Je me demande si ce n’est pas en cela que consiste vraiment le sentiment d’appartenir à une nation : avoir toutes les raisons personnelles d’avoir honte, tout aussi personnelles (si ce n’est plus) que celles toujours rabâchées d’être fier. Quand lesdites « raisons » ne sont pas, comme je le soupçonne, presque toujours les mêmes. Toute fierté avoue une honte. Et toute honte doit payer le prix fort afin de pouvoir disparaître.
Bref, je suis brésilien, entre autres choses. J’y pense rarement ; et quand j’y pense, c’est même parfois agréable. Comme l’a très bien dit Tom Jobim, quand il est revenu à Rio après avoir vécu quelques années aux États-Unis : « Là-bas, c’est sympa, mais c’est la merde ; ici c’est la merde, mais c’est sympa… » C’est tellement vrai. Quoi qu’il en soit, en tant que chercheur, je ne me sens pas obligé d’avoir comme objet de recherche ce que l’on appelle la « réalité brésilienne », une notion bien curieuse et intraduisible. On n’exige pas cela des mathématiciens ni des physiciens. Les physiciens brésiliens n’étudient pas la « réalité brésilienne ». Sauf erreur (de ma part ou de la leur), ils étudient la réalité, simplement. Pourquoi un chercheur en sciences sociales brésilien ne pourrait-il pas faire la même chose ? À mes yeux, le Brésil est une circonstance, pas un objet […].
Je ne m’intéresse pas à la « question nationale », ni à une quelconque « théorie du Brésil ». Je ne m’intéresse pas non plus à la « question indigène », qui est le nom du problème que représente pour la classe et l’ethnie dominantes du pays l’existence passée, présente et future des peuples indigènes. Ce qui m’intéresse, ce sont les questions indigènes – au pluriel. J’entends par là les questions que les cultures indigènes se posent à elles-mêmes et qui les constituent en tant que cultures distinctes de la culture dominante. Disons que ce qui m’intéresse ce ne sont pas Indiens comme faisant partie du Brésil, mais les Indiens tout simplement ; pour moi, si une chose fait partie d’une autre chose, c’est bien le « Brésil » qui fait partie du contexte des cultures indigènes, pas le contraire.