14 04 18

Brassat, Alain de Libera, Archéologie du sujet

Au tout début du XVIIe siècle, un phi­lo­sophe scho­las­tique du nom de Edmond Pourchot sys­té­ma­tise, de façon encore aris­to­té­li­cienne, les quatre sens selon les­quels le terme de sujet peut se dire. Un sujet est d’inhésion (sujet d’inhérence pour des acci­dents), de déno­mi­na­tion (ce qui est dénom­mé par une forme, une per­fec­tion, une pri­va­tion, une action ou une affec­tion), d’information (ce en quoi est reçue une forme essen­tielle qui l’informe pour consti­tuer un tout indi­vi­duel phy­sique), d’attribution (la matière sujet d’une dis­ci­pline de connais­sance).

Dans un tel cadre phi­lo­so­phique, la réa­li­té com­mune n’est pas encore défi­nie à par­tir du rap­port par­ti­cu­lier de la per­sonne humaine au monde envi­ron­nant, y com­pris posé comme uni­ver­sa­li­té ration­nelle, donc en tant que résul­tant de nos per­cep­tions, concep­tions et voli­tions. Elle est défi­nie au contraire à par­tir des exis­tences dis­tinctes et de leurs moda­li­tés en tant que réelles, c’est-à-dire indé­pen­dantes du sub­strat humain. Au milieu de celles-ci, le sujet humain, dont l’âme, la forme intel­li­gible propre, est celle d’un vivant ration­nel, n’est qu’une exis­tence sub­stan­tielle par­mi les autres. Une telle dif­fé­rence se retrouve dans l’opposition de la notion d’objet à celle de sujet. Dans le monde médié­val, le sujetest le récep­teur de pro­prié­tés essen­tielles ou acci­den­telles qui le font être ce qu’il est. Un réel sub­stan­tiel. L’objet est le conte­nu de défi­ni­tion que la pen­sée se donne rela­ti­ve­ment aux qua­li­tés et pro­prié­tés d’un exis­tant, c’est-à-dire d’un sujet. Un réel in-essen­tiel. Une telle dis­tinc­tion, si elle est res­tée dans les formes syn­taxiques de la langue fran­çaise a dis­pa­ru de la concep­tua­li­té. Le monde moderne pense très exac­te­ment à l’inverse de cela. Le sujet est l’agent unique de la pen­sée et de la connais­sance et l’objet, la part de réel externe auquel il rap­porte ses pen­sées. En ce sens, le monde objec­tif est la réa­li­té indé­pen­dante de l’homme auquel se rap­portent nos conte­nus sub­jec­tifs de pen­sée. Ce fai­sant, le monde objec­tif prend la valeur d’un être connu selon les dis­po­si­tions propres à la per­sonne humaine pen­sante et à son expé­rience per­cep­tive. Depuis Descartes, en pas­sant par l’opposition de Locke à Leibniz, puis, de Hume à Kant, il cesse donc d’être réel, sub­stan­tiel, pour tendre à n’être que condi­tion­nel, repré­sen­ta­tion, ima­gi­na­tion, construc­tion.

E. Brassat résume le chiasme de l’a­gence de De Libera, lien
,
« Alain de Libera, Archéologie du sujet »
,
Essaim
, ,
p. 105–107