27 01 24

Nelson, The Argonauts

C’est dou­lou­reux pour moi d’avoir écrit tout un livre qui remet en ques­tion les poli­tiques iden­ti­taires pour me décou­vrir ins­ti­tuée comme sym­bole de l’identité les­bienne. Ou bien les gens n’ont pas vrai­ment lu le livre, ou la force gra­vi­ta­tion­nelle des poli­tiques iden­ti­taires est si puis­sante que peu importe ce que tu écris, même quand c’est expli­ci­te­ment oppo­sé aux poli­tiques iden­ti­taires, la machine le rat­trape.

Je pense que Butler est géné­reuse lorsqu’elle désigne la dif­fuse « force gra­vi­ta­tion­nelle de l’identité » comme étant le pro­blème. De façon moins géné­reuse, je dirais que le simple fait qu’elle est une les­bienne est si aveu­glant pour cer­tains que peu importent les mots qui sortent de sa bouche – peu importent les mots qui sortent de la bouche de la les­bienne, peu importent les idées qui jaillissent de sa tête –, cer­tains audi­teurs n’entendent qu’une seule chose : les­bienne, les­bienne, les­bienne. Il n’y a qu’un pas de là à dis­qua­li­fier la les­bienne – ou, au fond, à dis­qua­li­fier n’importe qui, dès lors qu’il refuse de se glis­ser sans rechi­gner dans un futur « post­ra­cial » qui res­semble beau­coup trop au pas­sé raciste, au pré­sent raciste – comme iden­ti­ta­riste, quand c’est en fait l’auditeur qui n’arrive pas à sur­mon­ter l’identité qu’il a impu­tée au locu­teur. Traiter le locu­teur d’iden­ti­ta­riste devient alors une excuse suf­fi­sante pour ne pas l’écouter, auquel cas l’auditeur peut reprendre son rôle de locu­teur. Ne reste qu’à décam­per pour aller assis­ter à une énième confé­rence d’honneur de Jacques Rancière, d’Alain Badiou, de Slavoj Žižek, où l’on pour­ra médi­ter sur Soi et l’Autre, se débattre avec la dif­fé­rence radi­cale, exal­ter l’esprit de déci­sion du Deux et cou­vrir de honte les iden­ti­ta­ristes sans sophis­ti­ca­tion, réunis que nous serons tous, une fois encore, au pied d’un autre grand homme blanc pon­ti­fiant du haut de son podium, comme nous le fai­sons depuis des siècles.

It’s pain­ful for me that I wrote a whole book cal­ling into ques­tion iden­ti­ty poli­tics, only then to be consti­tu­ted as a token of les­bian iden­ti­ty. Either people didn’t real­ly read the book, or the com­mo­di­fi­ca­tion of iden­ti­ty poli­tics is so strong that wha­te­ver you write, even when it’s expli­cit­ly oppo­sed to that poli­tics, gets taken up by that machi­ne­ry. (Judith Butler)

I think Butler is gene­rous to name the dif­fuse “com­mo­di­fi­ca­tion of iden­ti­ty” as the pro­blem. Less gene­rous­ly, I’d say that the simple fact that she’s a les­bian is so blin­ding for some, that wha­te­ver words come out of her mouth—whatever words come out of the lesbian’s mouth, wha­te­ver ideas spout from her head—certain lis­te­ners hear only one thing : les­bian, les­bian, les­bian. It’s a quick step from there to dis­coun­ting the lesbian—or, for that mat­ter, anyone who refuses to slip quiet­ly into a “post­ra­cial” future that resembles all too clo­se­ly the racist past and present—as iden­ti­ta­rian, when it’s actual­ly the lis­te­ner who can­not get beyond the iden­ti­ty that he has impu­ted to the spea­ker. Calling the spea­ker iden­ti­ta­rian then serves as an effi­cient excuse not to lis­ten to her, in which case the lis­te­ner can resume his role as spea­ker. And then we can scam­per off to yet ano­ther confe­rence with a key­note by Jacques Rancière, Alain Badiou, Slavoj Žižek, at which we can medi­tate on Self and Other, grapple with radi­cal dif­fe­rence, exalt the deci­si­ve­ness of the Two, and shame the unso­phis­ti­ca­ted iden­ti­ta­rians, all at the feet of yet ano­ther great white man pon­ti­fi­ca­ting from the podium, just as we’ve done for cen­tu­ries.

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trad.  Jean-Michel Théroux
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p. 80–81