Si Descartes nous a appris, à nous Modernes, à dire « je pense donc je suis » – à dire, donc, que la seule vie ou existence que je suis capable de penser comme étant indubitable est la mienne propre –, le perspectivisme amérindien, lui, commence par l’affirmation doublement inverse : « l’autre existe, donc je pense ». Et si celui qui existe est autre alors sa pensée est nécessairement autre que la mienne. Peut-être devrais-je conclure que si je pense, alors moi aussi je suis un autre. Car seul l’autre pense, seule la pensée comme puissance d’altérité est intéressante. Ce qui serait une bonne définition de l’anthropologie. […] Et il suffit d’exister afin de pouvoir être pensé comme sujet, et donc se penser comme sujet, c’est-à-dire comme sujet d’une perspective. Mais attention à ce « de » : c’est le sujet qui appartient à une perspective et pas le contraire. La perspective est moins quelque chose que l’on tient, que l’on possède, et bien plus quelque chose qui tient le sujet, qui le possède et qui le porte, c’est–à‑dire qui le constitue comme sujet. « Le point de vue crée le sujet » – telle est la proposition perspectiviste par excellence, celle qui distingue le perspectivisme du relativisme ou du constructionnisme occidentaux, qui avancent, au contraire, que « le point de vue crée l’objet ».
21 05 24