Parce qu’être nombreuse
implique des responsabilités.
Mettre plusieurs personnes dans une personne, se préparer à l’enchâssement des systèmes. Mettre plusieurs fictions dans une fiction (celle dans laquelle nous sommes blanches). S’assurer que, pour chaque contexte ou projection d’identité par celle⋅ux qui nous entourent, tout le monde reste, c‑à-d : ni intégration, ni communauté, ni agrégation, ni synthèse, ni suppression, autre chose.
Dans les transports en communs, « au lieu d’une, il est arrivé qu’on nous laisse deux, trois places ». Quant au reflet de mon corps dans le distributeur de boisson, il est « une connaissance en triple [multiple] d’une personne »1. Si Acad en a marre de prendre les devants, si Little dort, si Seventiz fait trop sa snob, si de nouveaux⋅elles alters factif⋅ves et fictif⋅ves apparaissent, la prochaine fois qu’on voudra un tatoo, il faudra télécharger une appli” de vote.
On connaît par cœur le papier sur le vote des minorités, jusqu’à ses preuves en appendices. Rédigé sur un bureau universitaire, entre un thermos et une tasse pleine de résidus caféinés, il démontre mathématiquement que nous pouvons utiliser des crédits de vote à répartir sur un ensemble de décisions, pour mieux représenter les préférences des minorités. Mais une autre possibilité nous a été suggérée quelque part, moins transparente, sans résolution : celle de former un poème dans mes notes de téléphone et d’y lire la décisions.
Parce que, de subie,
la pluralité est devenue stratégique.
Parfois énergisante, parfois annihilante, elle s’est construite au fil d’un ensemble de réflexions et situations, dont celles d’être devenue « d’origine »algérienne à l’âge de onze ans, d’avoir fréquenté l’enseignement primaire, secondaire, supérieur laïques en France, puis le champ de l’art contemporain et ses institutions.
une fleur : expression adorable, des fossettes, rien de plus à dire.
une autre fleur : attitudes amusantes, vert cathodique, encore ces joues énormes.
cette fleur : petite tête de poire, son sourire qui tombe, commissures nettes et rondes.
cette fleur : sourire ouvert et sombre, de grands yeux cartoonesques qui attendent la fin du monde.
cette fleur : la même, avec plus de gravité, sans savoir si ça se situe dans l’épaisseur de la tige.
cette fleur : malade, comique — en plus de l’intelligence.
cette fleur : dort, corps vibrant au rythme de gros soupirs.
cette fleur : une mine résolue à l’affection, jusqu’au bout.
cette fleur : si gentille, parle beaucoup, de l’autodérision.
Tout ça pour dire que, s’il y avait bien d’un côté l’envie de performer et générer, avec cet arbre et ce champignon, la « liberté réplicative des fougères et des invertébrés », les visions d’un « sexe cyborgien […] contre l’hétérosexisme » 2, de la verdeure, de l’excitation de toutes nos identités ambiancées dans les racines et la terre par des mains, des végétaux et des fichiers pdf hybridés, nous étions arrêtées dans ces représentations par notre position « orientale » : le trauma d’une glauque absorption coloniale, qui a aussi (d’abord ?) été immatérielle, purement cardinale, spéculative . Elle nous charge de trop de gravité pour que, la formulation de ces désirs, même brillamment et stratégiquement produite par Dona Hararoad, nous ne puissions jamais la vivre intégralement.