C’est douloureux pour moi d’avoir écrit tout un livre qui remet en question les politiques identitaires pour me découvrir instituée comme symbole de l’identité lesbienne. Ou bien les gens n’ont pas vraiment lu le livre, ou la force gravitationnelle des politiques identitaires est si puissante que peu importe ce que tu écris, même quand c’est explicitement opposé aux politiques identitaires, la machine le rattrape.
Je pense que Butler est généreuse lorsqu’elle désigne la diffuse « force gravitationnelle de l’identité » comme étant le problème. De façon moins généreuse, je dirais que le simple fait qu’elle est une lesbienne est si aveuglant pour certains que peu importent les mots qui sortent de sa bouche – peu importent les mots qui sortent de la bouche de la lesbienne, peu importent les idées qui jaillissent de sa tête –, certains auditeurs n’entendent qu’une seule chose : lesbienne, lesbienne, lesbienne. Il n’y a qu’un pas de là à disqualifier la lesbienne – ou, au fond, à disqualifier n’importe qui, dès lors qu’il refuse de se glisser sans rechigner dans un futur « postracial » qui ressemble beaucoup trop au passé raciste, au présent raciste – comme identitariste, quand c’est en fait l’auditeur qui n’arrive pas à surmonter l’identité qu’il a imputée au locuteur. Traiter le locuteur d’identitariste devient alors une excuse suffisante pour ne pas l’écouter, auquel cas l’auditeur peut reprendre son rôle de locuteur. Ne reste qu’à décamper pour aller assister à une énième conférence d’honneur de Jacques Rancière, d’Alain Badiou, de Slavoj Žižek, où l’on pourra méditer sur Soi et l’Autre, se débattre avec la différence radicale, exalter l’esprit de décision du Deux et couvrir de honte les identitaristes sans sophistication, réunis que nous serons tous, une fois encore, au pied d’un autre grand homme blanc pontifiant du haut de son podium, comme nous le faisons depuis des siècles.
It’s painful for me that I wrote a whole book calling into question identity politics, only then to be constituted as a token of lesbian identity. Either people didn’t really read the book, or the commodification of identity politics is so strong that whatever you write, even when it’s explicitly opposed to that politics, gets taken up by that machinery. (Judith Butler)
I think Butler is generous to name the diffuse “commodification of identity” as the problem. Less generously, I’d say that the simple fact that she’s a lesbian is so blinding for some, that whatever words come out of her mouth—whatever words come out of the lesbian’s mouth, whatever ideas spout from her head—certain listeners hear only one thing : lesbian, lesbian, lesbian. It’s a quick step from there to discounting the lesbian—or, for that matter, anyone who refuses to slip quietly into a “postracial” future that resembles all too closely the racist past and present—as identitarian, when it’s actually the listener who cannot get beyond the identity that he has imputed to the speaker. Calling the speaker identitarian then serves as an efficient excuse not to listen to her, in which case the listener can resume his role as speaker. And then we can scamper off to yet another conference with a keynote by Jacques Rancière, Alain Badiou, Slavoj Žižek, at which we can meditate on Self and Other, grapple with radical difference, exalt the decisiveness of the Two, and shame the unsophisticated identitarians, all at the feet of yet another great white man pontificating from the podium, just as we’ve done for centuries.