally devoted to the conviction that words are not good enough. Not only not good enough, but corrosive to all that is good, all that is real, all that is flow. We argued and argued on this account, full of fever, not malice. Once we name something, you said, we can never see it the same way again. All that is unnameable falls away, gets lost, is murdered. You called this the cookie-cutter function of our minds. You said that you knew this not from shunning language but from immersion in it, on the screen, in conversation, onstage, on the page. I argued along the lines of Thomas Jefferson and the churches—for plethora, for kaleidoscopic shifting, for excess. I insisted that words did more than nominate. I read aloud to you the opening of Philosophical Investigations. Slab, I shouted, slab !
For a time, I thought I had won. You conceded there might be an OK human, an OK human animal, even if that human animal used language, even if its use of language were somehow defining of its humanness—even if humanness itself meant trashing and torching the whole motley, precious planet, along with its, our, future.
But I changed too. I looked anew at unnameable things, or at least things whose essence is flicker, flow. I readmitted the sadness of our eventual extinction, and the injustice of our extinction of others. I stopped smugly repeating Everything that can be thought at all can be thought clearly and wondered anew, can everything be thought.