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Saïd, L’Orientalisme

Dans la mesure où il était ques­tion du tra­vail stric­te­ment éru­dit de l’orientalisme (j’ai de la peine à com­prendre l’idée de tra­vail stric­te­ment éru­dit, dés­in­té­res­sé et abs­trait : nous pou­vons cepen­dant l’admettre intel­lec­tuel­le­ment), celui-ci a beau­coup à son actif. Pendant sa grande époque, au dix-neu­vième siècle, il a pro­duit des éru­dits, il a accru le nombre de langues ensei­gnées en Occident et la quan­ti­té de manus­crits édi­tés, tra­duits et com­men­tés ; dans bien des cas, il a four­ni à l’Orient des étu­diants euro­péens pleins de sym­pa­thie, qui s’intéressaient réel­le­ment à des sujets tels que la gram­maire sans­crite, la numis­ma­tique phé­ni­cienne et la poé­sie arabe. Cependant — il nous faut ici par­ler très clai­re­ment —, l’orientalisme a domi­né l’Orient. En tant que sys­tème de pen­sée sur l’Orient, il s’est tou­jours éle­vé du détail spé­ci­fi­que­ment humain au détail géné­ral « trans­hu­main » : une obser­va­tion sur un poète arabe du dixième siècle se mul­ti­pliait d’elle-même pour deve­nir une poli­tique envers (et à pro­pos de) la men­ta­li­té orien­tale en Egypte, en Iraq, ou en Arabie. De même, un vers du Coran pou­vait être consi­dé­ré comme la meilleure preuve d’une sen­sua­li­té musul­mane indé­ra­ci­nable. L’orientalisme sup­po­sait un Orient immuable, abso­lu­ment dif­fé­rent de l’Occident (les rai­sons pour cela changent d’époque en époque).

So far as its strict­ly scho­lar­ly work was concer­ned (and I find the idea of strict­ly scho­lar­ly work as disin­te­res­ted and abs­tract hard to unders­tand : still, we can allow it intel­lec­tual­ly), Orientalism did a great many things. During its great age in the nine­teenth cen­tu­ry it pro­du­ced scho­lars ; it increa­sed the num­ber of lan­guages taught in the West and the quan­ti­ty of manus­cripts edi­ted, trans­la­ted, and com­men­ted on ; in many cases, it pro­vi­ded the Orient with sym­pa­the­tic European stu­dents, genui­ne­ly inter­es­ted in such mat­ters as Sanskrit gram­mar, Phoenician numis­ma­tics, and Arabic poe­try. Yet—and here we must be very clear—Orientalism over­rode the Orient. As a sys­tem of thought about the Orient, it always rose from the spe­ci­fi­cal­ly human detail to the gene­ral trans­hu­man one ; an obser­va­tion about a tenth-cen­tu­ry Arab poet mul­ti­plied itself into a poli­cy towards (and about) the Oriental men­ta­li­ty in Egypt, Iraq, or Arabia. Similarly a verse from the Koran would be consi­de­red the best evi­dence of an inera­di­cable Muslim sen­sua­li­ty. Orientalism assu­med an unchan­ging Orient, abso­lu­te­ly dif­ferent (the rea­sons change from epoch to epoch) from the West.

 

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« Crise » L’Orientalisme [1978]
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chap. 1  : « Le domaine de l’Orientalisme »
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trad.  Catherine Malamoud
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p. 177