27 01 24

Nelson, The Argonauts

Un nœud de honte en moi : avoir été quelqu’un qui par­lait libre­ment, abon­dam­ment et pas­sion­né­ment à l’école secon­daire, puis arri­ver à l’université et réa­li­ser que j’étais en passe de deve­nir une de ces per­sonnes qui font lever les yeux au ciel : et la voi­là repar­tie. Ç’aura pris du temps et du trouble, mais fina­le­ment j’ai appris à arrê­ter de par­ler, à être une obser­va­trice (à jouer à l’être, en fait). Ce jeu m’a menée à écrire énor­mé­ment dans les marges de mes cahiers de notes ; du maté­riel que j’ai ensuite pillé pour faire des poèmes.

Me for­cer à me taire, déver­ser le lan­gage sur le papier à la place : c’est deve­nu une habi­tude. Mais main­te­nant je suis éga­le­ment reve­nue à une parole abon­dante, sous la forme de l’enseignement.

Parfois, quand j’enseigne, quand je glisse un com­men­taire sans que per­sonne ne m’en empêche, sans me pré­oc­cu­per du fait que j’ai déjà pris la parole il y a un ins­tant, ou quand j’interromps quelqu’un pour redi­ri­ger la conver­sa­tion loin d’une zone que je trouve per­son­nel­le­ment sté­rile, je suis gri­sée par la cer­ti­tude que je peux par­ler autant que je veux, aus­si rapi­de­ment que je le veux, dans tous les sens, sans que per­sonne ne puisse ouver­te­ment lever les yeux au ciel ou sug­gé­rer que j’aille en thé­ra­pie. Je ne dis pas que c’est de la bonne péda­go­gie. Je dis que la satis­fac­tion en est pro­fonde.

Shame-spot : being someone who spoke free­ly, copious­ly, and pas­sio­na­te­ly in high school, then arri­ving in col­lege and rea­li­zing I was in dan­ger of beco­ming one of those people who makes eve­ryone else roll their eyes : there she goes again. It took some time and trouble, but even­tual­ly I lear­ned to stop tal­king, to be (imper­so­nate, real­ly) an obser­ver. This imper­so­na­tion led me to write an enor­mous amount in the mar­gins of my note­books— mar­gi­na­lia I would later mine to make poems.

Forcing myself to shut up, pou­ring lan­guage onto paper ins­tead : this became a habit. But now I’ve retur­ned to copious spea­king as well, in the form of tea­ching.

Sometimes, when I’m tea­ching, when I inter­ject a com­ment without anyone cal­ling on me, without caring that I just spoke a moment before, or when I inter­rupt someone to redi­rect the conver­sa­tion away from an eddy I per­so­nal­ly find fruit­less, I feel high on the know­ledge that I can talk as much as I want to, as qui­ck­ly as I want to, in any direc­tion that I want to, without anyone overt­ly rol­ling her eyes at me or sug­ges­ting I go to speech the­ra­py. I’m not saying this is good peda­go­gy. I am saying that its plea­sures are deep.

, ,
trad.  Jean-Michel Théroux
, , ,
p. 71–72